L’Amérique ne fait plus rêver, elle fait cauchemarder

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L’Amérique ne fait plus rêver, elle fait cauchemarder


27 juillet 2003 — Dans deux textes que nous reproduisons par ailleurs, on peut voir combien les réactions que provoque l’Amérique sont de l’ordre des plus extrêmes manipulations de l’imaginaire. Ce n’est pas nouveau pour l’Amérique, ce qui l’est est le sens choisi par cet imaginaire, — lequel imaginaire peut-être de la spéculation, de la supputation, et jusqu’à des constructions complètement artificielles.

• Un sondage publié par le journal allemand De Zeit et retransmis par Reuters nous fait découvrir un aspect extraordinaire de l’opinion allemande, avec de 20 à 33% selon les classes d’âge (33% pour les moins de 30 ans) pour estimer que l’attaque du 11 septembre 2001 est un montage réalisé par les Américains eux-mêmes. Cette idée, dénoncée avec une violence et une intolérance extrêmes, jusqu’à l’anathème diabolisant classique de nos intellectuels (“thèse révisionniste”), lors de la parution, début 2002, du livre “L’effroyable imposture” de Thierry Meyssan, semble aujourd’hui devoir être moins évoquée comme une hypothèse absurde à la lumière de certaines analyses. Par exemple, cette analyse de Stratfor.com, où l’attaque du 11 septembre 2001 est jugée comme unique, en-dehors des normes et des possibilités des acteurs impliqués ; elle apparaît alors comme un événement si exceptionnel qu’effectivement d’autres hypothèses que la classique attaque terroriste pourraient être considérées , — tandis que la “guerre contre la terreur” devient, elle, « fighting an illusion » :


« Since Sept. 11, 2001, al Qaeda has not carried out a strategic operation. It has carried out a series of tactical operations — Bali, Mombassa, Riyadh, Casablanca and so on — but it has not struck again at the United States in an operation of the magnitude of Sept. 11. The operations outside the United States are not, by themselves, sufficient to justify the global war the United States is waging. Preventing another Sept. 11 is worth the effort. However, as time passes, the perception — if not the reality — grows that Sept. 11 was al Qaeda's best and only shot at the United States. If that is true, then the level of effort we have seen on a global basis — including the invasion of Iraq and certainly the continued occupation of Iraq in the face of insurrection — simply isn't worth it. Or put differently, the United States is fighting an illusion and exhausting resources in the process. »


• Un autre aspect de ces spéculations qu’on constate, fantasmagoriques ou pas mais hostiles à l’Amérique, est la vague de théories complotistes qui a accompagné, à Bagdad, la mort des deux fils de Saddam. On pourrait parler ici de la confrontation du domaine des “mille et une nuits” avec l’American Dream devenu son double négatif.

Ces deux exemples illustrent ce qui paraît être un renversement complet de l’orientation de la capacité d’influence des USA aujourd’hui, alors que cette capacité semble rester toujours aussi forte. Du point de vue américain et en utilisant la dialectique habituelle, ce ne serait plus l’American Dream mais quelque chose comme l’American Nightmare. L’action de l’Amérique fait toujours “imaginer”, c’est-à-dire qu’elle a des effets d’influence absolument considérables, — mais en double négatif de ceux qu’elle obtenait auparavant. L’Amérique n’est plus un pays qui fait rêver mais un pays qui fait cauchemarder.

Indirectement, on peut mieux comprendre certaines analyses auxquelles nous conduit la situation actuelle. Dans ce cadre, effectivement, appréciée selon cette approche de la représentation à la fois ésotérique et publicitaire, la politique de Tony Blair de rapprochement des USA devient une sorte d’anomalie monstrueuse conduite avec un brio exceptionnel, et dont il faut évidemment chercher la compréhension dans le domaine du virtualisme, des “spin doctors”, c’est-à-dire un domaine caractérisé lui aussi par une représentation fabriquée artificiellement, comme l’était l’American Dream et comme l’est le néo-American Nightmare. Des jugements extrêmes sont alors complètement justifiés et l’on peut même dire qu’ils sont les seuls qui peuvent rendre compte de la réelle dimension de cette politique.

Il est devenu difficile, et certainement impossible du point de vue de la perception des enjeux et de la perception des forces en présence, de rendre compte de la situation politique sans se référer à ces domaines de la représentation artificielle et de l’utilisation manipulée de l’imaginaire. On dirait que ce n’est pas nouveau, l’Amérique ayant de tous les temps, c’est-à-dire depuis son origine, utilisé ces méthodes. Jusqu’alors, cette démarche était suffisamment contrôlée, quoique non perçue en conscience dans toutes ses dimensions ; le rêve tournant au cauchemar, dans les événements directs comme dans la perception extérieure de ces événements, ce contrôle n’existe plus, les dirigeants américains continuant à croire à l’excellence et la puissance de leur politique. La conséquence se trouve dans des analyses, elles aussi monstrueuses parce que restituant une perception complètement déformée de la réalité, — mais tout cela d’une telle force que la perception déformée de la réalité pourrait bien remplacer la réalité.

Un exemple de cela avec l’analyse (le 25 juillet) de Jonathan V. Last, du Weekly Standard, du sondage restituant ces 20-33% d’Allemands qui pensent que l’attaque du 11 septembre est un montage. On y comprend que l'Allemagne est devenue un pays “dangereux” :


« Even if you think Old Europe is the past, those numbers should scare the beejeezus out of you. We're not talking about Oman or Syria here — Germany is as mainstream, educated, and first world as it gets. And not only do 20 percent of Germans think that U.S. government blew up the Pentagon and the World Trade Center, but among the younger cohort — the people who will be rising to power in the next two decades — 33 percent buy into what is as nutty a conspiracy theory as has ever existed in modern times. I would submit that whatever George W. Bush's diplomatic failings, a people who believe, contra all evidence, what the Germans do, are beyond persuasion. They are beyond evidence. And logic. And reason. And however buffoonish they may seem to you and me, people like that are dangerous. »