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161228 septembre 2013 – On a vu par ailleurs (le 13 septembre 2013, le 18 septembre 2013 et le 21 septembre 2013), à mesure des événements allant dans ce sens, ce que nous jugeons être la relance de la crise Snowden/NSA dont on pourrait juger qu’elle se trouve dans sa deuxième phase, extrêmement élargie, avec des conséquences politiques d’ores et déjà considérables. (Voir le 21 septembre 2013 et la crise ouverte des USA avec l’Amérique latine, notamment avec le Brésil comme le montre le discours de Rousseff à l’ONU [le 25 septembre 2013], spécifiquement à cause de la NSA.)
La crise Snowden/NSA n’a en rien été affectée, dans son intensité, et même au contraire vue l’intensité de la deuxième phase, par la “vedette” de la communication que s’est arrogée pendant trois semaines la phase éruptive de la crise syrienne liée à l’attaque chimique du 21 août 2013. Nous insistions (le 13 septembre 2013) sur ce que nous jugeons être l’interconnexion de ces crises, par des biais particulièrement efficaces et révélateurs :
«Notre appréciation, comme hypothèse, est que la crise Snowden/NSA dans son “activisme” touchant la majorité de la population aux USA, a fortement préparé les psychologies à la phase paroxystique de la crise syrienne, à partir du 21 août, dans le sens de la manifestation très rapidement imposante d’une opposition aux frappes contre la Syrie et, plus généralement, de l’affirmation d’un sentiment anti-interventionniste, voire neo-isolationniste. Cela vaut aussi bien pour les parlementaires eux-mêmes, particulièrement à la Chambre des Représentants, et le lien doit être fait sans hésitation entre le vote sur la NSA de fin juillet (voir le 27 juillet 2013) et l’opposition de cette même Chambre à la demande de soutien aux frappes contre la Syrie du président Obama, à partir du 31 août.»
Cette situation de la crise Snowden/NSA, qui a résisté à la frivolité et aux tendances idéologiques du système médiatique, et à la dynamique du très court terme du système de la communication, signale un nouveau phénomène crisique de très grande importance. Désormais, les crises qui éclatent puis s’installent dans l’infrastructure crisique, acquièrent une nouvelle dimension, avec leur résistance extrêmement efficace à la technique du cloisonnement que le Système a toujours cherché à imposer pour écarter la perception de la crise générale, ou d’effondrement de lui-même. Désormais, les liens entre les différentes crises qui s’installent ou se développent sont de plus en plus souvent plus forts que la rupture qu’on voudrait installer entre elles pour les tenir séparées. Parallèlement, les crises deviennent de plus en plus profondes, d’ailleurs en bonne partie parce qu’elles s’irriguent les unes les autres, et produisent souvent elles-mêmes d’autres crises qui contribuent au “maillage crisique” général que nous observons sous la forme de l’infrastructure crisique.
D’autre part, toujours en considérant la période des trois derniers mois, on constate un autre événement remarquable dans l’évolution du phénomène crisique, cette fois avec la séquence du 21 août (attaque chimique) de la crise syrienne. Cette séquence a permis de constater avec quelle vélocité et sans que personne n’en puisse assurer le contrôle, comment une crise jusqu’alors fixée sur son territoire et ses alentours (la Syrie et le Moyen-Orient) pouvait essaimer vers le centre du Système (les USA) et provoquer en son sein une sorte de “réplique” dans le sens sismique du terme, finissant par devenir l’épicentre de la crise, sinon la crise elle-même, en acquérant une dimension complètement nouvelle. (Il s’agit désormais de la politique extérieure des USA, de son orientation belliciste, mise en question par un courant anti-interventionniste, sinon neo-isolationniste, qui s’est déjà manifesté sous une autre forme dans la crise Snowden/NSA par le vote de la Chambre des Représentants du 24 juillet [Voir le 27 juillet 2013].)
Ces appréciations concernant le temps courant sont là pour nous faire apprécier le degré d’incontrôlabilité qu’atteignent les événements les plus importants, les plus surveillés, les plus “entourés”, avec comme effet d’échapper à toute gestion sérieuse ; en un sens, c’est constater le paradoxe des événements les plus apparemment “contrôlés“ qui s’installent dans une complète incontrôlabilité. On pourrait même avancer l’hypothèse que plus on veut contrôler un événement (une crise), plus cet événement échappe à ce contrôle en accentuant son aspect crisique. Ce dernier point, éclairé et suggéré par les exemples qui ont précédé, est celui que nous voulons offrir comme référence pour introduire une analyse de Harlan K. Ullman qui, à son tour, nous servira de référence pour notre réflexion.
Cette analyse très générale, publiée sur UPI, date du 11 septembre 2013 et prétend s’atteler à distinguer les principaux risques et les principales menaces auxquelles sont confrontées nos sociétés. En un sens, ce texte peut se voir comme complémentaire de celui du 16 septembre 2013 sur la formation du CSER (Center for Study of Existential Risks) et les réflexions que nous ont inspiré l’événement. La différence est que Ullman envisage des catégories d’acteurs dans différents domaines déterminés par les spécificités de ces acteurs, tandis que le texte que nous citons envisage les différents domaines déterminés par les activités couvertes par ces domaines. On ne parvient donc pas au même nombre dans les deux classements, parce que l’approche est complètement différente ; mais c’est bien en cela que les deux textes sont complémentaires...
Ullman base son analyse, essentiellement sur le phénomène du système de la communication et dans ses effets multiples dans un monde extraordinairement interconnecté et aux réactions ultra-rapides. Son constat est, sans surprise, celui de la perte de pouvoir des entités traditionnelles, principalement les États, et le surgissement d’effets de puissances inattendues par rapport à la faiblesse presque dérisoire de leurs sources.
«The driving force behind these transformations is largely the wholesale diffusion of all forms of power magnified by the information revolutions in what is an interconnected and globalized world. In one sense, this diffusion of power has lessened the relative power and influence of the United States among others. In another, this same diffusion has empowered individuals and so-called non-governmental organizations to have growing influence and authority at the expense of states and the state system that has been in place since the Treaty of Westphalia was signed in 1648...»
Ullman détermine un classement de quatre catégories (alors que le CSER, cité dans l’article référencé, identifie huit domaines) ; il les nomme d’une façon imagée les “nouveaux Quatre Cavaliers de l’Apocalypse”. Ainsi ne nous est-il rien caché de notre destination finale... «And more to the point, these tectonic changes have also replaced the traditional Four Horsemen of the Apocalypse with new and possibly more dangerous riders. The new riders that threaten global society begin with failed and failing governments from Afghanistan to Zimbabwe with Brussels and Washington in between. Debate over Syria and what Congress decides is exacerbated by failing or dysfunctional government in which the possible choices and outcomes are not merely worst case. They are “worstest,” if such a category exists.
»Second are economic dislocation, despair and depravation. For example, no matter who leads Egypt, because too many of its people live on $2 a day, absent the resources, no government can solve this first order economic crisis. Europe is not out of the woods regarding its economic condition. And in the United States, increasing divisions between rich and poor will only be exacerbated by debts and deficits that ultimately will erode standards of living for many and limit expectations that future generations will do better than their predecessors.
»Third are radical ideologies that employ terror to disrupt, terrorize and serve as the weapon of choice. Religious extremism, whether in the form al-Qaida, Salafism or radical Shiite views draws strength from the first two horsemen, rekindling the 13-centurie-old struggle between Sunni and Shiite and fomenting a potential fight to the death over who controls the Sunni sect.
»Fourth is climate change and global warming that irrespective of cause could be the wildest of wild cards affecting global society...»
On observera combien Ullman, pourtant un membre distingué de l’establishment washingtonien, a une approche originale. (Cette originalité est bien entendu l’une des causes qui fait que nous nous référons souvent à lui, comme une des sources intéressantes à l’intérieur de l’establishment.) Pour prendre l’un des points les plus exemplaires de cette originalité, lorsqu’il cite l’économie comme un des quatre Cavaliers de l’Apocalypse, il ne cite pas une “crise économique”, un événement conforme aux critères habituels du Système et de la science économique qui contribue si souvent à renforcer le Système, c’est-à-dire un événement conjoncturel dont le Système peut prétendre, – et il ne s’en prive pas, – venir à bout ; d’une façon complètement différente, Ullman se réfère à des spécificités fondamentales, sociales, humaines et psychologiques, de la situation économique de crise, c’est-à-dire un ensemble définissant un événement structurel dont la logique met implicitement en cause le système économique, donc le Système. Raisonner de la sorte, c’est impliquer que ce qui est considéré là n’est pas une “crise économique” mais une situation économique générale, dont l’une des particularités est d’être en crise conjoncturelle mais qui ne se réduit pas à cette particularité et qui se révèle structurel dans la logique sollicitée. De cette façon, ce n’est pas un événement conjoncturel qui est désigné (une “crise économique” au sens classique, ou au sens-Système) mais une situation générale, par conséquent c’est le Système lui-même qui est en cause, – et qu’il soit également une crise n’a certes rien pour nous étonner.
L’essentiel du propos d’Ullman dans son identification des “facteurs de risques” qui caractérisent, non pas notre civilisation, mais la crise de notre civilisation devenue contre-civilisation, est la notion de perte de contrôle qu’on a déjà soulignée plus haut. Plus personne n’est capable de réguler les causes rampantes de ces crises, qui sont par nature insaisissables, rétives aux mesures habituelles de type sécuritaire, voire régulatrice, venues des pouvoirs en place. Bien entendu, on observe, sans la moindre surprise, que ces caractères sont engendrés par le Système lui-même, c’est-à-dire par les divers pouvoirs en place pour transmettre les impulsions du Système ; il s’agit de la centralisation du technologisme, en même temps que sa diffusion, dans tous les cas dans le champ de la communication, tandis que s’effritent l’autorité et la légitimité des pouvoirs-Système en place, et des moyens qui vont avec, ce qui permet à un Snowden qui n’a apparemment aucun pouvoir de maîtriser une filière technologique d’accès aisé pour lui dans la position qu’il avait, de disposer d’une concentration de puissance fantastique et des relais de communication qui vont avec, pour parvenir au bout de son périple à ébranler le Système dans ses fondements. Les disparités économiques explosives, qui minent le Système, de même que les nébuleuses terroristes qu’on croit manipuler et qu’on finance et arme pour cela, qui acquièrent rapidement leur propre autonomie pour poursuivre leurs propres buts, sont des situations spécifiques nées du Système. Il s’agit des constantes interférences du Système dans les domaines économique et sécuritaire, pour faire progresser aveuglément sa puissance (sa surpuissance) sans souci des dégâts collatéraux qui deviennent si importants qu’ils finissent par interférer sur cette surpuissance pour la limiter décisivement, puis par contester et investir la centralité de cette dynamique dans l’évolution de la situation, à un point où l’on observe l’habituel basculement de la surpuissance à l’autodestruction. Ce processus ce cesse de s’accélérer, comme toute dynamique dépendant, – paradoxalement pour ce cas, – du Système ; il s’en déduit finalement que le Système crée désormais des logiques et des dynamiques antiSystème plus vite qu’il ne fait progresser sa propre surpuissance. Il est définitivement entré dans sa phase autodestructrice.
On observe que le spectacle prospectif que nous offre Ullman correspond parfaitement à notre propre perception dans le sens où il nous présente une civilisation (contre-civilisation) où les structures de contrôle et d’autorité sont dans un processus de déstructuration si avancé qu’on peut parler d’un état affirmé de déstructuration, et d’ores et déjà engendrant la dissolution de toutes les forces qu’elles prétendaient contrôler, voire qu’elles avaient elles-mêmes initiées, sinon d’ores et déjà déstructurées. (Ce constat vaut même pour le quatrième Cavalier, la crise environnementale, qui a été laissée à sa logique eschatologique après quelques années de tentative de la maîtriser, – situation renvoyant au texte du 16 septembre 2013 sur le CSER.) Les nouveaux Quatre-Cavaliers pourraient être décrits comme une dynamique de dissolution accélérée, sur une situation de déstructuration acquise, – une “dynamique de dislocation accélérée”, si l’on veut. Cela laisse le champ aux événements pour organiser leur propre dynamique, selon leur propre logique. L’Histoire se fait toute seule, et elle est nécessairement métaHistoire car seule une métaphysiques peut ainsi donner un sens à l’histoire en cours, ce sens étant la destruction du Système par quelque mécanisme que ce soit ; cela donne d’autant plus de crédit à l’hypothèse qui envisage que cette puissance métahistorique peut elle-même figurer comme la cause centrale, supérieure à l’agitation humaine, accouchant de cette situation en flux constant et en rapide accélération.
Ce qui doit être d’abord constaté à ce point du raisonnement c’est que ce que nous nommons pour décrire l’ensemble de la situation “dynamique de dislocation accélérée”, qui devrait figurer selon nos conceptions comme l’action du Système (action type “dd&e”, ou déstructuration-dissolution-entropisation) est devenue une action qui détruit le cadre dynamique général mis en place par le Système, et passée en phase accélérée (disons turbo) ces dernières années, depuis 1989-1991 mais surtout depuis 1999-2001. Il y a inversion, retournement complet, essentiellement depuis 2008 et la crise financière, comme nous l’avons souvent observé. (Voir par exemple, dans le Glossaire.dde, les 17 novembre 2013 sur la politique-Système et 10 décembre 2013 sur le bloc BAO.) Cela correspond à la fameuse tactique du “faire aïkido” que nous avons souvent évoquée, comme par exemple dans le texte sur la Résistance antiSystème du 2 juillet 2012 : «L’opérationnalité de la résistance antiSystème se concentre naturellement dans l’application du principe fameux, et lui-même naturel, de l’art martial japonais aïkido : “retourner la force de l'ennemi contre lui...”, – et même, plus encore pour notre cas, “aider la force de cet ennemi à se retourner naturellement contre lui-même”, parce qu’il est entendu, selon le principe d’autodestruction, qu’il s’agit d’un mouvement “naturel”» Il s’agit d’une situation d’inversion totale de la puissance du Système retournée contre le Système, se référant à l’équation surpuissance-autodestruction.
Dans la logique de l’hypothèse envisagée d’une action dynamique surpassant la volonté et l’action humaines, le plus remarquable se trouve dans la facilité avec laquelle les principaux acteurs humains, pourtant dans leur très grande majorité acceptant le Système, par conviction ou par fatalisme c’est selon, renforcent, encouragent, accélèrent cette dynamique que nous synthétisons sous l’expression de “dynamique de dislocation accélérée” du Système. Les populations ne réagissent pas activement, selon les normes du domaine, par des révoltes, des “révolutions”, etc. Les dirigeants continuent à faciliter l’endormissement et l’amorphisme de ces opinions publiques, ce qui semblerait habile mais qui est en fait catastrophique dans leur chef. Adhérant souvent par conviction à la pseudo-validité du Système, ils devraient croire que ce Système, s’il est bien présenté, devraient recueillir un appui dynamique de la population ; ainsi, en choisissant la politique de l’endormissement (mais on sait bien pourquoi, à cause de leur propre terrorisation), ils se privent de dynamiques populaires dont ils pourraient croire qu’elles viendraient renforcer leur action de soutien du Système ... Au reste, eux-mêmes, ces dirigeants politiques, par leur futilité, l’errance de leur pensée qui deviendrait presque une doctrine (l’erratisme ?), l’intégration de l’affectivité dans leurs politiques et la croyance dans leurs propres narrative, etc., tout cela produisant des “politiques” catastrophiques et contre-productives, accélèrent encore plus cette même “dynamique de dislocation accélérée”, faisant d’eux-mêmes des adversaires involontaires du Système.
Pourtant, il faut arrêter là ce catalogue des amorphismes et des impuissances erratiques. Il s’avère, comme on le voit souvent dans nos analyses courantes, qu’il existe tout de même des réactions, dont certaines sont très puissantes et remarquablement efficaces ; l’intérêt de la chose étant bien entendu que ces réactions sont toutes antiSystème. Ces réactions révèlent en effet une capacité antiSystème inédite, en utilisant les moyens nouveaux de la puissance et du pouvoir dans cette époque devenue “psychopolitique”. La population réagit passivement, secrètement, par ses impulsions de psychologie collective, comme dans sa façon de se dresser contre les attaques contre la Syrie ; ces impulsions ne sont pas efficaces dans le sens antiSystème en elles-mêmes, mais sont antiSystème par le dérèglement supplémentaire qu’elles imposent aux directions politiques/au Système. De leur côté, ces même directions politiques connaissent à leur tour des défections antiSystème suffisamment graves pour interférer victorieusement dans la politique-Système, d’une façon qui ne peut être jugée que comme antiSystème (le Congrès US dans l’affaire syrienne). Ainsi l’amorphisme et l’erratisme recèlent-ils des échappées antiSystème qui font des sapiens apparemment soumis au Système, par conviction, tromperie ou fatalisme, soudain des antiSystème actifs.
Ces soudaines poussées antiSystème, outre d’utiliser des moyens inédits qui montrent leur adaptation aux nouveaux outils de la puissance et du pouvoir, se manifestent en plus dans des circonstances à la fois extraordinaires et indéfinissables, – et pour tout dire, rejoignant l’origine du propos (Ullman), incontrôlables. C’est ce que nous tentions d’évoquer dans nos textes du 29 août 2013 et du 25 septembre 2013 , à propos du cas si caractéristique de la dernière séquence paroxystique de la crise syrienne :
«... De ce point de vue, cette action générale n’a pas l’efficacité antiSystème qu’elle devrait avoir pour être considérée avec avantage parce qu’elle ne dénonce pas une démarche spécifique. Mais cela n’importe guère, surtout au regard de l’avantage apporté en contrepartie par cette profusion, ce qu’on pourrait définir comme un “bruit” de communication dissidente hostile et constant, d’accusations et de réquisitoires, qui est générateur d’une grande confusion. Ajoutée aux incertitudes qu’on constate dans le chef du Système, ce “bruit” général de la communication hostile forme lui-même un ensemble de grande confusion et devient, dans ce cas, un facteur antiSystème objectif évident.»
Le constat général à ce point est que l’immense situation de confusion qu’on décrit, tant au niveau des directions politiques que du public, avec tous les facteurs décrits (amorphisme, erratisme, etc.) produit néanmoins un effet général extrêmement important qui va dans le sens de cette “dynamique de dislocation accélérée” du Système, ou processus dd&e inverti. Il s’agit, de la part des acteurs-sapiens, d’un phénomène extraordinaire qui requiert toute notre attention. La question évidente concerne la cause de ce phénomène.
Comme toujours dans notre époque, dans le cas des “événements” des relations internationales et de la situation générale de l’infrastructure critique du point de vue des interventions humaines, ce qui compte n’est plus l’événement parce qu’il n’y a plus d’événement à proprement parler qui soit réellement maîtrisé par la composante humaine, mais la communication entourant l’apparence de l’événement ou une narrative d’événements envisagés, construits comme autant de projets jamais réalisés. L’on comprend bien, on le sait depuis longtemps et la chose ne cesse de se renforcer, que la communication semble effectivement quelque chose qui recèle et produit avec une puissance et un systématisme considérables le caractère central de l’incontrôlabilité. Cette incontrôlabilité, c’est ce qui marque les nouveaux Quatre-Cavaliers, avec par conséquent un rôle fondamental échu au système de la communication, et par conséquent elle-même de plus en plus renforcée. La conséquence est que cette incontrôlabilité a contribué à ouvrir les vannes à une psychologie déchaînée qui agit de son propre chef, d’une façon toujours inattendue, et qu’elle continue à entretenir cette dynamique dans un sens maximaliste...
Notre idée centrale devient alors que ce déchaînement de la psychologie est la principale cause de ce qui doit être perçu dans le chef d’événements hors de notre contrôle comme une accélération de l’Histoire, et dans le sens où ce déchaînement agit involontairement comme un accélérateur des événements qui vont ensuite développer eux-mêmes des situations favorables à la “dynamique de dislocation accélérée” du Système. Si l’on prend le premier des nouveaux Quatre-Cavaiers de Ullman, qui est l’effondrement de la légitimité des pouvoirs constitués et le développement à mesure d’initiatives dissidentes, souvent individuelles, dans un but qui s’avère nécessairement antiSystème, on en vient évidemment à l’exemple d’Edward Snowden qui agit objectivement dans le plus complet mépris des règles de confidentialité, du devoir de réserve, du respect du service de sécurité nationale, etc. Sa dissidence est parfaitement individualiste et n’a dépendu dans son origine d’aucune pression événementielle, sinon son jugement individuel du caractère maléfique de l’activité de la NSA. (Bien évidemment, notre jugement “activiste” est absolument favorable à Snowden, puisqu’il est antiSystème, de même que notre jugement “activiste“ est que les règles que Snowden a transgressées n’ont plus aucune légitimité et ne méritent plus que d’être transgressées ; ce que nous établissons est la définition objective de son comportement subversif par rapport à des règles de conformité à des références qui sont à l’origine celles du patriotisme ; bien entendu encore, toujours la même précision, ce “patriotisme”-là est pour nous complètement subverti par le Système et signifie le contraire de ce qu’il prétend être, mais ce n’est nullement évident dans le monde-Système courant, et ce ne l’était nullement pour Snowden à l’origine.)
Si on compare le comportement de Snowden avec l’autre grand whistleblower historique, Daniel Ellsberg avec ses Pentagon Papers de 1971, nous découvrons une différence d’importance : Ellsberg agisssait en réaction à un événement catastrophique déjà en cours (la guerre du Vietnam), pour tenter de le stopper, – et il n’y parvint pas, selon son propre aveu. Snowden, lui, agit selon une supputation propre qui n’est la conséquence d’aucun événement catastrophique spécifique. Pour nous, la psychologie de Snowden, exacerbée par un environnement de déchaînement de la psychologie, réagit par anticipation ; en quelque sorte, il se met au service d’événements potentiels qu’on jugerait autonomes de toute maîtrise humaine et leur donne la clef qui leur permettra d’acquérir leur dynamique et de se développer. Snowden n’a pas prévu une seconde que son action aboutirait, pour l’instant et pour ne prendre qu’un seul exemple, au discours de Rousseff à l’ONU, et à l’antagonisme de l’Amérique Latine contre les USA. Snowden a été un outil essentiel, grâce à sa psychologie déchaînée, d’une potentialité événementielle qui est devenue un événement catastrophique pour le Système. Son action est ainsi complètement différente de celle de Ellsberg. (Encore une fois, sans aucun jugement d’aucune sorte, Ellsberg et Snowden ayant droit à notre égale considération pour les héros antiSystème qu’ils sont, et leur comportement héroïque. Seule nous importe l’évaluation qu’on fait des environnements événementiels qui les caractérisent l’un et l’autre.)
Même pour ce qui concerne le moins “humains” des nouveaux Quatre-Cavaliers, qui est celui de l’environnement («Fourth is climate change and global warming that irrespective of cause could be the wildest of wild cards affecting global society...»), le déchaînement de la psychologie humaine est à l’œuvre. Dans le texte (16 septembre 2013) que nous citions comme étant l’analyse dont la présente serait complémentaire, nous marquions l’extraordinaire rapidité de changement de perspective entre le “rapport Stern” d’octobre 2006 et la création du CSER d’il y a un mois. Nous pouvons résumer ce propos en rapprochant quelques remarques éparses de cette analyse du 16 septembre...
«Le “rapport Stern” [d’octobre 2006] était un document recommandant une stratégie de lutte contre ce processus [de la crise de l’environnement,] avec comme philosophie implicite qu’il existait effectivement une possibilité d’infléchir la courbe générale de déstructuration et de dissolution de l’environnement... [...] Sept ans plus tard, avec la création du CSER comme événement symbolique, on peut mesurer le chemin parcouru dans le sens de la dégradation extraordinairement rapide de la situation... [avec] l’abandon complet de toute possibilité d’incurver la ligne de développement du Système d’une façon organisée, de l’intérieur du Système, en pleine collaboration “raisonnable” avec lui sinon sous ses auspices. C’est de facto l’acceptation complète de l’équation surpuissance-autodestruction, donc la reconnaissance implicite du caractère malin sinon maléfique du Système. Le CSER est mis en place, non pas pour changer la ligne de développement du Système, mais pour appréhender les menaces et les risques innombrables que cette ligne de développement suscite, comme une ligne de défense contre les attaques de destruction venue du cadre dans lequel on se trouve, et qu’on continue d’ailleurs à glorifier dans un élan schizophrénique qui ne se dément pas. C’est un constat complet d’échec de la ligne de contre-attaque avec l’aval et la collaboration du Système suggérés par le rapport Stern...»
En 2003-2008, au plus haut de l’alerte environnementaliste, il était admis selon les normes du catastrophisme accepté, que des événements considérablement déstructurants et eschatologiques allaient nous conduire dans des crises terribles. La référence chronologique prospective était la fin du siècle (2100), impliquant que c’était sur cette durée qu’il fallait, soit tenter d’incurver le développement du Système, soit de mettre en place des dispositions extrêmes pour parer à des effets catastrophiques. Le CSER, lui, est mis en place pour des événements où le plus long terme envisagé, purement théorique, est 2025, et où le début de la pression des événements catastrophiques est pour aujourd’hui, – sinon hier ; nous sommes ainsi passée de la prospective contrôlée-2100 à la “prospective” incontrôlable-2013, éventuellement jusqu’en 2025 (disons, pour garder un semblant de contrôle scientifique)... La crise fondamentale de notre psychologie, depuis 2008 essentiellement, a bouleversé toutes les prévisions rationnelles et procédé elle-même à la mise en place d’une perception si alarmiste, si catastrophiste, qu’elle en précède la crise donnée qu’elle veut appréhender, à un point qu’on pourrait avancer l’hypothèse qu’elle précipite cette crise, dans tous les cas dans notre représentation, – ce qui est l’essentiel pour ce qui concerne notre perception de la situation du monde. En ce sens, le déchaînement de la psychologie accélère le processus des crises, paradoxalement jusqu’aux crises eschatologiques elles-mêmes, permettant aux événements de se mettre en place dans ce sens, de se développer d’eux-mêmes en représentation de ces crises, sinon découvrant ou actant finalement les crises réelles d’une façon que l’on dirait “fataliste”, indirectement d’une façon autodestructrice pour le Système (comme si nos psychologies concluaient inconsciemment : “puisque cela doit se produire, autant que cela se produise le plus vite possible”) ... En quelque sorte, nous n’avons pas besoin du cataclysme pour croire au cataclysme, nous y croyons tellement, depuis le bouleversement psychologique de 2008, qu’il est déjà dans nos psychologies (dans nos têtes), donc qu’il existe avant d’exister, donc que l’événement a toute liberté pour s’imposer lui-même, et même de gagner du temps (contraction du Temps correspondant à l’accélération de l’Histoire) par rapport au développement dit-“normal”. Tout se passe, pour nous, comme s’il avait déjà lieu...
Nous dirions alors que, si l’incontrôlabilité est sans aucun doute la marque fondamentale des risques et des menaces qui pèsent sur le monde, et sur le Système, comme Ullman l’affirme avec ses nouveaux Quatre-Cavaliers, elle est aussi et surtout la marque du déchaînement de nos psychologies. Ce phénomène semble avoir l’étrange pouvoir, et complètement inconscient certes, de susciter les événements qui vont bientôt prendre leur place dans l’enchaînement catastrophique en route depuis 2008, et selon un rythme qui ne cesse d’accélérer. Effectivement, c’est une accélération de l’Histoire et, surtout, d’une Histoire devenue décisivement incontrôlable. On conclura évidemment qu’il n’y a rien d’étonnant, par conséquent, que l’apocalypse le soit également.