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131816 mai 2011 — L’élimination de ben Laden (l’opération Geronimo) a la vertu douteuse, non seulement de faire croire à certains que c’est une “victoire” et qu’il y a donc une “guerre”, mais d’une façon plus générale de mettre sur la table de nos spéculations empressées l’une ou l’autre question fondamentale. Parmi celles-ci, la plus évidente immédiatement est celle du droit : l’opération Geronimo a-t-elle l’une ou l’autre sorte de légalité, ou bien est-ce une opération complètement illégale ?
C’est à ce point que nous allons nous attacher. Nous verrons qu’il est complexe et plus complexe qu’on ne croit, qu’il embrasse évidemment les perceptions de la lettre de la loi et de l’esprit de la loi, qu’il recouvre une mentalité et une psychologie nouvelle, qu’il concerne des préoccupations bien plus hautes que celles de simples questions de légalité et de droit par conséquent. C’est une question universelle, qui vaut une étude attentive.
D’abord, nous citons quelques jugements, appréciations, etc., qui résument et illustrent certaines des positions les plus affirmées.
• Dans Marianne2, Alexis Bautzmann, Directeur du Centre d’Analyse et de Prévision des Risques Internationaux (CAPRI), donne (le 7 mai 2011) un avis catégorique. Il s’agit pour lui d’un acte illégal qui marque une rupture grave dans la situation de la légalité internationale. Bautzmann répond ici à des questions, sous forme d’interview ; voici sa réponse à la première question («Les Etats-Unis avaient du mal à vendre leurs guerres à l’opinion publique, est-ce que “vendre” un assassinat est quelque chose de plus facile?») :
Bautzmann: «Je dois dire que le traitement médiatique m’étonne. Sur le plan du droit international, c’est un assassinat en règle, c’est absolument illégal. Même les nazis, les pires criminels de guerre –à part une ou deux exceptions ont été capturés, jugés et condamnés à mort. La loi s’est imposée face à la barbarie. Là, on passe à autre chose. Et que ce soit l’appareil d’état qui commande ça dans un pays souverain qui n’est pas au courant –même si c’est le Pakistan et on sait à quel point les choses sont opaques dans ce pays-. Tout ça ne semble pas poser problème au sein de l’administration américaine, et encore moins ailleurs. Je pense que c’est une vraie rupture.
»Si, il y a 60 ans, on avait demandé aux gens ce qu’il fallait faire des criminels nazis, ils auraient sans doute été favorables à ce qu’on ne s’encombre pas de sentiment. La différence, c’est que les démocraties allaient au-delà et la primauté du droit par rapport à l’opinion publique s’imposait.
»Dans ce cas précis, le droit s’adapte aux intérêts des puissances de manière assez cynique. Ce n’est même plus caché.»
• Dans un article du 11 mai 2011 sur son site WilliamPfaff.com, William Pfaff examine le cas de l’assassinat de ben Laden d’un œil très défavorable du point de vue de la légalité. Il termine en citant indirectement un officiel israélien, sur la “philosophie” de la chose, qui revient à une “philosophie” du fait accompli de la force, entériné par le temps qui passe extrêmement rapidement, à cause du système de la communication, et sans beaucoup de réflexion de notre part à cause de notre mémoire extrêmement courte… «Ambassador Charles Freeman recently quoted to a Washington audience the argument made by a former head of the Israeli Defense Forces Legal Department that “If you do something for long enough the world will accept it. The whole of international law is now based on the notion that an act that is forbidden today becomes permissible if executed by enough countries….International law progresses through violations.” This seems now the unavowed policy of the United States.»
• Voici des avis complètement opposés. Ils viennent d’une experte du domaine, et universitaire enseignant à New York sur les questions de droit et de sécurité, Karen J. Greenberg, et d’un professeur à la George Mason University's School of Law, Ilya Somin. On y trouve exposée la conception juridique qui est manifestement celle de l’establishment washingtonien, qui a appris à développer des thèses de droit spécifiques pour l’époque de la guerre contre la Terreur. (Sur Aljazeera.net, dans un article publié le 5 mai 2011.)
«Karen J. Greenberg, executive director of New York University School of Law's Centre on Law and Security, says while laws about heads of other states cannot be applied to the non-state actor Osama bin Laden, he should be treated no differently as one would for an “armed enemy”. “This is not a legal question… It's a strategic war question in which we're talking about a general [of an army] essentially,” Greenberg said. “This is a guy who declared war on [the US] in 1998… Whether it was legal or not, it's always acceptable to kill the head, the armed enemy that is opposing you.”
»Greenberg says dealings with bin Laden, who masterminded the catastrophic September 11 attacks that left nearly 3,000 killed, cannot be likened to that of other enemy combatants and terrorist targets. “I really do think Osama bin Laden is in his own category,” she said. “[Osama bin Laden] was the head of al-Qaeda. He is the person that all of our counterterrorism strategy has been directed against for the past 10 years. He has brought more harm to the US than any other person in history.”
»Ilya Somin, a professor at George Mason University's School of Law, echoed Greenberg's argument that “targeting individual enemy combatants in war is perfectly legal and moral”. Somin points at US targeting of Admiral Isoroku Yamamoto, the commander of the Japanese fleet during World War II, and the British and the Czechs' killing of German SS General Reinhard Heydrick in 1942, as precedents. “Surely international law does not give terrorist leaders greater protection than that enjoyed by uniformed soldiers such as Admiral Yamamoto.” “And if it is legal to individually target the commander of a uniformed military force, it is surely equally legal to target the leader of a terrorist organisation, including Osama bin Laden,” he told Al Jazeera.»
• Pour terminer cette rapide revue, on citera l’avis extrêmement original de Ron Paul, approuvant cette action au nom d’une logique de constitutionnaliste radical, dans l’esprit autant que dans la lettre, – fût-ce une lettre datant de la fin du XVIIIème siècle, – appuyée sur une stratégie naturelle d’isolationnisme des USA. Mais Ron Paul n’a cure du temps qui passe pour ce sujet (la Constitution des USA, datant de 1787-1788) car son projet est bien de prendre une politique du XXIème siècle qu’il juge absurde et démente (la politique extérieure et belliciste des USA) dans les rets d’un texte datant de plus de deux siècles devant lequel chaque membre de l’establishment washingtonien est obligé de faire, chaque matin, ses dévotions. Nous commentons sa position dans notre texte du 11 mai 2011, et nous ne dissimulons pas une seconde, sans aborder en aucune façon la question de fond, que la position de Ron Paul est marquée par la rigueur, l’honnêteté et la responsabilité intellectuelle par rapport aux textes existants, par rapport à sa propre position politique et à la position des USA telle qu’il la perçoit. (Il faut noter qu’après sa première intervention sur Antiwar.com, Paul est revenu sur le sujet avec une appréciation plus critique de l’action du gouvernement US, voire en jugeant que le raids n’aurait pas dû être lancé dans ces conditions à cause des conséquences déplorables pour les USA dans l’opinion internationale. Le 13 mai 2011, sur CNN, on observait : «GOP presidential candidate Ron Paul says the U.S. should've cooperated with Pakistan in hunting down Osama bin Laden.»)
De ces divers commentaires se dégagent évidemment trois grandes lignes. Deux sont propres à la vision américaniste, la troisième correspond à une vision que nous qualifierions, en demandant au lecteur d’écarter les connotations idéologiques, d’“internationaliste” ou, mieux encore, d’“universaliste”. Seules les deux visions américanistes, lorsqu’elles sont confrontées, impliquent une appréciation polémiste, qui implique à son tour que l’on doive prendre position pour l’une ou l’autre pour établir une seule vision américaniste. La troisième vision est de nature différente, supposant une autre vision du monde que l’américaniste… Si bien qu’on en arrive en fait à deux positions qui se dégagent et s’affirment, et qui, elles, impliquent un choix de fond qui est de considérer deux visions du monde qui ont chacune leur raison d’être et n’impliquent nullement qu’on doive trancher ; elle n’ont rien à voir avec un choix polémique comme dans le cas des deux positions américanistes, qui impliquent qu’on doive trancher et rejeter l’une ou l’autre au profit de l’une ou l’autre.
Nous nous attachons d’abord à la question polémique entre les deux conceptions américanistes d’une même vision du monde. Pour ce cas, en effet, Ron Paul partage la même vision du monde que les appointés du Système, bien que Paul soit “objectivement” et en analyse finale, un adversaire du Système (un antiSystème) au sein du Système. La différence entre les deux points de vue tient au contexte. Paul envisage l’action contre ben Laden dans le cadre de la Constitution des USA, dans la mesure où les USA ne seraient pas en guerre, et même ne sont pas formellement en guerre selon lui, dans la mesure où les USA ne devraient pas être en guerre alors que tout se passe comme s’ils l’étaient, dans la mesure par conséquent où les USA devraient répudier la politique expansionniste et interventionniste qu’ils ont. D’une certaine façon, Ron Paul utilise un argument d’une sorte de “légitime défense”. L’autre point de vue est que les Etats-Unis sont en guerre et qu’en temps de guerre, tout est permis quand il s’agit de l’élimination du ou des chefs de l’entité qui est en guerre contre vous. Effectivement, si les USA sont en guerre contre al Qaïda, il est logique que ben Laden soit abattu sommairement (exécuté), comme le fut l’amiral Yamamoto lorsque l’avion bimoteur Sally à bord duquel il faisait un voyage d’inspection en 1943 fut intercepté (les USA étaient au courant de son déplacement) par quatre P-38 Lightning de l’USAAF et abattu.
Le problème est évidemment de savoir si l’on peut être en guerre contre al Qaïda, organisation informelle, nullement légitimée par quoi que ce soit, ni souveraine, ni reconnue comme telle. Si l’on veut faire une analogie : pourquoi les hommes du FBI ne sont-ils pas intervenus, par exemple, en 1936 chez Charles Lucky Luciano, ne l’ont-ils pas maîtrisé et abattu d’une balle dans la tête, puis n’ont-ils pas annoncé triomphalement la chose ? (Finalement, ils purent arrêter Luciano pour proxénétisme, ce qui leur permit plus tard de négocier le soutien de la Mafia italienne à l’invasion de l’Italie par les alliés.) Les USA étaient-ils théoriquement moins “en guerre” contre Cosa Nostra (le crime organisé) qu’ils ne le sont contre al Qaïda, alors que diverses personnalités, comme le sénateur Kefauver en 1951-1952 ou le sénateur puis secrétaire à la justice Robert Kennedy en 1958-1963, ont proclamé cet “état de guerre” sans jamais être démenti ? La différence est-elle simplement qu’aux USA il y a des lois que l’administration fédérale est tenue de respecter, alors que cette administration fédérale semble faire fi des lois internationales ? (Ou bien, question plus insidieuse : la différence est-elle en ce que Cosa Nostra, finalement, ne mettait pas en cause le Système et se trouvait souvent en position de contribuer grassement au soutien de nombre des membres de la direction du Système, – jusqu’à JFK lui-même, frère de Robert Kennedy, qui reçut l’aide discrète et efficace de certains dirigeants de Cosa Nostra, comme Sam Giancana, lors d’opérations électorales pour les présidentielles ?)
Les autres citations (Bautzmann, Pfaff), hostiles à l’exécution de ben Laden, mettent évidemment en évidence ce non-respect des lois internationales et des souverainetés, notamment celle du Pakistan. Elles disent le vrai car on ne peut dire qu’il existe un état de guerre légal contre al Qaïda, dans la mesure où cela est juridiquement impossible puisqu’al Qaïda est, comme Cosa Nostra, une organisation littéralement hors-la-loi, c’est-à-dire juridiquement sans statut, sans légitimité ni souveraineté juridiques, et qui ne revendique ni l’une ni l’autre. Dans ce cas, les USA sont fautifs parce qu’ils ne respectent pas les lois internationales (alors qu’ils en réclament l’application par les autres, ou qu’ils les sollicitent pour eux-mêmes, ceci et cela quand la chose est de leur intérêt). L’argument élevé contre un tel jugement est d’ailleurs extrêmement bas et sentimental, sinon incompréhensible et témoignant d’une très grande confusion intellectuelle, puisqu’il revient à dire que les USA sont “en guerre contre la Terreur”. La chose n’a juridiquement et légalement aucun sens, puisqu’il ne peut exister par définition aucune entité souveraine et légitime intitulée “Terreur”. La bassesse de cette idée est sans doute ce qu’il y a de plus pervers, de plus subversif et de plus détestable dans tout ce débat.
D’une certaine façon, le seul argument qui vaille en faveur de l’assassinat de ben Laden, c’est celui de Ron Paul. Il ne s’agit pas d’un acte de guerre, prétendant dépendre d’une sorte de “droit international” mais n’en dépendant aucunement et, au contraire, le transgressant en renforçant l’idée du “droit de la force”. Ron Paul, au contraire, avance un argument d’une sorte de “légitime défense” n’impliquant en rien les lois internationales, pour lesquelles il a fort peu de considération. Bien sûr, la force de la position de Ron Paul, c’est qu’il réfute le fait que les USA soient en guerre et qu’il condamne la politique expansionniste et interventionniste. Ainsi sa position peut-elle se réconcilier avec le droit international en affirmant que l’élimination de ben Laden est l’usage d’une sorte de droit de suite, à la suite de l’attentat du 11 septembre 2001. Pour Ron Paul, à peu près tout ce qui s’est passé entre temps, entre 9/11 et la liquidation de ben Laden, – notamment l’Irak, la deuxième intervention en Afghanistan, les multiples interventions US ailleurs, – tout cela n’a pas eu et n’a pas lieu d’être puisqu’il condamne cette politique expansionniste et interventionniste.
Le problème est que l’argument est à la limite de la spéciosité, puisque, manifestement, il s’est passé beaucoup de choses entre 9/11 et l’élimination de ben Laden, qui rendent les USA comptables des lois internationales. Ainsi sommes-nous renvoyés dans le cas de l’incompatibilité entre deux visions du monde, l’américaniste et celle du reste, dans le cadre d’une situation générale qui n’a plus aucune cohésion structurelle, notamment juridique. Nous sommes, du point de vue du droit, devant un problème insoluble, – et problème insoluble parce que règne, au temps de l’“idéal de puissance” et du “déchaînement de la matière” en mode paroxystique de crise, l’écrasant facteur de la combinaison de la force totalement déchaînée et de la psychologie totalement enchaînée qui entraînent vers des actes d’une grande violence sans cadre juridique cohérent, habillés de conceptions extrêmes nées effectivement de l’instabilité des psychologies.
Nous avions exprimé, dans le F&C du 5 mai 2011 une position peu attentive au légalisme et au juridisme, mais nous référant plutôt à des grands courants historiques et aux valeurs d’une civilisation, et une position que nous espérons éclairée par l’intuition haute… En écrivant cela (l’“intuition haute”), nous voulons dire que notre position ne s’appuyait guère sur des arguments de droit précis mais se référait essentiellement à des conceptions qui nous sont propres, qui opposent la barbarie, et essentiellement la barbarie de la modernité (“la barbarie à visage de moderne” ?), à la civilisation appuyée sur la tradition. Entre les deux termes de cette opposition, qui est définie par nous-mêmes selon les termes que nous employons, on comprend aisément dans quel camp nous nous situons.
Cette position n’est en aucun cas une position juridique, ou une position se référant, même dans les termes les plus hauts éventuellement, à la seule notion de Droit. Nous estimons que les conditions établies dans les relations internationales, dans les comportements officiels, dans les politiques ; l’importance énorme donnée au système de la communication, le fait notamment qu’un droit coutumier de l’infamie et de l’imposture a pris racine selon les règles de conformisme et de terrorisme d’un système de la communication bien manipulé (comme le signale Pfaff, en citant l’observation cynique d’un officiel israélien : «If you do something for long enough the world will accept it. The whole of international law is now based on the notion that an act that is forbidden today becomes permissible if executed by enough countries….International law progresses through violations”); la disparition complète de notions telles que vérité et objectivité ; la mise en place, au contraire, de narratives impératives, sans le moindre sens, telle que la guerre contre la Terreur, entraînant des législations officielles sur la torture et des guerres nécessairement sans foi ni loi ; le triomphe de valeurs sentimentales basses et d’une “morale” de convenance, – nous estimons que tout cela rend aujourd’hui absolument impossible l’établissement d’une vérité du Droit qui le soit par elle-même.
Cela implique que le jugement du Droit selon de simples arguments de droit est devenu impossible, caduc, et, plus généralement par conséquent, une forfaiture permanente. Il doit apparaître évident, pour tout esprit qui n’a pas complètement abdiqué, qu’établir une équivalence entre la mort de l’amiral Yamomoto et celle de ben Laden, pour justifier la seconde par l’évidence de la justification de la première, nous fait entrer dans un labyrinthe pervers qui conduit à une subversion complète de la pensée. Par conséquent, et pour notre compte, tout en reconnaissant qu’il est de quelque intérêt d’examiner les arguments seulement de droit des uns et des autres, comme nous faisons plus haut, nous estimons qu’il faut faire intervenir d’autres dimensions fondamentales, pour parvenir à une vision fondamentale acceptable de ce qui pourrait continuer à être nommé “Droit”.
C’est selon ces conceptions que nous avons développé notre commentaire du 5 mai 2011. La “barbarie”, dans ce cas, si l’on veut cerner des faits plus concrets pour tenter d’approcher une vérité du “droit” qui serait nécessairement différente de ce que l’on a l’habitude de développer dans ce domaine, nous la trouvons dans l’esprit de l’acte qui supplante largement l’acte lui-même, – comme l’esprit de la loi par rapport à la lettre de la loi. Lorsqu’on observe les réactions populaires immédiates, la complaisance de la description du raid, suivie de la confusion “des” descriptions du raid selon les versions contradictoires, le terrorisme intellectuel et “moral” presque spasmodique et dans tous les cas pavlovien qui accompagne les jugements “autorisés” sur le raid, tout cela transforme le raid et l’acte qui l’a couronné en une infamie et rien de moins. S’il n’y a plus de référence de Droit disponible, alors il reste la conviction puissante qui s’installe qu’un tel acte, avec son apparat grotesque et bas, ne peut être qu’une imposture du Droit. C’est l’interprétation que nous offrons d’un acte qui ne peut plus être jugé selon un Droit pulvérisé par l’effondrement des évidences de la vérité et de l’objectivité, dans une situation nouvelle qui établit la valeur de l’acte selon une conception rétablissant le “Droit” par son exact antithèse, par son contraire, selon une démarche de perversion aujourd’hui aisément identifiable : valeur de bassesse, de médiocrité, d’absence d’humanité et de perversion de la grandeur, impuissance à ne rien connaître de la tragédie et ainsi de suite.
Notre “contre-civilisation” née du “déchaînement de la matière”, – et sapiens enchaîné à cette matière déchaînée, – conduit nécessairement au jugement de la bassesse d’actes tels que celui qui nous est offert. La question n’est même plus celle de la culpabilité ou non d’un ben Laden, puisque le processus menant à la question est vicié, subverti, lui-même devenu “contre-droit” de cette “contre-civilisation”. Il s’en déduit que la seule possibilité pour un “jugement” à porter sur l’acte revient à se référer à un Droit inspiré par l’intuition haute, devenu nécessairement impitoyable accusateur de ce comportement avant même d’aborder les actes et les événements incriminés. Il est devenu impossible de juger les actes et les événements, tant les uns et les autres sont déterminés par des comportements et des enchaînements, et conduisant à des réactions, tous également marqués par l’infamie et la forfaiture.
Cette “contre-civilisation” est désormais réalisée pour notre compte en tant que telle, dans sa totalité, depuis 2008-2010. C’est à partir de l’été 2010 que nous avons commencé à employer l’expression, convaincus de la substituer à l’expression employé d’abord par nous de “deuxième civilisation occidentale”. Nous notions le 10 septembre 2010, introduisant effectivement l’expression, avec cette notion dynamique de destruction (déstructuration) de la civilisation :
«On peut concevoir que le “mal” usurpe la notion d’essence et monte une mystification qui fait prendre la substance pour l’essence. […] Le mouvement de déstructuration montre sa logique perverse: il est la marche vers une soi-disant essence qui n’est qu’une substance informe, il veut se faire passer pour une évolution vers le bien alors qu’il est l’exact contraire. C’est le piège diabolique où se débat notre “deuxième civilisation occidentale”, qui mérite alors absolument d’être qualifiée de “contre-civilisation” puisqu’elle est ainsi l’archétype du contraire de la civilisation, comme son évolution est elle-même l’archétype du contraire de la marche vers le bien.»
Il s’agit donc de la mise à jour de la réalité de cette “deuxième civilisation occidentale”, formée à l’aube du XIXème siècle (voir la Grâce de l’Histoire), qui se révèle dans sa totalité de “contre-civilisation”. Cette structure faussaire (déstructurante) du monde ne peut donner que des artifices qui disent l’aspect malin, le double faux, de ce qu’ils prétendent représenter. Un Droit manifesté dignement aujourd’hui ne peut se manifester, avant toute prise de position plus spécifique, que comme la condamnation absolue de la forfaiture permanente que représente “leur” Droit aujourd’hui, impérativement identifié, aujourd’hui également, comme un “contre-Droit”. Avant de juger de la justesse de l’acte contre ben Laden, et de juger de la culpabilité de ben Laden, nous aurons déjà jugé que tout ce qui servirait à ces jugements est avéré faussaire, renégat et relaps, – après tout, un terme religieux a bien sa place dans cet intermède catastrophique, ou pré-catastrophique, qu’est devenue notre période historique de plus en plus vécue comme une course vers la réalisation du pire, permettant enfin la libération par la Chute.
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