L’année des réalistes et l’homme de l’année pour un “pouvoir multipolaire” à Washington

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Pour Jim Lobe, l’année 2007 restera aux USA comme l’année de la bataille ultime et de la victoire des réalistes sur les faucons (des neocons à Cheney-Rumsfeld). Un homme domine cette victoire: Robert Gates, le secrétaire à la défense qui remplaça Rumsfeld à cette fonction le 9 novembre 2006. Jim Lobe fait, aujourd’hui sur Antiwar.com, une excellente analyse de cette ultime bataille des réalistes, après une guerre commencée selon lui en 2004. Lobe reconnaît que les réalistes ont été puissamment aidés par les catastrophiques résultats de la politique des faucons. («That shift, which could still be reversed by events or actors not subject to Washington's direct control, can be credited in part to the manifest failures of policies – particularly in Iraq, elsewhere in the Middle East, and in North Korea – promoted by the coalition of aggressive nationalists, neoconservatives, and Christian Zionists who were empowered by the Sep. 11, 2001 terrorist attacks on New York and the Pentagon.»)

Lobe trace un tableau juste et intéressant de l’évolution des événements à Washington durant cette année 2007. Il montre comment l’arrivée de Gates a complètement modifié l’orientation du Pentagone (nomination des amiraux Fallon et Mullen), comment elle a permis de “récupérer” certaines initiatives des “neocons” (le “surge” en Irak, décidé en décembre 2006), comment elle a permis à Rice d’affirmer une ligne plus modérée pour la diplomatie US, etc. Gates a été au cœur de la plupart des initiatives anti-faucons, notamment la publication de la NIE 2007 sur l’Iran, qu’il a appuyée avec détermination.

«The realist resurgence can also be traced to the rise of specific individuals, who took the place of their discredited predecessors in posts between the beginning of Bush's second term and the end of 2006 when the most important realist of all – Defense Secretary Robert Gates – replaced Donald Rumsfeld at the Pentagon.

»With Gates heading Washington's most-powerful foreign-policy bureaucracy, the return to realism, which was already underway – albeit tentatively – as early as 2004, accelerated sharply. By the end of 2007, the administration's top hawk, Vice President Dick Cheney, looks more isolated than ever.

»Gates – a protégé and deputy of former President George H.W. Bush's national security adviser, neocon nemesis Brent Scowcroft – effectively cleaned out key Pentagon officials who had either actively supported or excessively deferred to Rumsfeld and Cheney. He replaced them with far more independent-minded and skeptical officers, most importantly the current Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Admiral Michael Mullen, and the head of the US Central Command, Admiral William Fallon.»

Lobe précise les conditions de la nomination de Gates en novembre 2006, qui reste un épisode assez mal connu de l’histoire de l’administration GW Bush. Il met notamment en évidence le rôle de Rice, agissant comme courroie de transmission du groupe des “réalistes” de l’administration de Bush-père tels que Scowcroft et Baker. («When it became clear within the administration that Bush himself had become disillusioned with Rumsfeld, Rice – backed by a phalanx of other veterans of the elder Bush's administration, including his secretary of state, James Baker – urged the president to choose Gates, who had been her boss in Scowcroft's National Security Council (NSC) almost 20 years ago.»)

Ce qui apparaît également, d'une façon involontaire, c’est l’extraordinaire fragmentation du pouvoir à Washington et dans l’administration GW Bush. Non seulement le président n’apparaît que comme le réceptacle des diverses influences qui s’exercent sur lui, mais en plus ces influences sont clairement identifiées comme émanant de centre de pouvoir qui agissent d’une façon complètement autonomes, nouent des alliances, ont leur propre programme d’action, etc.

Le texte de Lobe s’achève par une citation de Gates qui est passée inaperçue mais qui est pourtant révolutionnaire, puisqu’elle revient à donner raison au président français Chirac lorsqu’il parlait d’un “monde multipolaire” au grand dam de tout l’establishment transatlantique: «If that was not heretical enough for Cheney and his ilk, Gates went further in an interview last week, asserting a perspective that the hawks have long denounced as anathema. “We are in a multipolar world now,” he told the Washington Post's Jim Hoagland.» Cette parole révolutionnaire pourrait être reprise pour décrire le pouvoir à Washington. Jamais la situation n’a plus été celle d’un “multipolar power” (“pouvoir multipolaire”) qu’aujourd’hui. Les circonstances du “retour” des réalistes à Washington n’impliquent nullement une stabilisation du pouvoir. Comme on l’a vu, ce sont les catastrophes de la politique extrémiste qui ont permis ce retour, et ce retour s’est fait dans des conditions telles qu’il a effectivement accru le désordre du pouvoir au travers de l’accentuation décisive de sa parcellisation.


Mis en ligne le 28 décembre 2007 à 09H49