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3970Le début d’une nouvelle année est un bon moment pour tirer des conclusions sur ce qui a changé, ce qui a fonctionné et ce qui a échoué. L’année écoulée a été remarquable à bien des égards en raison d’un grand nombre d’événements irréversibles et transformateurs. D’une certaine façon, en 2019, nous aurons affaire à une planète très différente. Voyons ce qui a réussi et ce qui a échoué.
Voyons d’abord ce qui a échoué et qui a perdu. On peut d’ores et déjà affirmer sans risque que le plan de Trump pour redonner sa grandeur à l’Amérique (MAGA) est un échec. Sous les statistiques optimistes de la croissance économique américaine se cache le fait hideux qu’elle est le résultat d’une exonération fiscale accordée aux sociétés transnationales pour les inciter à rapatrier leurs bénéfices. Non seulement cela ne les a pas aidées (les cours de leur action s’effondrent actuellement), mais cela s’est avéré un désastre pour le gouvernement américain ainsi que pour le système économique dans son ensemble.
Les recettes fiscales ont diminué, ce qui a entraîné un déficit de plus de 779 milliards de dollars. Pendant ce temps, les guerres commerciales que Trump a lancées ont fait augmenter le déficit commercial de 17% par rapport à l’année précédente. Les plans de rapatriement de la production industrielle des pays à bas coûts restent vaseux parce que les trois éléments clés dont la Chine disposait en s’industrialisant (énergie bon marché, main-d’œuvre bon marché et faible coût des affaires) font totalement défaut [aux États Unis].
La dette publique est déjà au-delà du raisonnable et son expansion continue de s’accélérer, avec pour le seul paiement des intérêts de la dette, une trajectoire qui devraient dépasser 500 milliards de dollars par an d’ici une décennie. Cette trajectoire n’augure rien de bon pour l’existence même des États-Unis. Personne, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs, n’a le pouvoir de modifier sensiblement cette trajectoire. Les embardées de Trump ont peut-être fait avancer les choses plus vite qu’elles ne l’auraient fait autrement, du moins dans le sens d’aider à convaincre le monde entier que les États-Unis sont égoïstes, inoffensifs, finalement autodestructeurs et généralement peu fiables comme partenaires. En fin de compte, quel que soit président des États-Unis, cela a toujours été le cas.
Parmi ceux que le président américain a réussi à blesser le plus on compte ses alliés européens. Ses attaques contre les exportations d’énergie russe vers l’Europe, contre les constructeurs automobiles européens et contre le commerce de l’Europe avec l’Iran ont causé de nombreux dommages, tant politiques qu’économiques, sans pour autant les compenser par des avantages réels ou perçus. Pendant ce temps, alors que l’ordre mondial globaliste, qu’une grande partie de la population européenne semble prête à déclarer comme un échec, commence à s’effriter, l’Union européenne devient rapidement ingouvernable, avec des partis politiques de gouvernement incapables de former des coalitions et un nombre toujours plus grand de populistes sortant du bois.
Il est trop tôt pour dire que l’UE a déjà complètement échoué, mais il semble déjà assez certain que, d’ici une décennie, elle ne sera plus un acteur international sérieux. Bien que la qualité désastreuse et les erreurs ruineuses de la propre direction de l’Union européenne aient une grande part de responsabilité, une partie de celle-ci devrait être attribuée au comportement erratique et destructif de leur Big Brother transocéanique. L’UE s’est déjà transformée en une affaire strictement régionale, incapable de projeter son pouvoir ou d’entretenir des ambitions géopolitiques mondiales.
Il en va de même pour Washington, qui va soit partir volontairement (faute d’argent), soit être chassé d’une grande partie du monde. Le départ de Syrie est inévitable, que Trump, sous la pression incessante de ses bellicistes bipartisans, revienne ou non sur cet engagement. Maintenant que la Syrie est armée de défense anti-aérienne moderne fournie par la Russie, les États-Unis n’y maintiennent plus leur supériorité aérienne, et sans supériorité aérienne l’armée américaine ne peut rien faire.
L’Afghanistan est la prochaine étape ; là, il semble farfelu de penser que les Washingtoniens seront en mesure de parvenir à un accommodement raisonnable avec les Talibans. Leur départ signifiera la fin de Kaboul en tant que centre de corruption où les étrangers volent l’aide humanitaire et d’autres ressources. Quelque part en cours de route, les troupes américaines restantes seront également retirées d’Irak, où le parlement, irrité par la visite impromptue de Trump dans une base américaine, a récemment voté leur expulsion. Et cela va mettre à mal toute l’aventure américaine au Moyen-Orient depuis le 11 septembre : 4 704 milliards de dollars ont été gaspillés, pour être précis, soit 14 444 dollars pour chaque homme, femme et enfant aux États-Unis.
Les plus grands gagnants en sont évidemment les peuples de toute la région, car ils ne seront plus soumis au harcèlement et aux bombardements aveugles des États-Unis. Les autres gagnants sont la Russie, la Chine et l’Iran, la Russie consolidant sa position d’arbitre ultime des arrangements de sécurité internationale grâce à ses capacités militaires sans égales et son savoir-faire démontré en matière de coercition pour imposer la paix. Le sort de la Syrie sera décidé par la Russie, l’Iran et la Turquie, les États-Unis n’étant même pas invités aux négociations. L’Afghanistan relèvera de l’Organisation de coopération de Shanghai.
Les plus grands perdants seront les anciens alliés régionaux des États-Unis, en premier lieu Israël, puis l’Arabie saoudite. Depuis des décennies, les États-Unis ont pu contrôler et déstabiliser sélectivement le Moyen-Orient en agissant grâce à leurs marionnettes locales, mais maintenant toutes ces marionnettes sont en plein désarroi. Elles doivent faire face à un croissant chiite consolidé et à une Russie résurgente et affirmée. Israël ne peut pas faire grand-chose contre la présence militaire iranienne dans le sud de la Syrie, de l’autre côté de sa frontière. Le succès politique du Hezbollah au Liban et la force renouvelée du Hamas dans les territoires palestiniens ajoutent à son stress.
Entre-temps, l’incapacité d’Israël à contrer les récentes attaques à la roquette sur son territoire a démontré l’inutilité de ses systèmes de défense anti-aérienne pour protéger sa population de plus en plus appauvrie. Israël est à peine capable de tenir le coup malgré l’aide militaire américaine de 3,1 milliards de dollars et les généreuses garanties de prêts ; que fera-t-il lorsque cette aide cessera ? Ma prédiction à long terme pour Israël est toujours valable : ce pays cessera d’exister, et quand il cessera d’exister, la plupart des juifs russes, qui représentent environ un tiers de sa population, essaieront de retourner en Russie.
Les récents paris de l’Arabie saoudite se sont tous soldés par des pertes, et le pays est maintenant bloqué sur la voie de la faillite. Sa tentative de poursuivre une guerre au Yémen a été un échec. Les Américains se retirent également de ce conflit, les négociateurs de l’ONU s’en vont, et l’Iran est une fois de plus le gagnant. L’assassinat de Jamal Khashoggi à l’ambassade saoudienne à Ankara a démontré au monde entier la dégradation de l’État saoudien. Son jeune prince est maintenant un paria et ses plans de développement ont été anéantis.
Alors que la Russie et l’Iran sont manifestement gagnants de ce grand jeu et que les États-Unis, l’UE et les alliés occidentaux du Golfe en sont les grands perdants, il est encore difficile de tirer des conclusions sur la Chine. Elle a diversifié ses échanges commerciaux et stimulé sa consommation intérieure, mais une trop grande partie de ses échanges se fait encore avec les États-Unis, ce qui la rend vulnérable aux perturbations économiques. Mais la Chine est politiquement stable et solide, tandis que les États-Unis deviennent rapidement ingouvernables politiquement, obsédés par les intrigues de palais plutôt que par la politique réelle. Cette situation rend très improbable que les États-Unis puissent l’emporter sur la Chine, que ce soit sur le plan économique ou militaire.
Voilà à quoi ressemble l’état de la planète d’où je suis assis. Pour ce qui est de l’avenir, il semble tout à fait certain que nous nous dirigeons vers trois crises majeures simultanées, l’une ayant trait aux finances et au commerce, l’autre à l’énergie, la troisième à un climat déstabilisé. À l’heure actuelle, une grande partie du commerce international mondial est encore liée à deux grandes monnaies de réserve, le dollar américain et l’euro ; les pays qui ont des excédents commerciaux, comme la Chine et la Russie, échangent leurs produits contre la dette occidentale, ce qui en fait globalement des colonies occidentales de facto. Mais la situation évolue rapidement à mesure que de plus en plus de pays font du commerce avec leur propre monnaie, et cela compromet la capacité d’emprunt des pays occidentaux, rend impossible le financement de leurs déficits budgétaires et les oblige à rembourser leurs dettes publiques faramineuses. Ce sera remarquablement perturbant car on ne sait pas comment ils pourront continuer à financer leurs importations essentielles, en particulier l’énergie.
L’énergie est au cœur de l’autre crise à laquelle le monde est confronté. Le pic de pétrole conventionnel a été atteint autour de 2007 alors que celui du charbon l’a été il y a quelques années. Le pétrole non conventionnel (pétrole de schiste) aux États-Unis devrait bientôt atteindre son apogée pour des raisons qui ne sont que partiellement liées à la diminution des ressources (l’ensemble de ce business est lourdement endetté et ne pourra jamais rembourser ses dettes et sera contraint de réduire ses forages dès que sa capacité à générer de la dette sera réduite). Le seul pays disposant d’une vaste base de ressources (pétrole, charbon, gaz naturel et énergie nucléaire) est la Russie, qui restera probablement le fournisseur mondial d’énergie de dernier recours pour les décennies à venir. Elle est désormais en mesure d’exploiter les réserves pratiquement illimitées d’uranium 238 en surface qu’elle peut convertir en combustible dans ses derniers réacteurs à neutrons rapides (BN), qui peuvent également brûler le plutonium des armes nucléaires et des déchets nucléaires de haute activité.
La déstabilisation du climat coûtera cher à tout le monde, mais là aussi, il y a des gagnants et des perdants, et la Russie sera à nouveau le grand gagnant. Le climat plus chaud lui permet déjà de devenir le grenier à céréales et le plus grand exportateur de céréales du monde. Pendant ce temps, de nombreux pays plus au sud connaissent des vagues de chaleur et des sécheresses de plus en plus sévères et fréquentes, des tempêtes plus violentes, des inondations d’eau salée et d’autres calamités liées au climat, ce qui compromet leur capacité de produire des aliments et génère des millions de réfugiés climatiques.
C’est le tableau d’ensemble que je vois alors que la planète navigue sur les eaux de cette année 2019. Les perdants ultimes sont les États-Unis, suivis de l’UE et de leurs alliés du Moyen-Orient. Les gagnants ultimes sont la Russie et l’Iran, suivis par la Chine. Tous les autres sont coincés au milieu, obligés de réévaluer rapidement la situation et de réorganiser leurs alliances et leurs relations commerciales. Il semble probable qu’en regardant l’année écoulée, nous en viendrons à la considérer comme un nouveau 1990, une année où le monde s’est soudainement retourné, surprenant à peu près tout le monde. Espérons que tout se passera aussi paisiblement maintenant qu’à l’époque. Bonne année à tous !
(Le 3 janvier 2019, Club Orlov– Traduction du Sakerfrancophone.)