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107824 mai 2004 — Il serait remarquable qu’un jour, tous les esprits courts et les esprits serviles, — les deux font en général la paire, — qui firent l’apologie de la puissance militaire américaine prennent leur plume pour nous expliquer ce qu’il s’est passé. Cela ne risque pas de se produire puisqu’ils affûtent leur plume pour vous dire qu’ils vous l’avaient bien dit, — ou bien, ils nous parlent d’autre chose. Aujourd’hui, l’Irak nous montre une situation telle qu’on peut se poser la question de savoir si l’armée US n’est pas la plus mauvaise armée du monde, — et, de toutes les façons, la plus dangereuse, pour les civils, pour les jeunes mariés, pour les alliés des États-Unis et ainsi de suite.
On connaît déjà les avatars nombreux qui ont marqué le comportement des militaires US depuis un an, la façon dont ils sont en train de perdre la “deuxième phase” de la guerre en Irak, la phase décisive naturellement. Maintenant, s’ajoute une autre réalité dont on commençait à se douter, la pire de toutes pour une armée : les forces US sont-elles encore contrôlées, non seulement par le pouvoir civil mais même par la chaîne de commandement militaire ? Les indices s’accumulent dans le sens, on s’en doute, d’une réponse négative.
Ce qui apparaît en Irak, c’est une armée suréquipée, “sur-vitaminée” en un sens, mais totalement incapable de prendre en compte la réalité du monde et n’imaginant pas une seconde qu’une autre réalité que la réalité américaine puisse exister. Plus encore que dans un bourbier, l’armée américaine est totalement engluée dans le virtualisme. A cause d’un traitement psychologique ressemblant à un conditionnement, durant des années, à coups de discours d’une vanité pathologique, notamment de ses dirigeants civils, à coups de centaines de milliards de dollars qui ont accéléré un gaspillage considérable et conforté une philosophie de la machine et de la technologie, l’armée américaine a été complètement isolée de la réalité.
Mais plus encore, et pire encore : cette “virtualisation” de l’armée US touche ses activités et touche ses dirigeants civils et militaires. Partout, la suppression des faits qui ne corroborent pas la version virtualiste est une pratique systématique. La réalité est que plus personne ne contrôle l’armée US en campagne parce que plus personne, dans ce déluge de re-fabrication de la réalité, ne sait exactement ce qui se passe. (D’où, à chaque scandale, à chaque “bavure”, à chaque tuerie, des réactions grossières repoussant les réalités les plus évidentes, puis une attitude de complète vulnérabilité puisque rien n’est préparé pour mieux appréhender la réalité.)
« As the Abu Ghraib scandal has proved, shocking images can lead to investigations not only in Iraq but in Afghanistan, Guantanamo Bay and elsewhere, and cause trouble not only for the military but for the CIA and the White House as well. Until they saw the pictures, Americans were unaware of what was happening to Iraqis in custody; they remain ignorant of the reasons for the mounting toll of civilian deaths, both during and since the invasion last year, despite the evidence of those few Americans who have witnessed them… »
On ajoutera à cette situation l’intrusion, grotesque par son importance et ses conditions, de tout un élément de privatisation de l’armée, jusqu’à des situations totalement surréalistes et extrêmement dangereuses. (La situation à la prison d’Abu Ghraib en est évidemment un exemple particulièrement révélateur.) On comprend combien il s’agit d’un facteur de plus de confusion et de perte de contrôle de l’armée des États-Unis, avec des personnes dont on ignore exactement la place qu’elles occupent dans la hiérarchie et à qui elles répondent de leurs actes.
Ce qui se passe de ce point de vue de la cohésion et des actes des forces armées US en Irak, outre les diverses crises politiques, stratégiques, etc, qu’on connaît, révèle une crise formidable de ces mêmes forces armées, crise tenant aux conditions du système telles qu’elles ont été imposées par la direction civile. La combinaison de l’impératif de “protection des forces” d’une part, de l’impératif virtualiste (cloisonnement et dissimulation systématique des réalités, propagande à destination des forces notamment sur la popularité des soldats américains en Irak) d’autre part, produit paradoxalement une réalité (“vraie”, celle-là) explosive. Les troupes US sont aujourd’hui encore plus coupées de la réalité que ne l’étaient les troupes du Pacte de Varsovie lorsqu’elles entrèrent à Prague en 1968.
Il est à noter, — c’est une indication convaincante, — que les Britanniques montrent une inquiétude grandissante face au comportement des forces armées US. Le contenu d’un mémo du ministère des affaires étrangères, dont la fuite a été très certainement favorisée par les autorités britanniques, rend compte que cette crainte touche désormais les plus hautes autorités civiles. Pour la hiérarchie militaire britannique, évoquant des possibilités de transferts de forces britanniques en remplacement des forces espagnoles, dans une zone contrôlée par les Américains, « …to have to go in under US operational command would be a disaster ». On en est là aujourd’hui : la perspective d’opérer sous commandement US représente désormais pour les Britanniques l’un des plus graves dangers de cette étrange campagne irakienne.
Voici les jugements et craintes des Britanniques à cet égard, tels qu’ils apparaissent dans l’article de The Independent déjà signalé.
« “It is hard to over-estimate the lack of awareness of most American soldiers in Iraq,” said a military source. ”Many, perhaps most, have never been abroad before. They see their mission as giving democracy to the Iraqis and enforcing stability, and find it very difficult to understand why the Iraqis aren't grateful. They have no idea that they are seen as arrogant and aggressive.”
» In the view of British forces, the source added, such attitudes had led to a succession of “fundamental mistakes”, and had made senior officers extremely hostile to being put under American command. This is one of the options reported to be under consideration by Downing Street this weekend as the deployment of more British forces is weighed.
» The US wants Britain to take over from the departed Spanish contingent in the Shia holy cities of Najaf and Karbala, where American firepower is being deployed against militias loyal to Muqtada al-Sadr, the Shia cleric declared an outlaw by Washington.
» “Seeking to adopt normal low-profile British tactics in the wake of American aggressiveness would be difficult enough,” said the military source, “but to have to go in under US operational command would be a disaster.” »