Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
650
24 mars 2004 — A Washington, les déclarations de Richard A. Clarke dimanche à l’émission Sixty Minutes de CBS, puis la parution de son livre de mémoires Against All Enemies: Inside America's War on Terror, constituent l’attaque la plus violente portée à ce jour contre l’administration GW, qui met complètement la Maison-Blanche sur la défensive. En fait, on n’imagine pas la possibilité d’une attaque plus violente.
(Il y a eu un crescendo d’“attaques” directes ou indirectes, — qui ne sont en fait que l’exposé de certaines situations réelles par d’ex-protagonistes de l’administration, ou des agents de cette administration : il y a eu le constat et le rapport de David Kay sur l’absence d’armes de destruction massive en Irak ; il y a eu les révélations de Paul O’Neill, ancien secrétaire au trésor de GW Bush, sur les débuts de l’administration et la programmation immédiate, avant le 11 septembre 2001, d’une attaque contre l’Irak.)
L’attaque de Clarke porte sur le coeur de l’action et de la crédibilité de l’administration GW Bush. Clarke affirme que l’attaque du 11 septembre 2001 aurait pu être évitée, que la guerre contre la terreur qui a suivi a complètement été compromise par le choix fait de choisir très vite l’Irak comme cible. (Parmi la myriade de textes sur le sujet, on peut consulter le commentaire de Justin Raimundo ainsi que l’analyse de WSWS.org.)
Ce qui fait la gravité de l’attaque de Clarke, c’est à la fois la personnalité de cet homme, — un de plus “au-dessus de tout soupçon”, puisque républicain, “faucon” de la lutte anti-terroriste, d’une intégrité professionnelle reconnue, etc ; d’autre part, justement, sa spécialisation dans la lutte anti-terroriste depuis plusieurs décennies. Les observations et les témoignages à cet égard (dans le même article du New York Times déjà signalé) sont particulièrement révélateurs
« In 30 years in government, Mr. Clarke had a hard-charging reputation. He wore a sidearm to the office, and made many bureaucratic enemies. He acknowledges his close friendship with Rand Beers, a foreign service officer who succeeded him at the White House and who now advises Mr. Kerry's campaign on national security.
» But his critique can hardly be chalked up to partisan politics as usual. He was a registered Republican in 2000, a career White House civil servant under three presidents, one of the few national security experts held over from the first Bush administration into the Clinton years, and then held over again under the current President Bush.
» ''Dick Clarke had a front-row seat on America's counterterrorism efforts for almost two decades,'' said Senator Bob Graham, Democrat of Florida, a former chairman of the Senate Intelligence Committee. He added: ''The facts are that within six months of the first bombs falling on Afghanistan, this administration was diverting military and intelligence resources to its planned war in Iraq, which allowed Al Qaeda to regenerate. As the people of Indonesia, Morocco, Saudi Arabia and most recently, Spain, have learned painfully well, this president failed to execute the real war on terrorism.''
» Morton I. Abramowitz, whom Mr. Clarke served as a deputy when he was assistant secretary of state for intelligence in the Reagan administration, and who later served as the first Bush administration's ambassador to Turkey, said he had always valued Mr. Clarke's advice.
» ''I can only tell you I think Dick has enormous credibility,'' Mr. Abramowitz said. ''He's got a first-class intellect. He's very dedicated. He tries to make things happen. He doesn't hesitate to take unpopular stances, and he doesn't hesitate to push the envelope.'' He added: ''Dick is a serious player. He's been involved in this business for years. You can't overlook what Dick is saying.'' »
La violence de cette attaque a été mise en évidence par la riposte immédiate de la Maison-Blanche, alors que la tactique habituelle est de traiter ces incidents par le mépris et de n’y pas répondre précisément. Cette fois, c’est tout le contraire.
« President Bush's top aides launched a ferocious assault on the former White House counterterrorism official who accused Bush of failing to act on the al Qaeda threat before Sept. 11, 2001, and strengthening terrorists by pursuing a misguided focus on Iraq.
» The accusations in the new book by Richard A. Clarke, a veteran of four administrations who served for two years as a top aide to Bush's National Security Council, caused a furor in the capital as Democrats sought to use the allegations to challenge Bush's response to terrorism.
» Half a dozen top White House officials, departing from their policy of ignoring such criticism, took to the airwaves to denounce Clarke as a disgruntled former colleague and a Democratic partisan. Vice President Cheney, on Rush Limbaugh's radio show, said the counterterrorism coordinator ''wasn't in the loop, frankly, on a lot of this stuff.'' Cheney suggested Clarke did not do enough to prevent three attacks during the Clinton administration and said ''he may have a grudge to bear there since he probably wanted a more prominent position.'' »
En même temps, on le sait, les auditions au Congrès sur les conditions de l’attaque du 11 septembre ont commencé. L’ambiance est explosive, et les révélations de Clarke y sont pour beaucoup. De là, également, peuvent venir des révélations importantes. Sans aucun doute, la Maison-Blanche est entrée dans une crise majeure.
Mais un phénomène doit être observé et médité avec attention, car il est tout simplement extraordinaire dans un système aussi verrouillé que le système américain, qui fonctionne sur une solidarité de parti et d’intérêt extrêmement affirmée : que des gens du sérail, des “insiders” comme les appelle Paul Krugman dans son commentaire d’aujourd’hui, se mettent à parler pour dénoncer l’administration alors que celle-ci est en fonction, alors qu’elle est entrée dans une très rude campagne électorale. Lors de la crise du Watergate, par exemple, à part des révélations obtenues à cause de contraintes judiciaires (interrogatoires au Congrès, inculpations, etc), il avait existé une certaine solidarité avec le président Nixon, dans les rangs républicains. (Après la démission de Nixon, beaucoup de choses furent dites, mais c’était après.) Pourtant, Nixon n’était pas aimé. Mais les règles “de sécurité” du système jouaient leur rôle normal.
Aujourd’hui ? L’impression est bien d’une tendance générale à parler, à verser son propre témoignage au dossier. Il y a sans aucun doute une réaction de colère ou même le sens d’un devoir civique, devant une administration dont le comportement calamiteux est lui-même une menace pour le système. Il y a également des règlements de compte, ou encore la volonté de prendre date, etc. Qu’importe, tout cela est, devant la gravité des faits, complètement secondaire.
Il se passe autre chose, qui est fondamental : les mises en cause et les attaques vont aujourd’hui au coeur de la légitimité du président Bush et, désormais et de façon inéluctable (parce que le président est le président), ébranlent la légitimité du système lui-même. Nul ne sait ce qui peut sortir des auditions et des révélations et certaines allusions de l’un ou l’autre responsable (Rice et Rumsfeld, ayant laissé entendre que l’attaque du 11 septembre 2001 aurait eu lieu même si Ben Laden avait été supprimé avant cette date) ajoutent un élément de mystère sur les conditions de l’attaque elle-même.
La question qui se pose aujourd’hui est dramatique, par le dilemme qu’elle implique : si certains, y compris au sein du parti républicain, peuvent considérer qu’il est urgent de se débarrasser de GW Bush, tant l’actuel président est en train de conduire le système au chaos, — ne peut-on craindre que cette mise en cause s’accompagne de telles révélations, provoque de tels affrontements, mette à jour de telles turpitudes, que le système lui-même en soit ébranlé et mis en cause, même débarrassé de GW Bush ?