L’argument final

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L’argument final

16 mai 2008 — La tournée de GW au Moyen-Orient, dernière du genre avec lui comme Président, est appuyé sur un contraste extraordinaire.

• D’un côté, une situation politique d’influence US dans un état indescriptible, aggravée par la situation au Liban. Jim Lobe résume bien cet aspect de la chose, dans un article du 13 mai sur Antiwar.com. Lobe cite notamment l’expert John Alterman du CSIS, parlant au New York Times : «“The politics on the ground are absolutely miserable,” Jon Alterman, a Middle East specialist at the Center for Strategic and International Studies (CSIS), told the New York Times Sunday. “It's hard to remember a less auspicious time to pursue Arab-Israeli peacemaking than right now. U.S. power and influence are at low ebb in the region,” he added.»

• D’un autre côté, la visite en Israël (60ème anniversaire de la fondation de l’Etat d’Israël) a montré un autre aspect de ce voyage au Moyen-Orient du président US, qui interfère directement dans la campagne présidentielle et entend orienter cette campagne. Dans son discours à la Knesseth, Bush a agité les références habituelles de dramatisation émotives, voire eschatologiques (dans le sens biblique), de la situation. Le Guardian rend compte de l’épisode aujourd’hui:

«President George Bush used a visit to Israel yesterday to denounce Democratic party offers to negotiate with America's enemies in the Middle East as comparable to appeasement of Hitler. Although Bush did not name any Democratic politician, the party's presidential contender Barack Obama has offered to open negotiations with the Iranian leader, Mahmoud Ahmadinejad, and the Syrian president, Bashar al-Assad.

»Obama and other Democratic leaders expressed outrage at being compared to the Nazis, especially on a visit to Israel. They also condemned Bush for breaking a long-time convention against using foreign visits to score domestic points.

»Obama described it as a “false political attack”, saying he had never advocated talking to terrorists, while Joe Biden, the Democratic chairman of the Senate foreign relations committee, said: “This is bullshit.” The Democratic leader of the House of Representatives, Nancy Pelosi, described Bush's comments as “beneath the dignity of his office”.

»Speaking during a visit to the Knesset, where he was attending celebrations to mark Israel's 60th anniversary, Bush said it was a foolish delusion to think it was possible to negotiate with extremists and terrorists. “As Nazi tanks crossed into Poland in 1939, an American senator declared: ‘Lord, if only I could have talked to Hitler, all of this might have been avoided,’” Bush said. He added: “We have an obligation to call this what it is – the false comfort of appeasement, which has been repeatedly discredited by history.”»

• Les réactions démocrates, on le voit, ont été vives. (Hillary condamne aussi les propos de Bush.) Le fait qu’un sénateur (Biden), président de la commission des relations extérieures, peut-être futur secrétaire d’Etat d’un éventuel président Obama, qualifie les propos de Bush d’un mot aussi leste (à peu près traduit : “c’est de la merde”) mesure la nervosité agressive des démocrates.

• Même McCain est embarrassé. Il tente actuellement de prendre quelques distances vis-à-vis de Bush. Le discours de Bush, dit dans le sacro-saint environnement d’Israël et avec l’argument passionnel par excellence de la référence à Hitler, le met dans une position délicate. Dans le degré d’inconditionnalité du soutien à Israël qui caractérise tout politicien US en campagne, McCain est au plus haut degré par nécessité (mais aussi par tendance naturelle). Certaines de ses fréquentations, celle du pasteur John Hagee notamment, avec ses théories sur l’Apocalypse passant par Armageddon, vont dans ce sens dans le registre le plus radical qui soit.

• Pour ajouter le chaos au désordre, on observera qu’en même temps que Bush compare ceux qui veulent parler avec l’Iran en les mettant, grâce à une contraction créatrice de l’Histoire, au niveau moral des complices objectifs d’Hitler, son secrétaire à la défense recommande de parler avec l’Iran…

Montée aux extrêmes de l’impuissance

L’intervention de George Bush représente un cas évident de montée aux extrêmes. La cause en est également évidente: le président US, comme les républicains, n’a plus aucun argument pour défendre sa politique, qui est de loin l’archétype le plus achevé d’une politique étrangère et de sécurité catastrophique jusqu’à mettre en danger la puissance des USA… Plus aucun argument? C’est compter sans Dieu et le reste. C’est l’argument de l’impuissance terrestre transcendé et transmuté en Vérité révélée par la connexion divine.

Le discours de la Knesseth, même s’il reste dans la forme politique, s’appuie sur du pur messianisme, qui renvoie implicitement à l’état d’esprit du pasteur Hagee, donc à l'utile connexion divine. La référence à Hitler introduit d’autres arguments implicites: le caractère exceptionnel d’Israël, per se et par son rôle central, presque religieux en même temps que d’influence et de type politically correct, dans la politique US. La référence à Armageddon et au prophétisme, là non plus, n’est pas loin. Elle sied à un président qui ne représente plus rien politiquement et à un gouvernement israélien qui n’est pas loin de le valoir. Elle représente le dernier espoir d’une politique agressive et d’agression, notamment contre l’Iran, qui a toujours eu une assise implicite eschatologique et biblique. (Bien entendu mais inversement, la référence est aussi la marque de l’extrême difficulté, voire l’impossibilité d’imposer cette politique sur sa valeur propre. On retrouve l’impuissance signalée plus haut.)

L’orientation de politique intérieure des propos de GW Bush est évidente. Mais nous ne sommes pas convaincus que ces propos visent prioritairement, encore moins exclusivement, Obama et les démocrates, bien qu’en apparence le premier effet est effectivement de les secouer. Notre hypothèse est alors que ces propos, à côté de l’attaque conjoncturelle contre les démocrates, ont deux buts, des buts simplistes qui correspondent bien au personnage et à son équipe mais des buts ambitieux impliquant la volonté de “kidnapper” la campagne et d’imposer une ligne politique au futur élu (quel qu’il soit).

• Faire indirectement mais puissamment pression sur McCain pour qu’il reste dans sa “ligne dure”, qu’il l’accentue, qu’il la mette en évidence. Or McCain n’est pas dans une position où il puisse lui-même résister à ces pressions. Il est loin de faire l’unanimité dans le parti, parce que le parti républicain est lui-même divisé. Il lui sera difficile de ne pas répondre à des pressions qui portent sur le soutien à Israël, qui est l’argument sacro-saint du parti républicain. Il serait facilement entrainé sur la voie de la montée à son propre extrême, d’autant plus, peut-être, que sa propre personnalité, son caractère emporté l’y pousserait.

• Par ce biais de radicalisation provoquée de la campagne de McCain, lancer la campagne en général sur cette piste apocalyptique du soutien à Israël, des guerres agressives nécessaires, etc. L’argument est presque péremptoire, – rengaine : le soutien à Israël n’est pas loin d’être aussi l’argument sacro-saint pour le parti démocrate…

L’intervention de Bush introduit un élément nouveau dans la campagne, – “nouveau” parce que tacitement laissé de côté. Il introduit le débat sur la radicalisation, qui est nécessairement un débat concernant démocrates et républicains alors que la campagne est pour l’instant cantonnée à la bagarre au sein du parti démocrate. C’est un élément de désordre de plus, et ce n’est pas un cadeau pour McCain qui se contentait jusqu’ici de compter les coups chez les démocrates.

Le paradoxe de la situation US se poursuit et se renforce. C’est le président le plus discrédité qu’on puisse imaginer, avec une politique absolument catastrophique et marquée par les caractères les plus primaires, politique mensongère et déstabilisante, qui pourrait imposer à cette campagne un argument à la fois irrationnel et paranoïaque, enfermant tous les acteurs dans une montée aux extrêmes imposée d’une position de faiblesse complète (la sienne). La cause de la possibilité d’une situation si étrange, – l’impuissance même réglant le sort de la campagne, – tient essentiellement au refus des candidats d’affronter les vrais problèmes exacerbés par la présidence GW Bush. De ce point de vue, eux aussi sont impuissants. C’est une course à l’impuissance d’un système en déliquescence, et la montée aux extrêmes est la voie “naturelle” à suivre. C’est dire combien cette nature-là est corrompue.