L’Amérique qui perd la boule (“libre”, s’entend)

Bloc-Notes

   Forum

Il y a 7 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 570

Nous citons parfois – pas assez souvent, après tout – Fabius Maximus, sur son site du même nom. Cet analyste discret mais qui a le sens de la tradition ne mâche pas ses mots. Aussi, le 6 janvier 2010, nous annonce-t-il: «China Moves To The Center Of The World. America Moves To The Edge». Il a le bon sens de citer un article du Financial Times

… L’article, à son tour, a le bon goût de citer notamment les aventures d’Obama à Copenhague, dont nous parlions le 28 décembre 2009. Fabius Maximus ajoute fort justement, en citant l’article du FT: «As usual it accurately reports events but remains clueless about the deeper causes.» Citations du FT données par Fabius Maximus:

«Ever since 1945, the US has regarded itself as the leader of the “free world”. But the Obama administration is facing an unexpected and unwelcome development in global politics. Four of the biggest and most strategically important democracies in the developing world – Brazil, India, South Africa and Turkey – are increasingly at odds with American foreign policy. Rather than siding with the US on the big international issues, they are just as likely to line up with authoritarian powers such as China and Iran. The US has been slow to pick up on this development, perhaps because it seems so surprising and unnatural. […]

»The latest example came during the Copenhagen climate summit. On the last day of the talks, the Americans tried to fix up one-to-one meetings between Mr Obama and the leaders of South Africa, Brazil and India – but failed each time. The Indians even said that their prime minister, Manmohan Singh, had already left for the airport.

»So Mr Obama must have felt something of a chump when he arrived for a last-minute meeting with Wen Jiabao, the Chinese prime minister, only to find him already deep in negotiations with the leaders of none other than Brazil, South Africa and India. Symbolically, the leaders had to squeeze up to make space for the American president around the table.

»There was more than symbolism at work. In Copenhagen, Brazil, South Africa and India decided that their status as developing nations was more important than their status as democracies...»

Fabius Maximus, de son côté, définit l’attitude psychologique et l’attitude tout court des USA, avec le contraste entre les illusions entretenues par la psychologie et les réalités de la situation: «American tend to see ourselves as white knights. Selflessly defending nations like the EU and Japan that will not defend themselves. A force for morality — banning bribery, pushing feminism and other western values (which we call “human rights). Meanwhile we beg for lower oil prices and borrow like an tramp on a street corner.»

Notre commentaire

@PAYANT Le titre de l’article du FT du 4 janvier 2010 signalé par Fabius Maximus est «America is losing the free world» Un commentaire accompagnant la citation de l’article de Fabius Maximus dit ceci, parlant du déclin US: «Is this a bad thing .... yes and no. The U.S. is a beacon of freedom and the rule of law for many people in the world, but its recent economic and financial behavior now makes it an international pariah .... especially to those countries who now own much of its growing debt.» On voit combien cette idée du “déclin US” est en fait traduit d’abord par la perte du “monde libre” par l’Amérique – parfois traitée en des termes rudes, comme ce constat des USA devenus “an international pariah”. C’est une donnée essentielle. Le déclin est une chose, la chute du statut de puissance dominante qui se traduit par des événements aussi puissants que ceux qu’on décrits en est une autre, et la seconde peut transformer le premier en un événement beaucoup plus catastrophique qu’un simple déclin, conduisant à des événements graves aux USA. C’est bien là qu’est le nœud du problème: les USA pourraient-ils résister, nous voulons dire résister structurellement (avec capacité d'écarter le risque de dislocation) à la perte de leur statut d’“hyperpuissance” dominante, pourraient-ils “décliner“ en se retirant de leurs engagements extérieurs d’une façon ordonnée? Notre conviction, bien entendu, est que non, qu’une telle possibilité n’est pas envisageable une seconde, que la “perte du monde libre” entraînerait le “déclin” des USA, aussitôt, vers l’option catastrophique pour eux.

Deux choses importantes sont à noter dans les remarques du FT qui sont citées. D’une part, le fait de mettre la Turquie (et l’Afrique du Sud, d’une certaine façon, et même l’Inde) parmi les pays “démocratiques” importants qui sont de plus en plus en conflit avec la politique US («Four of the biggest and most strategically important democracies in the developing world – Brazil, India, South Africa and Turkey – are increasingly at odds with American foreign Policy»). Cette remarque est d’autant plus importante que la Turquie n’a pas joué de rôle important, contestataire des USA, à Copenhague, au contraire des trois autres. Cela confirme ainsi ce que nous jugeons être l’évolution anti-US fondamentale de ce pays très important, qui se marque par une politique clairement établie et déjà structurée, et n'est pas signalée à l'occasion d'un événement spectaculaire.

D’autre part, il y a le fait que ces pays sont désormais moins intéressés par le fait d’être des “démocraties” que par le fait qu’ils jugent faire partie d’un monde antagoniste du monde établi par les USA (laissons de côté les étiquettes type “monde en développement”, qui supposent que ces pays évoluent vers un statut occidentaliste, ce qui est le contraire de l’affirmation faite ici); cela les conduit à être de plus en plus proches de pays-“parias” selon les normes occidentalistes – avec leur référence hypocrite, faussaire et sclérosée de la démocratie – des pays comme la Chine et l’Iran.

Ainsi, le mouvement que décrit le FT et que souligne Fabius Maximus n’est pas vraiment, comme le FT tend à en conclure (et Fabius Maximus, en partie tout de même), un mouvement de contestation des USA en déclin accéléré pour, à la limite, que l’un ou l’autre de ces pays, ou un groupe de ces pays remplace les USA à leur place hégémonique, mais bien un mouvement de contestation des valeurs mêmes, donc des structures mêmes du monde tel que l’ont organisé les USA. La démocratie n’est pas vraiment contestée mais elle est reléguée, ce qui est d’une certaine façon plus grave, à un statut de mode de fonctionnement comme un autre, un statut d’outil d’organisation si l’on veut, et certainement plus du tout une référence et une “valeur”. C’est de ce point de vue que l’évolution ainsi détaillée est révolutionnaire et concerne la crise systémique dans son ensemble, bien plus qu’un affrontement classique pour l'hégémonie. On comprend en effet que la contestation de la démocratie comme “valeur” entraîne, ou entraînera, d’autres contestations des autres “valeurs”, notamment économiques, financières, militaires, et enfin politiques au sens même de la civilisation. Non pas que ces pays aient un modèle à proposer à la place de celui qu’il conteste, mais simplement qu’ils sont sur la voie de contester toute une civilisation sans autre motif ni attendu que le constat implicite que cette civilisation est catastrophique et qu'il faut d'abord tout faire pour éviter la catastrophe. (Voyez dans notre F&C du 15 décembre 2009, la conclusion qui justifie largement cette attitude qui repousse le dogme dit “TINA”, ou “There Is No Alternative”, qui est la seule défense de notre système en cours d’effondrement.)


Mis en ligne le 7 janvier 2009 à 08H04