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6 juin 2002 — C'est un événement d'une réelle importance, de faible portée pratique sans aucun doute mais de grande force symbolique, dans un débat où seul le symbole, avec ses effets extérieurs indirects (médiatiques, de pression, etc), semble pouvoir avoir une chance de faire sauter les verrous politiques qui interdisent un débat politique et stratégique fondamental pour l'Europe. L'ironie de cet événement important est qu'il est le fait, et son honneur dans tous les cas, de l'assemblée parlementaire d'une organisation moribonde, sinon fantôme : l'Assemblée de l'UEO.
(L'Union de l'Europe Occidentale, organisation européenne de défense et de sécurité, est quasiment inactive depuis que l'essentiel de l'effort européen de sécurité a été transféré à l'UE, à la fin des années 1990. L'Assemblée de l'UEO, qui est la seule assemblée européenne pleinement compétente dans ces matières de défense et de sécurité, reste active et se réunit deux fois par an pour ses sessions d'automne et de printemps. Son travail consiste notamment en des études et des rédactions de rapports (en général de bonne qualité) sur les questions de défense et de sécurité intéressant l'Europe. Il est évident que ces caractéristiques de l'UEO vont être largement mises en avant pour discréditer l'importance du vote de l'Assemblée, voire pour le passer sous silence, notamment parce que ni l'UEO ni l'Assemblée n'ont plus aucun pouvoir. Ce serait ne pas comprendre que, dans cette affaire du JSF, ce n'est pas le pouvoir qui compte mais l'influence, — dans les deux sens, et l'on comprend ce que cela signifie. L'Assemblée de l'UEO a fait un vote d'influence de grande signification et complètement justifié du point de vue politique, et également, si cela a encore quelque signification, du point de vue de la morale et du courage politiques.)
Grâce à l'Assemblée de l'UEO, depuis le 5 juin, au cours de sa session de printemps, un texte officiel, voté par des élus européen, mentionne explicitement les graves dangers que font courir à l'Europe et au processus européen, et notamment à son industrie aéronautique et à la politique européenne de sécurité et de défense (PESC), le choix de certains pays européens d'entrer dans le programme américain Joint Strike Fighter (JSF). Il s'agit du vote, mercredi matin, de trois amendements au Document C/1785 adopté par l'Assemblée.
[Le Document C/1785 est intitulé : « Équiper nos forces pour assurer la sécurité et la défense de l'Europe : priorités et lacunes (conclusion du colloque de l'Assemblée) – Réponse au rapport annuel du Conseil »]
Les amendements ont été introduits par la député néerlandaise, madame van't Riet. (Il s'agit évidemment d'une parlementaire qui s'est opposée au choix de son pays d'entrer dans le programme JSF, qui vient d'être confirmé par le Parlement néerlandais.) Voici le contenus des trois amendements van't Riet, en date du 31 mai et votés le 5 juin, qui s'insèrent dans la résolution signalant l'adoption du Document C/1785 :
Amendement n°12 : « Considérant que les propositions américaines concernant le JSF (Joint Strike Fighter) ne garantissent ni de significatifs transferts de technologie ni le maintien des prévisions initiales de coûts de programme ; ... »
Amendement n°13 : « Estimant que le choix du JSF pour équiper les forces aériennes d'un certain nombre d'États membres aura des conséquences négatives pour l'avenir de l'industrie aéronautique européenne et pour l'interopérabilité des équipements entre États européens dans le cadre de la mise en place d'une politique européenne de sécurité et de défense;... »
Amendement n°14 : « De demander aux États membres concernés de reconsidérer leur participation au programme JSF, en tenant compte des solutions européennes disponibles aujourd'hui et des répercussions d'un éventuel choix en faveur du JSF pour l'avenir de l'industrie aéronautique moderne, ce choix étant susceptible de nuire au renforcement des capacités militaires européennes;... »
L'importance de ces trois petits textes doit être mesuré au fait qu'ils officialisent un problème politique jusqu'ici systématiquement ignoré et dissimulé, à force de pressions, d'indifférence et d'une épaisse inculture stratégique. Le choix du JSF constitue une attaque directe contre l'industrie européenne et la PESC, de toutes les façons, technique, stratégique et politique. (Dans son intervention pour présenter ses amendements, madame van't Riet a cité le jugement fameux de l'analyste américain Richard Aboulafia, dans Aviation Week du 1er janvier 2000 : « The JSF could do to the European military industry what the F-16 almost did: kill it. »)
Le choix du JSF par les pays européens concernés est en contradiction dans l'esprit, dans un domaine où l'esprit pèse infiniment plus que la lettre, avec tous les engagements européens signés par les pays ayant fait ce choix. Que cela soit signifié indirectement par des textes qui bénéficient de l'officialisation d'un vote d'élus des pays européens (de l'UEO) constitue une avancée significative, dont devraient pouvoir se servir les personnes et les groupements intéressés par cette question. Les gouvernements peuvent ignorer les textes votés, les organisations européennes actives aussi, mais les uns et les autres ne peuvent plus ignorer que le problème posé par le choix du JSF existe, et qu'il est pressant et grave, et qu'enfin, dans la logique de cette reconnaissance, il mérite un débat public, — et, disons, au moins une attention égale à une petite partie de l'attention accordée par notre civilisation à la Coupe du Monde de football.