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5653• Comment Bakhmout est (re)devenu Artyomovsk après des mois et des mois de combats d’une brutalité et d’une intensité sans nom, rappelant les combats des tranchées de 1914-1918. • A côté de cela, il a existé et continue d’exister une folle farandole de simulacres, de narrative, d’interprétations et d’illusions qui renvoient à notre époque de dégénérescence civilisationnelle. • Dans ce contraste, la barbarie n’est pas du côté de la guerre, puisqu’elle est cause de la guerre. • Exploration et enquête à partir d’un texte improbable de Larry C. Johnson.
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On prend ici, pour apporter notre petite part d’eau au moulin déferlant et si contradictoire de commentaires accompagnant la chute de Bakhmout devenant Artyomovsk, un texte de Larry C. Johnson du 23 mai. On connaît Larry Johnson, qui fit une carrière dans la CIA et le contre-terrorisme CIA-département d’État ; qui est devenu, au moins depuis le début d’‘Ukrisis’, l’une des sources antiSystème, de la presse dissidente et indépendante, les plus consultées et les plus influentes. Johnson apporte évidemment toute son expérience mais aussi, sans aucun doute, de très nombreux contacts avec des collègues de la communauté du renseignement. Ceux-ci le considèrent manifestement comme le relais le plus efficace pour des informations structurelles sur le comportement de leurs milieux.
Johnson a pris la place d’importance qu’on lui voit après sa séparation d’avec le colonel Lang et du site ‘Sic Semper Tyrannis’. Nous avons dit un mot en son temps de cette séparation parce que nous jugeons qu’elle est exemplaire de la confusion que toutes ces crises successives et contradictoires installent dans les esprits. Il s’agit bien du choix de soutenir Biden et l’Ukraine fait par le colonel Lang, qui provoqua le départ immédiat de Johnson.
« La position de Lang est notamment la cause du départ de son site de Larry Johnson, qui s’est placé en position indépendante avec son excellent site ‘Sonar21.com’ (pour ‘Son of the New American Republic Revolution, 21 century’)... Johnson est ainsi devenu une référence pour le dissidence dans Ukrisis, tandis que Lang me semble un peu flotter dans des eaux incertaines.
» ...Cela se sent, cette flottaison incertaine, dans une intervention très récente de Lang, sur laquelle je suis tombé par hasard comme l’on dit quand l’on ne veut pas en dire plus. Dernièrement, Lang s’est expliqué de son attitude, – comme s’il jugeait bon de s’en justifier à ses propres yeux, puisque cela se fait dans un “double” commentaire complètement hors du sujet traité dans le texte, qui porte essentiellement expressément sur la politique énergétique interne des USA, et notamment la possibilité que Biden ordonne une réquisition de certaines activités d’énergie aux USA ; et cela donne ceci :
« “La politique de Biden en Ukraine est LA SEULE politique adoptée par lui avec laquelle je suis d'accord. Le désir de la Russie de détruire l'Ukraine en tant qu'État a été prouvé. Malheureusement, d'ardents anti-Biden comme Tucker Carlson ont saisi cette occasion pour condamner et ridiculiser davantage les Biden.
» “Ceci, à son tour, est pris par les ‘idiots utiles’ des Russes (à la fois les gouvernements et les agents d'influence étrangers) comme un moyen de saper le soutien américain à l'Ukraine.
» “Un triste état des choses. pl
» “Addendum au commentaire : Au moment de la chute de l'URSS, j'ai préconisé la dissolution de l'OTAN, estimant qu'elle avait rempli son objectif et qu'elle se révélerait être un obstacle majeur dans les relations avec la Russie, mais la tentation pour [l’état profond] et les militaires américains de chercher un nouvel ennemi pour remplacer l'ancien s’est avérée trop grande et la nouvelle Russie est devenue l'ennemi désigné.
» “Je me suis opposé à la volonté politique de recruter de nouveaux membres de l'OTAN parmi les anciens pays membres du Pacte de Varsovie. À mesure que ce processus progressait, le bloc politique des [neocons sionistes], qui haïssait la Russie du fait de la mémoire jungienne des pogroms passés, a fait de l'expansion de l'OTAN sa cause particulière.
» “Mais, ce qui est fait est fait. Nous avons accepté les nouveaux membres de l'OTAN comme alliés et cette obligation ne peut être ignorée. Ces pays craignent la Russie et l'OMI, leur crainte doit motiver nos actions. Pl”
» Quelle curieuse plaidoirie ! Lang développe tous les arguments pour être contre les antirusses, jusqu’aux plus précis et aux plus impératifs, sans en oublier aucun, montrant qu’il connaît bien le sujet et y voit une constante suite d’erreurs et de manœuvres tordues conduisant à la situation de 2014 puis à l’enchaînement ; et puis, badaboum, il se retrouve complètement à leur côté après avoir reconnu tous les aspects faussaires et trompeurs des alliances qui en ont découlé ! Pour quelle raison ? “What is done is done” (“Ce qui est fait est fait”) ? Et les effets de tout cela nous conduit sans doute à la fameuse stratégie “Che sera sera”, non ? Quelle étonnant investissement de la logique et du bon sens par un si étrange affectivisme !
Comme il l’écrit lui-même, mais avec une virgule d’interpellation à la place d’un point de conclusion : “Un triste état des choses, pl”. »
Ce long passage nous montre les très grandes difficultés constantes, tant en ce qui concerne les décisions que les ‘dissidents’ doivent prendre vis-à-vis d’événements dont il importe de distinguer le sens par rapport aux lignes et principes de référence qu’on s’est choisis, et en ce qui concerne les mêmes différences évidemment pour leurs lecteurs. Tout cela constitue un facteur déterminant pour tournailler entre les simulacres, les non-dits, les mensonges et les aveux révélateurs.
En attendant, effectivement Johnson s’est installé à une place d’information et d’influence de première qualité, avec des interventions régulières sur des shows à la fois populaires et semi-dissidents, avec des correspondances avec l’étranger (il est l’un des rares non-Russe à parvenir à s’attirer les bonnes grâces de l’exécrable humeur de Andrei Martyanov). Notamment pour cette raison, mais aussi pour l’intérêt intrinsèque du texte, nous nous arrêtons à celui qu’il publie le 23 mai sur son site, autour d’un entretien en vidéo qu’il fait régulièrement avec un réseau populaire, le ‘Judging Freedom’ du Juge-Napolitano.
L’intérêt de ce texte est qu’il est divisé en deux parties bien distinctes, en apparence sans lien direct mais finalement exposant un rapport de cause à effet dissimulé qui joue un rôle important dans notre crise. Ce lien concerne évidemment la dimension essentielle du conflit d’‘Ukrisis’, qui est celle de la communication, du simulacre et de la simulation, de la narrative et de l’idéologie du simulacre de l’égalitarisme et de la déstructuration qu’est le wokenisme.
La première partie concerne le jugement que Larry Johnson porte sur la bataille de Bakhmout qui vient de se terminer à l’avantage de la Russie. Le duo Christoforou-Mercouris nous a présenté une session de franche rigolade en plusieurs épisodes lorsqu’il s’est agi de juger de la victoire de Bakhmout et des innombrables torsions, faux-semblants, contrepieds des diverses narrative développés pour nous faire penser droitement à l’inéluctabilité de la défaite russe, complétée par la victoire à la sauce zélenskiste.
Bakhmout est (re)devenu Artyomovsk. Curieusement, – encore une curiosité paradoxale de cette immense crise qui n’est faite, jusque dans ses moindres détails, que de paradoxes et de contradictions, –Bakhmout était pourtant un souvenir de l’ancienne et grande Russie tsariste, jusqu’à Ivan Le Terrible, celle que Zelenski et la modernité globalisatrice déteste jusqu’à en mourir...
« Fondée à la fin du XVIe siècle sous le tsar russe Ivan IV (plus connu sous le nom de “Le Terrible“), la ville était à l'origine un avant-poste frontalier connu sous le nom de “Fort de la Garde de Bakhmout”. Plus tard, Bakhmout s'est transformée en une forteresse plus importante, devenant finalement une ville à part entière au milieu du XVIIIè siècle. La ville a été rebaptisée Artyomovsk en 1924 pour commémorer le révolutionnaire russe Fedor Sergeev, mieux connu sous le nom de “camarade Artem”. »
Larry Johnson, lui, ne prend pas de gants. Il désigne la bataille de Bakhmout comme le triomphe d’un nouvel “art opératoire” de la conception russe de la guerre. Il donne des chiffres, évidemment contestés jusqu’à l’inverse par le Pentagone, – c’est un début de preuve impérative que Johnson doit avoir raison, sacrebleu ! Salut à la montagne de mensonges qu’est le Pentagone ! Prenez comme base de votre enquête le contraire de ce qu’ils disent !
Il importe d’apprécier la vigueur de la démonstration, qui est plutôt, pour l’ancien analyste de la CIA, une description de l’évidence où des cochons seraient invités à faire les jolis-cœurs :
« Le juge Napolitano [et moi] avons discuté de Bakhmout et du raid ukrainien sur la frontière russe près de Belgorod. L'Occident cherche désespérément à éviter toute discussion ou tout examen sérieux de la bataille de Bakhmout, en raison de la perte massive qu'elle a entraînée. Pensez-y : une petite force paramilitaire “privée”, soutenue par d'anciens chefs sans expérience militaire, a forcé l'armée ukrainienne, entraînée et approvisionnée par l'OTAN, à battre en retraite.
» Il s'agit là d'un point très important. La doctrine militaire conventionnelle stipule qu'une armée attaquant une force retranchée aura besoin d'au moins trois fois plus de soldats que la force de défense. Il semble que la Russie soit très peu conventionnelle. Les 32 000 combattants du groupe Wagner ont vaincu une force ukrainienne qui rassemblait plus de 120 000 soldats, infligeant 70% de pertes aux Ukrainiens. La Russie est en train d'écrire de nouveaux chapitres pour les académies militaires et les écoles de guerre sur la manière d'attaquer et de vaincre une force numériquement supérieure retranchée dans des fortifications. La Russie ne combattait pas des bergers afghans ou des tribus irakiennes armés d'AK-47. Elle a affronté une force mandataire de l'OTAN, équipée d'armes modernes, et l'a battue. Il n'y a pas assez de rouge à lèvres dans le monde pour peindre ce cochon et le rendre joli. »
La deuxième partie du texte de Johnson est tout à fait différente, on l’a dit, et peut-être plus intéressante. Elle concerne les nouveaux critères et méthodes de recrutement de la CIA, avec une formidable irruption de toutes les tendances transgressives et subversives qu’il faut favoriser dans les choix effectués. C’est une révolution à la fois massive et stupéfiante, surtout lorsqu’on compare la signification et l’influence d’un domaine intime comme l’orientation sexuelles à laquelle il ne sera fait référence qu’en fonction d’une idéologie, et la signification et l’influence du domaine où se développe le travail d’une institution telle que la CIA.
« Après mon entretien avec le bon juge, j'ai discuté avec un ami retraité de la CIA qui m'a expliqué le désastre en matière de personnel qui est en train de transformer la CIA en une institution à part entière. Il y a trente ans, un aspirant employé devait passer un détecteur de mensonges et ne pas consommer de drogues. La consommation antérieure de marijuana ou d'autres drogues récréatives pouvait être un obstacle. C'était à l'époque. Aujourd'hui ? La CIA se contente de demander si le candidat a fumé de l'herbe ou pris d'autres drogues illicites au cours de l'année précédant sa candidature à l'Agence. Je ne serais pas surpris d'apprendre qu'une fois qu'un ancien toxicomane est recruté, rien ne l'empêche de continuer à s'adonner au plaisir coupable de se droguer (en espérant que ce ne soit pas au travail).
» Ce qui est encore plus inquiétant, c'est la pratique actuelle en matière d'embauche : lors d'une récente formation d'analystes, 92 % des nouveaux embauchés venaient d'un seul État. Si vous avez deviné l'Alabama ou la Virginie, vous avez tort. 92 % des analystes viennent de l'un des États les plus libéraux des États-Unis. La norme d'embauche de l'Agence est d'accueillir les gens branchés et d'écarter les hommes et les femmes qui professent des valeurs traditionnelles. Si vous avez des conceptions conservatrices, vous ne devez pas postuler. Vous ne serez probablement pas embauché. »
A noter, pour nos observations, que lorsque Johnson écrit, sans préciser de quel État il parle, – vous pouvez essayer, comme hypothèse (« de l'un des États les plus libéraux ») : la Californie ou l’Oregon :
« ...lors d'une récente formation d'analystes, 92 % des nouveaux embauchés venaient d'un seul État. Si vous avez deviné l'Alabama ou la Virginie, vous avez tort. 92 % des analystes viennent de l'un des États les plus libéraux des États-Unis. »
... Mais surtout, vous voyez là, dans cette discrétion, la marque distinctive d’une absence de précision voulue pour ne pas risquer de compromettre la source. Il nous paraît extrêmement révélateur de cette révolution qui marche sur la tête, que cette prudence touche un tel domaine (ne pas dire trop précisément de quel État viennent les recrues en raison des réputations idéologiques des États [favoriser les plus progressistes, les plus wokenistes]).).
Johnson conclut sur l’évidence même, énorme et inévitable, celle qui nous accable de voir l’emmêlement de matières et de domaines si différents et incomparables. Voit-on le directeur de la CIA et son adjoint, dans un bureau où s’échafaudent les complots les plus terribles, les déstabilisations les plus radicales, devenir un théâtre ressemblant plus à une comédie de boulevard salace et sociétalement, donc scientifiquement et “moralement” pornographique, sans le moindre souci de la stratégie et de la politique, avec le wokenisme comme référence unique et presque divine ?
« J'ai déjà écrit sur la pression que subissent les directeurs de la CIA lorsqu'ils rédigent l'évaluation annuelle de leurs employés, qui joue un rôle clé dans la détermination des promotions. Si un employé appartenant à une minorité ou ouvertement homosexuel ou transsexuel n'est pas promu, le directeur est tenu d'expliquer pourquoi il n'a pas promu cette personne. Devinez ce qui se passe ? Les gens sont promus en raison de leur statut social [et de leur orientation sexuelle] et non de la qualité de leur travail. Faut-il s'étonner que la qualité du produit analytique de la CIA succombe aux pressions politiques ? »
... Et pour cette raison, nous avons une CIA qui, à une vitesse record, – c’est la rapidité aujourd’hui des choses et des transformations les plus monstrueuses qui nous stupéfie le plus, – se transmue en un instrument d’investigation genriste et d’inversion sexuelle. De même qu’elle choisit un analyste parce qu’il est transgenre ou vert de peau, on attend ce cet analyste qu’il nous renseigne sur la bataille de Bakhmout en fonction des humeurs qui triomphent sur les plaines de Zelenskistan.
Il nous semble très difficile d’assimiler ces bouleversements révolutionnaires niant tous les aspects habituels de la politique et de la sécurité nationale au profit des idéologies intimistes et transgressistes. Il est difficile de trouver les termes adéquats, on se trouve dans une situation plus indicible que tragique.
Le lien avec Bakhmout se trouve alors dans l’extraordinaire comédie, la farandole échevelée, à côté des aspects incroyablement sanglants et cruels, qui ont marqué les rapports qui ont été faits de la bataille. Et le pire dans ce lien entre la tragédie et le bouffe (tragédie-bouffe), c’est que le bouffe, – la fameuse “farandole échevelée” du type Jérôme Bosch, – est cette barbarie moderne qui fonde la postmodernité et s’affirme alors, sans le moindre doute possible, comme la véritable cause de ces guerres monstrueuses et difformes, et de la tragédie elle-même. La modernité a donc atteint le sommet de ses ambitions, elle se présente pour ce qu’elle est : le sommet du dérisoire comme cause de l’abysse de l’horreur, la tragédie née du bouffe de l’accessoire inverti.
Mis en ligne le 24 mai 2023 à 17H40