L’amertume orange amère du Telegraph en Ukraine

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Comme toute la presse d’inspiration néo-conservatrice britannique, le Daily Telegraph fut un ardent soutien de la “Révolution Orange” en Ukraine. C’est le cinquième anniversaire de la susdite révolution et le goût en est amer – même pour le Telegraph, surtout pour le Telegraph.

A quelques petites semaines des élections présidentielles qui pourraient bien voir la victoire de celui (Yanoukovitch) dont la victoire de 2004 fut contestée et renversée par la “révolution” de 2004, et qui fut dénoncé comme “agent de Moscou”, le Telegraph (éditions du Sunday Telegraph) du 27 décembre 2009 publie un long reportage sur l’Ukraine. Le ton orange amère est partout. Les politiciens de la “révolution” sont remis à leur place, particulièrement Ioutchenko, le président aux 3,5% de popularité, dont un portrait très critique est dressé qui va jusqu’à mettre en cause la version du “complot” contre lui (empoisonnement par dioxyne).

• Un passage du texte, également, va jusqu’à présenter le même Ioutchenko comme une sorte de robot stalinien lorsqu’on lui parle de la catastrophe économique ukrainienne sous sa direction… (On se permet de souligner en gras l’étonnant commentaire du journaliste.) «Asked why his popularity has slipped so badly, he responds firstly by insisting that he is still going to win, and then by reciting economic growth statistics at length. When The Sunday Telegraph tries to interrupt after five minutes, he tuts and continuing regardless. “Last year 23 million tourist visited Ukraine. This figure was 21 million for Turkey. One million Ukrainians travelled to Europe last year, two times more than 2007...” The list goes on and on, reminiscent – to Western ears at least – of Communist-era reports on annual tractor production.»

• Quant aux restes attristants de la “révolution”, ce n’est que mélancolie et amertume orange amère à peine dissimulée. On le lit dans cette rencontre avec un étudiant (ou ex-étudiant?) qui participa à la “révolution” si spontanée, avec un détail ou l’autre pour nous montrer la spontanéité de la chose – lorsque l’ex-étudiant nous rapporte avec une sincérité touchante que “des hommes d’affaires réglaient même les notes d’hôtel” pour les “révolutionnaires” rameutés de leur province jusqu’à Kiev. Lorsqu'on connaît la couleur et la composition des réseaux occidentalistes en général suspectés d'être les organisateurs de la “révolution”, le détail, dans la bouche de l'ex-révolutionnaire, vaut son pesant de dollars.

«If it is dispiriting for the Orange Revolution's figureheads, it is even more so for its student-based grassroots support, who were originally denounced as CIA-backed subversives when they threw their weight behind Mr Yushchenko's moderate Our Ukraine party. Nazar Pervak recalls how he was shown on government television as an aggressive young rabble-rouser, causing a rift with his father, a judge.

»“It was extremely cold, like it is out there now,” said Mr Pervak, 27, sipping coffee in an Independence Square cafe. “But it was very exciting – shopkeepers gave free food and clothes, businessmen even paid for hotels for protesters who came in from outside Kiev. Today, though, I feel very disillusioned, because we didn't use the great chance we had properly. Integration with Europe did not come true either. Now Western Europe simply accepts that Ukraine is now under Russia's influence.”»

Notre commentaire

@PAYANT Bref, on solde les comptes. Le Telegraph ne prend plus de gants pour dénoncer l’incurie et l’inefficacité du personnel que la coalition néo-conservatrice et libérale-interventionniste des groupes privés américanistes et occidentalistes, avec le soutien de l’argent officiel US passant par diverses courroies de transmission, installa au pouvoir en décembre 2004. Ce fut une belle opération de “regime change”, mais pour quel résultat? Le reportage sonne comme un acte de décès de toute une politique interventionniste des forces privées américanistes et occidentalistes initiée durant les années 2002-2006 pour imposer à la Russie une pression “démocratique” après qu’il fût avéré que Poutine avait des projets pour son pays.

Bien plus qu’une analyse précise ou l’une ou l’autre déclaration très calibrée, ce reportage marque la défaite complète du mouvement de subversion lancé par les USA de GW Bush contre la Russie. L’époque a changé, diverses crises sont passées par là – celle du 15 septembre 2008 en particulier – et ont modifié le centre de gravité de la politique du monde. Le cas particulier de l’Ukraine sert à éclairer une situation générale qui a silencieusement basculé en un mouvement colossal en l’espace de trois à quatre années. Le tintamarre de la communication a empêché d’apprécier l’ampleur du phénomène, mais cette ampleur est bien réelle.

Il est intéressant de noter combien ce tintamarre de la communication n’empêche nullement la psychologie de percevoir ces grands bouleversements qu’on voudrait dissimuler, ou qu’on ignore tout simplement, par automatisme virtualiste. En fonction de ses origines et de ses conditions, le reportage du Sunday Telegraph montre un second degré intéressant. Il montre que l’état de la psychologie de ceux qui, à l’Ouest, initièrent cette subversion, a aujourd’hui complètement basculé, lui aussi. Cela est, justement, particulièrement révélateur dans un tel reportage, c’est-à-dire d’une façon somme toute assez anodine puisque le texte se veut surtout factuel. L’attention idéologique pour le catéchisme conformiste se relâche et l’amertume de la défaite, la rancœur contre les marionnettes qui n’ont pas su faire leur boulot, éclatent sans la moindre dissimulation. Le reportage devient ainsi singulièrement véridique, comme l’on dirait “par inattention”, ou par contradiction avec la psalmodie habituelle du catéchisme. C’est effectivement de cette façon qu’on peut, aujourd’hui, mesurer l’état de la réalité sinon la vérité des choses. Les dissimulateurs virtualistes sont aussi fatigués que ceux qu’ils manipulèrent après les avoir corrompus, et c’est le phénomène toujours intéressant et particulièrement fourni aujourd’hui de “la discorde chez l’ennemi” qui éclate.

Dans le texte, toute la vindicte, sinon le mépris, sont réservés à Ioutchenko, représenté comme un robot tentant désespérément de faire bonne figure. On égratigne au passage Timochenko, mais sans réelle agressivité – elle, au moins, a su montrer de l’habileté dans le naufrage en lançant un flirt insistant avec Poutine, puisqu’aujourd’hui la proximité avec la Russie est une chose acquise et acceptée, sinon complètement recommandée. Quant à l’“agent de Moscou” vilipendé hier et dégommé par la “révolution”, et possible futur vainqueur des présidentielles, la neutralité de l’article à son égard est complète. On imagine que, si les augures sont confirmés, ils se presseront demain pour féliciter Yanoukovitch, nouveau président ukrainien, et peut-être Yanoukovitch décidera-t-il de garder comme Première ministre la belle Timochenko, qui s’entend si bien avec Poutine. Les dernières pelures de l’orange auront ainsi été balayées avec élégance, comme au lendemain des fêtes trop arrosées.


Mis en ligne le 28 décembre 2009 à 07H33