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8 juillet 2005 — On pourrait trouver beaucoup de similitudes entre Tony Sarkozy et Nicolas Blair (oups! Pardon, nos lecteurs auront rectifié d'eux-mêmes, comme des grands); on pourrait trouver également incongru de chercher, — et de trouver, — tant de similitudes entre les deux hommes. The Independent, qui publie aujourd’hui un long portrait du Français, observe que « [t]o French activists of the left, Sarko is the free-market devil incarnate — or worse, Tony Blair in Gallic form ». L’article ne manque pas de nuances, sur le thème : qu’est-ce qui fait courir Sarko et ne court-il pas un peu trop vite, un peu trop tôt et ainsi de suite? Après tout, c’est la thèse du sprinter qui court un 10.000 et qui démarre le premier des 30 tours de stade sur la moyenne de 12 secondes au 100 mètres. (La France terriblement archaïque citerait le bon monsieur de La Fontaine, archaïque comme chacun sait, et sa fable Le lièvre et la tortue.) Il y a aussi, bienvenus, de nombreux aspects humains dans le portrait de Sarko puisque ses démêlés avec son épouse en sont l’un des thèmes importants. C’est un aspect incontestablement humain, comme est humain le sentiment que l’agitation frénétique de Sarko décrit parfois comme proche de la crise de nerfs peut aussi être diagnostiquée comme une façon de dissimuler une peine profonde et de lutter contre elle. Tous ces hommes sont humains, après tout.
L’article de John Lichlied ne manque pas de nuances mais il s’appuie un peu trop sur ce lieu commun des spin doctors britanniques : la France est un pays retardataire et immobile, Sarko arrivera-t-il à l’éveiller? Il publie cela le lendemain du jour où Londres a subi l’attaque terroriste la plus violente de son histoire, “la pire attaque depuis la Deuxième Guerre mondiale”, titre le même The Independent. On observera que cette attaque, exceptionnellement bien préparée et coordonnée, donc agrémentée dans ses préparatifs de nombreux déplacements et communications qui auraient pu mettre la puce à l’oreille, n’est pas vraiment à mettre à l’actif de Tony Blair, ni au modernisme absolument efficace de ses services de sécurité sur les dents contre le terrorisme depuis des années. Sur le moment, celui-ci (Blair) s’est senti un peu plus churchillien: il a réagi avec des déclarations péremptoires et il a pris l’héroïque décision de maintenir le sommet du G8, comme si l’on était en pleine bataille d’Angleterre, en y ajoutant quelques bons lieux communs bushiste (celui-ci selon lequel le terrorisme est une activité barbare; tout le monde approuvera gravement).
La réalité, comme pour Aznar en avril 2004, c’est que Blair a exposé son pays aux coups des terroristes et, en quatre ans, n’a rien pu faire pour l’en protéger efficacement (il semble bien que les services anti-terroristes britanniques étaient au courant de la possibilité de l’attaque et n’ont rien pu faire, — mais il y a certes de nombreuses thèses plus ou moins complotistes sur cet aspect des choses, dont celle de Justin Raimundo, sur antiwar.com, le 7 juillet). En plus, soyons cyniques, comme sont les spin doctors: en termes de PR (Public Relations), le 7 juillet c’est le Trafalgar (d’un French point de vue) de Blair. Les deux énormes coups médiatiques que sont le choix de Londres pour les JO et le sommet du G8 ont été balayés de la une des journaux qui font leur travail de supplétifs de la politique virtualiste par cette question: la politique hystériquement pro-US de Blair depuis 11/9, avec l’Irak et le reste, est-elle vraiment payante, à part de casser les reins de l’armée anglaise et d’exposer l’Angleterre au terrorisme?
(La France, qui est un pays résolument archaïque en matière de PR, disait d’une voix plaintive, par la voix d’un officiel retour de Singapour et retranscrivant ce qu’avait déclaré au micro le maire de Paris : « Monsieur Blair a passé son temps à Singapour à rencontrer les officiels indécis du CIO pour les convaincre avec tous les moyens possibles et nous ne l’avons pas fait parce que cela est interdit par le règlement. » Est-ce la différence entre un pays archaïque et un “modèle” postmoderne? Est-ce pour cela que la France est archaïque?)
Dans toutes ces agitations qui les rapprochent effectivement, il y a quelque chose de profondément important qui rapproche Sarko et Blair plus que tout: en un sens, ils sont anatomiquement semblables. Ces formidables battants sont formidablement adaptables à tout. (En 1898, Teddy Roosevelt disait du président McKinley, dont il était le vice-président : « Cet homme a un éclair en chocolat à la place de la colonne vertébrale. » C’était pour moquer son absence de ligne directrice et dire le mépris qu’il en avait. On dirait que c’est devenu la vertu de notre temps: être adaptable, aux consignes et aux slogans des spin doctors, et tenir, tenir. C’est-à-dire, paraître ferme avec sa colonne vertébrale-éclair au chocolat. Rude mission.)
Ces deux hommes, Sarko et Blair, foncent, bougent, sourient, frappent, décident, sont PR, postmodernes, ricanent de l’archaïsme et jouent aux populistes (cela, bien sûr, dans un même élan, sur la moyenne de 12 secondes au 100 mètres pour un 10.000). Ce sont deux politiciens postmodernes, virtualistes, fabriqués par et pour l’image, créatures de spin doctors, durs de dur en discours et sur les moyens, sur tous les sujets, sur tout et sur le contraire de tout. Cela fait que, pareillement, par instant, lorsque les circonstances s’y prêtent, les questions existentielles se posent de savoir où ils vont, s’ils savent qu’il faut aller quelque part, s’ils se rendent compte que les slogans ne suffisent pas à expliquer le monde et ses malheurs nombreux, et ainsi de suite. Ils n’en sont ni complètement détestables (Blair) ni complètement inhumains (Sarko) pour autant. Ils sont postmodernes, c’est-à-dire prisonniers de la machine, à double tour, cadenassés. L’aspect humain, c’est Blair prisonnier de sa foi (bien réelle et zélée, qui vaut celle de GW) et Sarko prisonnier de son amour brisé.
Par conséquent, dans cette époque qui va à 180 à l’heure, tout semble dit à chaque instant et tout semble remis en question l’instant d’après. Les multiples triomphes de Tony Blair depuis des années sont suivis d’autant de Waterloo (d’un French point de vue), comme les JO pour Londres et le G8 ont été effacés par l’attaque de Londres. Cet homme qui court comme un sprinter de fond semble avoir fait du sur-place à un rythme effréné. (A part l’incroyable bordel irakien, de quoi s’est occupé Tony Blair depuis trois ans?) La différence, bien entendu, est dans l’archaïsme de l’une (la France) et le postmodernisme de l’autre (l’Angleterre); dans le fait que Sarko n’est pas au pouvoir et que Blair y est depuis 1997. Cela ne signifie pas qu’on donne Sarko perdant; cela signifie que, si Sarko est gagnant en 2007, peut-être, sans doute commencera-t-il à être différent du Sarko échevelé qu’on voit. Pour Blair, au contraire, et cynisme aidant, c’est bien en arrivant au pouvoir et s’y installant qu’il est devenu la créature qu’il est, prisonnière de son temps. C’est peut-être la différence entre la France archaïque et le “modèle anglo-saxon”.