L’article de Fisk (dollar) comme un événement de la “société de communication”

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A la suite de l’article de Robert Fisk dans The Independent d’hier, et dont nous avons fait un rapport accompagné de commentaires ce même 6 octobre 2009, des effets intéressants ont eu lieu, dont The Independent nous entretient ce 7 octobre 2009, peut-être avec une secrète satisfaction. Le même article signale d’autres interventions, ou spéculations.

«The price of gold is surging on world markets amid fears that the old economic order based on the supremacy of the US dollar could be breaking down.

»A new spike has sent the cost of the precious metal to a level not seen before. The dollar slid sharply after yesterday's report in The Independent that Gulf Arab states are secretly planning to stop trading oil in dollars, and a senior UN official said that the US should be stripped of its position as the main source of currency reserves for other countries.

»The developments come on top of speculation that the Obama administration is operating a policy of benign neglect of the dollar, engineering a devaluation that could help repair some of the economic damage caused by the recession.»

La montée du prix de l’or est également signalée par ailleurs, comme il se doit, avec parfois une référence à l’article, et toujours sans trop insister. C’est le cas dans la presse britannique, où l’on n’aime pas trop faire de la publicité aux organes de communication concurrents. Ainsi, de ce rapport de BBC.News du 7 octobre 2009, où l’on parle de “newspaper report – later denied”: «The price of gold has hit a new all-time high of $1,043.77 an ounce after a decline in the dollar boosted the attractiveness of metals to investors. Copper prices also rose above $6,000 a tonne, as the weaker dollar made metals cheaper for non-US investors. The dollar fell after a newspaper report – later denied – said that Gulf nations wished to replace the greenback as the main oil currency.»

Fisk lui-même, en passe de se reconvertir ainsi en commentateur monétaire et financier, en rajoute avec un second article qui confirme le premier, en donnant d’autres précisions – mais plutôt “imprécises” par rapport à celles du jour précédent… Il mentionne des démentis de l’un ou l’autre pays nommé, qu’il ridiculise discrètement. C’est notamment le cas de l’Arabie, dont on rappelle par ailleurs qu’elle démentait l’attaque de Saddam Hussein contre le Koweït le 2 août 1990 alors que les troupes irakiennes se trouvaient à la frontière saoudiennes après avoir conquis tout le dit Koweït. L’Arabie est fameuse pour conduire une politique de communication marquée par la plus grande frayeur pour tout ce qui bouge.

Voici donc Fisk, ce 7 octobre 2009, nous informant in fine qu’il existe en réalité un plan et une coopération entre l’Arabie et la Russie, depuis deux ans, pour attaquer le dollar, et, pour l’Arabie, pour modifier sa position stratégique, notamment au niveau des fournitures d’armement. L’argument est solide, d’autant qu’il s’affirme sur fond de marchés d’armement en cours de négociations entre les deux pays, portant sur plus de $2 milliards, et dont certaines rumeurs affirment qu’il n’est que le premier de plans qui iraient beaucoup plus loin en nombre de $milliards, avec les équipements à mesure. On pourrait aussi voir la France revenir dans le circuit d'une façon tonitruante, à-la-Sarko (prochaine visite du président à Ryad).

Fisk: «The plan to de-dollarise the oil market, discussed both in public and in secret for at least two years and widely denied yesterday by the usual suspects – Saudi Arabia being, as expected, the first among them – reflects a growing resentment in the Middle East, Europe and in China at America's decades-long political as well as economic world dominance.

»Nowhere has this more symbolic importance than in the Middle East, where the United Arab Emirates alone holds $900bn (£566bn) of dollar reserves and where Saudi Arabia has been quietly co-ordinating its defence, armaments and oil policies with the Russians since 2007...»

@PAYANT La société de communication – comme on disait dans les années 1960 “la société de consommation” – fonctionne à plein régime. L’article de Fisk, à la fois répercuté indirectement à cause de son rapport avec le marché des valeurs, or et dollar notamment, à la fois fort peu signalé sinon ignoré en tant que tel dans les commentaires de la “presse officielle”, agit comme un choc déstabilisant après beaucoup d’autres et avant beaucoup d’autres encore. Les démentis sont prestement expédiés après avoir été tout juste été mentionnés (insistons sur l’Arabie Saoudite, connue pour sa trouille abyssale de toute nouvelle de choses nouvelles, démentant avec une véhémence qui amène plutôt les sourires de connivence qu’un intérêt pour des questions supplémentaires). Les marchés réagissent comme de coutume, comme des automates énervés, et l’or “crève son plafond” comme d’habitude. La mécanique est formidablement huilée.

Non pas qu’on doive mettre en doute une seconde ce que Fisk a écrit au-delà de l’habituelle incertitude du métier de l’information, ni qu’il ait conçu cela comme un complot visant à déstabiliser pour 24 heures les marchés qui ne demandent que cela. Nous parlons d’un processus que nous avons créé et qui nous dépasse désormais complètement. L’épisode ne fait que mettre en lumière l’extraordinaire puissance de la communication confrontée à la non moins extraordinaire relativité de la valeur de l’information, singulièrement et massivement du côté officiel. Entre un article de Fisk et un démenti saoudien, aucune hésitation à avoir, se dit-on… Le côté officiel, particulièrement depuis 9/11 et l’ère du virtualisme, suit avec tant d’entêtement et de vigueur, d’une façon quasi-officielle, une politique du double, sinon du triple langage où il ne sait même plus lui-même où se termine le demi mensonge et où commence la demie vérité – et qu'est-ce que cela, “mensonge” et “vérité”, à la fin? – que le crédit qu’on lui accorde ne survit plus que pour avoir une confirmation a contrario de ce qu’il veut démentir. Le paradoxe est que, même quand le démenti est vrai il ne tient quasiment pas et il devra être éventuellement confirmé plus tard par un événement, ou par une autre information, surtout pas officielle, ou bien s’aligner sur la situation qu’il avait démentie, qui se sera concrétisée entretemps. Le discrédit de la crédibilité de l’information officielle est aujourd’hui un fait fondamental de la société de communication, qui conduit à une subjectivation complète de l’information.

Du coup, on s’en remet à l’observation des mouvements spasmodiques, à la convergence des évidences que l’on devine avec le détail de telle ou telle “information”, lorsque l’“émetteur” est connu et, surtout, qu’il n’a guère de connexion avec le “parti officiel”. C’est en général le cas de Fisk, qu’on aime ou qu’on n’aime pas mais qu’on sait relativement indépendant dans un univers encombré de liens corrupteurs innombrables, qui a ses sources et une réputation à soutenir, qui donne dans l’article impliqué comme dans celui qui suit d’innombrables détails dont fort peu ont été démentis dans le détail justement. Dans ce cas, l’absence de démentis dans le détail suffit à démentir le démenti officiel (sempiternellement saoudien).

Enfin, son article est dans l’air du temps, et “les marchés” y répondent comme un seul homme, et cela vaut une forme de confirmation. Du coup, plus personne ne met la chose en doute et l’article est devenu un événement en soi. On irait jusqu’à suggérer, pour pousser le paradoxe, que si les réunions que Fisk décrivait hier n’ont pas eu lieu, elles pourraient bien avoir lieu désormais – quasiment, sur la suggestion de Fisk… Si l’on plaisante ici, à peine d’ailleurs, une chose sérieuse apparaît. L’article de Fisk s’inscrit dans un mouvement irrésistible, incontrôlé même si des réunions ont lieu, qui nous dépasse tous, qui est celui du déclin de la puissance du dollar (quelle que soit sa cotation, nous parlons en termes politiques), correspondant parfaitement au mouvement de déclin de la puissance US. Encore est-on, avec le mot “déclin”, particulièrement aimable et parfaitement bienveillant, tant ce sont des mots comme “chute” et “effondrement” qu’il faudrait employer. Il n’est pas nécessaire d’avoir tous les deux jours une explosion comme celle du 15 septembre 2008 pour prendre acte de ce qui est une évidence, qui est effectivement “chute” et “effondrement”. Le système est verrouillé de tous les côtés, replié dans sa forteresse de double et triple langage enfermé dans le virtualisme, mais le processus de la société de communication ne cesse de créer sans arrêt de nouvelles voies d’eau. La forteresse cuirassée contre des attaques imaginaires – que ce soit celle de la guerre contre la terreur et celle des armadas nucléaires iranienne – prend eau de toutes parts dans ses fondements – au niveau de l’arme redoutable de la communication libérée du diktat d’une information officielle.


Mis en ligne le 7 octobre 2009 à 07H42