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17303 octobre 2011 – Il semble qu’il y ait le sentiment confus mais collectif qu’il existait une sorte d’attente “confuse mais collective” (cette attente existe toujours) qu’on pourrait traduire de la sorte : “Il faut que quelque chose se passe”. En un sens, les événements de Madison, Wisconsin, en février dernier, était une sorte de “réponse partielle”, – et nous irons bien entendu jusqu’à ajouter, fidèle à notre pluralité de “refus de prendre parti” entre tout ce qui est potentiellement antiSystème même si de tendances politiques opposées, que Tea Party était aussi une “réponse partielle”… Aujourd’hui, place à Occupy Wall Street, autre “réponse partielle”… C’est certainement qu’il faut désormais considérer avec le plus grand sérieux ce mouvement Occupy Wall Street, démarré comme une initiative quantitativement dérisoire mais qui disposait d’une assise symbolique extraordinaire (Wall Street est, avec l’American Dream, sans doute le symbole le plus puissant de l’Amérique en tant que représentation onirique du “Nouveau Monde” dans sa prétention universelle à la modernité dans toute sa vertu et dans toute sa puissance) ; Occupy Wall Street qui, désormais, a pris un assez joli essor et qui a franchi un pas important.
Un bon article, bien documentée, de IPS, reprend (via CommonDreams.org) le 1er octobre 2011 ce qu’on nommerait déjà l’“historique” du mouvement. Il cite notamment Cornel West, qui est déjà venu haranguer les gens d’Occupy Wall Street, qui s’inscrit, comme Africain-Américain radical, dans la tradition de Martin Luther King et lui-même, West, comme accusateur n°1 de Barack Obama, le traître à sa communauté, à ses promesses et à l’Amérique elle-même. West croit au potentiel révolutionnaire de Occupy Wall Street.
«“This is a democratic awakening,” Cornel West, a prominent activist and Princeton professor, told journalists prior to speaking before nearly 2,000 protestors at Occupy Wall Street's General Assembly on Tuesday. […]
»West, who compared the “U.S. Autumn” to the so-called Arab Spring, believed in the longevity of Occupy Wall Street, as long as protesters stay strong. “I think we gotta keep the momentum going, because it's impossible to translate the issue of the greed of Wall Street into one or two demands,” West stated. “In the end, we are really talking about what Martin King would call a revolution - a transfer of power from oligarchs to everyday people of all colours. And that is a step-by-step process, it's a democratic process, it's a non-violent process – but it is a revolution.”»
A côté de Cornel West, on peut identifier d’autres activistes, chroniqueurs et auteurs, cinéastes, etc., qui se sont imposés comme des “parrains” inspirateurs du mouvement, – sans occuper aucune place dans une non-structure dépourvue de hiérarchie, qui est la caractéristique extraordinaire de ces mouvements de protestation antiSystème, de Tea Party au “printemps arabe”, aux divers mouvements “indignés” en Europe. On mentionnera Michael Moore et Chris Hedges, notamment. Lisez cet argument plein de colère et cet appel à la révolte, à la désobéissance civique, choses extraordinaires dans ce pays du conformisme au Système, – de Chris Hedges, ancien (2002) Prix Pultizer pour le New York Times, le 29 septembre 2011, sur Truthdig.org :
«There are no excuses left. Either you join the revolt taking place on Wall Street and in the financial districts of other cities across the country or you stand on the wrong side of history. Either you obstruct, in the only form left to us, which is civil disobedience, the plundering by the criminal class on Wall Street and accelerated destruction of the ecosystem that sustains the human species, or become the passive enabler of a monstrous evil. Either you taste, feel and smell the intoxication of freedom and revolt or sink into the miasma of despair and apathy. Either you are a rebel or a slave.
»To be declared innocent in a country where the rule of law means nothing, where we have undergone a corporate coup, where the poor and working men and women are reduced to joblessness and hunger, where war, financial speculation and internal surveillance are the only real business of the state, where even habeas corpus no longer exists, where you, as a citizen, are nothing more than a commodity to corporate systems of power, one to be used and discarded, is to be complicit in this radical evil. To stand on the sidelines and say “I am innocent” is to bear the mark of Cain; it is to do nothing to reach out and help the weak, the oppressed and the suffering, to save the planet. To be innocent in times like these is to be a criminal. […]
»Choose. But choose fast. The state and corporate forces are determined to crush this. They are not going to wait for you. They are terrified this will spread…»
• Spontanément, – “spontanéité” est la description étrangement “tactique” de ces mouvements, comme l’on parlerait d’une “tactique spontanée de spontanéité”, – s’est mis en place un formidable appareil de communication et d’information sur Internet. Nous n’avons, dans notre expérience, jamais vu Wikipedia mettre en place un article d’actualité aussi rapidement, et aussi puissamment documenté, sur un événement en cours. (Voir l’article Occupy Wall Street sur Wikipedia, mis à jour au jour le jour, et comprenant notamment une impressionnante nomenclature de tous les articles significatifs consacrés au mouvement depuis deux semaines, – 61 références avec leurs liens au 2 octobre 2011.) Il y a bien sûr, également, les liens du mouvement lui-même, comme le site Occupy Wall Street et le site complémentaire Occupy Together. La presse-Système, aux USA, commence désormais de façon très sérieuse à suivre le mouvement, conduite en cela par les événements spectaculaires dans les rues des grandes villes, notamment à New York City. On lira par exemple un article de CNN.News, ce 3 octobre 2011, sur l’extension en cours du mouvement («As Wall Street protest enters 3rd week, movement gains steam nationwide»). Certains sites non-US suivent avec minutie et au jour le jour le mouvement, notamment Russia Today (voir, par exemple, l’article très bien documenté dès le 20 septembre 2011), qui a pris le relais de la tête de la contestation globale télévisuelle, jusqu’alors tenue par Aljazeera.net.
• On sait que la diffusion du mouvement dans diverses villes des USA est en cours. De ce point de vue l’organisation et la coordination “spontanées” par la communication des moyens dits de “réseaux sociaux” joue un rôle vital pour ce mouvement qui refuse en théorie l’organisation et la coordination structurées, qui pourraient avoir un aspect bureaucratiquement et idéologiquement contraignant. IPS a interviewé, pour le texte déjà référencé, l’homme qui est chargé de ce domaine dans le mouvement, Brian Philips, qui vient de chez Google.
«Brian Phillips, a 25-year-old Google consultant and field journalist from Washington state, arrived in New York only a few days ago and has already become the communications director for the protest. Like many others, he gave up his former civil life to participate in the movement. “I was a community director in my home state, managing a four million dollar complex,” Phillips told IPS. “I quit my job, I… hitchhiked all the way over here and I am here to stay and help these guys.”
»Communication, both internal and external, is one of the key elements of the protests. By using websites, webcasts, tweets and live streams, Occupy Wall Street stays in touch with other movements, both national and global. “It's very, very, very important that we are connected to the internet,” Phillips explained. “We need the world to see what we are doing and… to know what we are doing.” “Because we are broadcasting from Occupy Wall Street, which is[the] headquarters of the revolution, we have ten other cities around the United States starting to be occupied. We have Boston, Chicago, LA, Austin, Charlotte. We have a bunch of places starting up. It's going big – and it's increasing by size faster than we've expected.”»
• Les adversaires du mouvement, bien entendu, se recrutent dans le domaine de l’évidence. Toute la droite radicale, proche des idéologies soit politiques, soit économiques, de cette couleur politique, est dans ce domaine de l’opposition évidente, viscérale, furieuse. On dénonce une tentative d’instaurer le socialisme sur “la terre du capitalisme” ; on dénonce aussi un retour au désordre et à l’anarchie des années 1960. On est prompt à dégainer les clichés. Les démocrates, eux, qui représentent l’aile soi distant centriste du “parti unique”, sont pour l’instant plutôt gênés et silencieux ; on ne peut dire que la moindre affinité se soit marquée entre eux et les gens de Occupy Wall Street.
• …Par ailleurs, on n’est pas excessivement adroit, du côté du Système. Est-il adroit de faire connaître en ce moment, dans le chef de la J.P. Morgan Chase Bank, que cette banque vient de faire un don de $4,6 millions à la police de New York, le très fameux NYPD (New York Police Department). Le don, pour les bonnes œuvres comme l’on s’en doute, constituées d’un bon millier de voitures de patrouille supplémentaires, fait l’objet d’un échange de lettres chaleureuses et ressemble aussi bien à une rétribution directe de Wall Street pour sa sécurité. On ne sera pas sans rapprocher ce don, non seulement du développement de Occupy Wall Street, mais aussi de l’avertissement récent du maire de New York, le milliardaire Bloomberg, selon lequel il fallait s’attendre à des émeutes à la suite des mauvaises conditions économiques. Dans cette attente, voici le texte du communiqué de la J.P. Morgan Chase, qui vaut effectivement citation complète…
«JPMorgan Chase recently donated an unprecedented $4.6 million to the New York City Police Foundation. The gift was the largest in the history of the foundation and will enable the New York City Police Department to strengthen security in the Big Apple. The money will pay for 1,000 new patrol car laptops, as well as security monitoring software in the NYPD's main data center. New York City Police Commissioner Raymond Kelly sent CEO and Chairman Jamie Dimon a note expressing “profound gratitude” for the company's donation. “These officers put their lives on the line every day to keep us safe,” Dimon said. “We're incredibly proud to help them build this program and let them know how much we value their hard work.”»
• Du coup, NYPD s’active considérablement à manœuvrer avec plus ou moins d’habileté, et plutôt moins que plus, contre les Occupy Wall Street. Ainsi en est-il d’une vaste opération sur le pont de Brooklyn, pour contrecarrer une marche de plusieurs milliers d’“indignés”, samedi. Comme l’explique Justin Elliott, de Salon.com, ce 2 octobre 2011, les policiers, qui étaient en nombre extrêmement impressionnants, ont manœuvré pour encadrer la manifestation, pour la forcer à emprunter la chaussée plutôt que les trottoirs, pour ensuite procéder à plusieurs centaines d’interpellations (700, dit-on) pour “entrave à la circulation sur la voie publique” (ou un argument du genre). Si cela est bien dans les méthodes grossières et brutales de NYPD, dont on comprend maintenant pourquoi il est l’objet d’une admiration si particulière du président Sarkozy et de son t-shirt “NYPD”, il est possible que cela ne soit pas dans l’intérêt général de l’étouffement du mouvement Occupy Wall Street ; c’est ce que rapporte Elliott, qui se trouvait dans la manifestation (quantitativement la plus importante depuis le début d’Occupy Wall Street) :
«Before the march started, one protest organizer told me, “If the cops arrest 100 people, it’s the best thing they could do for us.” Indeed, media and public interest in the protest swelled after an NYPD officer pepper-sprayed several protesters last Saturday. So with the arrests today, the NYPD may have handed the protesters a public-relations gift. Media interest is already high; as with my visit on Wednesday, I saw at least a couple dozen camera crews, reporters and photographers…»
Le résultat de l’échauffourée est effectivement un gain de popularité et de notoriété pour le mouvement. The Independent du 3 octobre 2011 écrit : «Support for “Occupy Wall Street” protest boosted by mass arrests. […] A two-week old protest movement claiming to “Occupy Wall Street” looked like becoming a cause célèbre after the arrest of 700 people who blocked New York's Brooklyn Bridge over the weekend.».
Après cet exposé général de la situation, nous commencerons notre appréciation en nous attachant au point qui semble le plus futile, le plus anecdotique, et qui nous paraît pourtant le plus significatif. Il s’agit de la généreuse donation de la J.P. Morgan Chase au NYPD, exposée d’une façon très officielle dans un communiqué au moment où se développe Occupy Wall Street. Nous parlons ici de la publicité faite à cette donation plus que de la donation elle-même : peut-on concevoir démarche plus maladroite, plus stupidement provocatrice à l’encontre d’un mouvement en plein développement, et dont l’on a tout à craindre ? Cette démarche, signifiant sans la moindre vergogne aux gens de Occupy Wall Street : “la police est à nous et elle réprimera votre mouvement comme nous l’entendons”, implique la croyance absurde que le mouvement Occupy Wall Street et son succès sont basés sur la peur et qu’un peu de peur supplémentaire l’arrêtera, alors que les faits même indiquent que c’est la colère qui l’anime. Dans ce cas, la provocation devient une incitation à accentuer ce mouvement, à en renforcer l’unité, à élargir sa base, etc.
(On reste le souffle coupé devant cette donation parce que, en réalité, face à Occupy Wall Street, qui est effectivement un mouvement qui se nourrit de la colère d’une situation sociale désespérante, une telle donation eût dû aller, par exemple, à une caisse d’entr’aide aux chômeurs, ce qui aurait effectivement amorcé un effet de division dans cette coalition hétéroclite qui se forme autour de Occupy Wall Street… Il ne s’agit pas ici de compassion, qu’il ne viendrait à personne de suggérer à Wall Street qui est bien assez naturellement doué pour cela, la compassion, mais de simple tactique de communication.)
L’enseignement qu’on peut tirer de cette maladresse si révélatrice dans un fait si anecdotique est au moins de deux ordres. D’une part, la direction financière du système de l’américanisme, cette émanation importante du Système en général, vit elle-même dans l’aveuglement de l’arrogance de sa puissance, dans une interprétation totalement primaire et faussaire du comportement des gens ; d’autre part, elle vit dans une peur panique du public, de cette peur qu’elle attribue elle-même si faussement à ce public pour croire qu’il céderait à de simples menaces policières qu’elle suggère indirectement par une somptueuse donation. (Certains en feraient évidemment un complot pour susciter d’une façon artificielle des incidents et précipiter une aggravation de la situation par tactique élaborée, parce qu’il faut bien s’occuper l’esprit et charger les gens à la solde du Système de vertus qu’ils ne peuvent avoir dans la position où ils se trouvent.)
Brièvement dit, nous avancerions l’idée que Wall Street est aussi averti de l’humeur des gens dans les rues que ne l’était Moubarak le 25 janvier 2011, avant les premières manifestations de ce qu’on sait. Les directions diverses du Système vivent dans des univers clos par rapport au monde vrai de la population et sont incapables d’appréhender l’évolution de l’état d’esprit de cette population ; cela est encore plus vrai pour les directions financières que pour les directions politiques, qui doivent tout de même affronter régulièrement l’humeur de leur électorat.
…Mais l’on irait encore plus loin, d’ailleurs. Le “monde vrai de la population” (du public) lui-même, d’où sort Occupy Wall Street, est également peu conscient de la vigueur de son propre état d’esprit, de la puissance potentielle de sa propre colère, voire de sa propre haine contre les pouvoirs acquis au Système. Le déroulement de Occupy Wall Street est significatif à cet égard. Le mouvement devait démarrer avec force et il démarra faiblement (Occupy Wall Street espérait 20.000 manifestants le 17 septembre, là où il y en eut 2.000) ; ce n’est qu’ensuite, à un moment où tout le monde pensait qu’il allait se dissoudre dans l’échec, qu’il s’est peu à peu renforcé, jusqu’à des dimensions désormais préoccupantes pour le Système, comme si la colère potentielle, dont même ceux qui l’éprouvent ignorent la force, prenait le temps de la réalisation de l’événement pour se concrétiser en une extension du mouvement plus importante qu’envisagée. Cette évolution est évidemment dû à l’extrême caractère d’imprécision du mouvement, à son absence de but précis et concret par conséquent, qui semblerait être sa faiblesse parce qu’il ne provoque pas de réactions mobilisatrices immédiates mais qui fait sa force parce que cette colère potentielle très puissante existe et que c’est elle, qui est générale, sans but précis, marquée par une simple mais colossale “indignation” contre le Système, qui finit par s’exprimer dans l’extension qu’on constate aujourd’hui. Elle peut s’exprimer, effectivement, parce que le vecteur qui lui est proposé est si vague dans ses buts concrets, comme s’il semblait n’exister que pour porter et exprimer cette colère.
Cette extension puissante mais subreptice, alimentée par les maladresses qu’on a vues (J.P. Morgan Chase et NYPD), relayée et renforcée par des mouvements similaires dans de plus en plus de villes US (Chicago, Los Angeles, Detroit, Boston, Austin, etc.), contient des ingrédients explosifs par le caractère incontrôlable qu’elle manifeste. Tout le monde le sait, Occupy Wall Street est sans hiérarchie, sans organisation de contrôle, comme sont ces sortes de mouvement aujourd’hui, et ce qui fait sa faiblesse initiale pour les “révolutionnaires” professionnels qui ratent les révolutions depuis deux siècles, devient évidemment sa force par son caractère inarrêtable à partir d’un certain point de non retour. Ce point de non retour va-t-il être atteint ? L’est-il déjà ? Sait-on où il se trouve ? Aucune réponse n’est possible, et c’est encore là, justement, ce flou et cette incertitude qui font la force paradoxale de Occupy Wall Street.
Le jour où Washington D.C., où se préparerait un mouvement similaire, va s’apercevoir de quelque chose, tous les membres de l’establishment, y compris ceux qui devraient être les alliés naturels d’un tel mouvement, comme Obama si Obama conservait quelque dignité que ce soit, vont se trouver, dans d’éventuelles positions à prendre, devant une sorte de quadrature du cercle. Encore une fois, dirions-nous, car le même processus s’est passé, sous une autre forme et pour une autre partie de l’establishment, avec Tea Party (et avec les événements de Madison, dans le Wisconsin). De ce point de vue, nous n’opposons pas une seconde Occupy Wall Street à Tea Party, comme la logique politique conventionnelle y pousserait. Au contraire, nous le rangeons à côté, sous la rubrique “déstabilisation et dissolution, volontaire ou pas qu’importe, du Système”.
Effectivement, il faut s’attacher à la position politique qu’occupe Occupy Wall Street, qui est manifestement un mouvement de gauche, voire de la gauche radicale, de la gauche progressiste, avec même l’adjonction (bravo, Obama) de parts non négligeables d’activistes africains-américains ; et pourtant, non, rien de cela… Quoi qu’il en veuille, nous appliquerons à Occupy Wall Street le même traitement que nous avons appliqué à Tea Party. Alors, comme signalé plus haut, nous mettons ces deux choses côte à côte, avec également le mouvement de Madison, Wisconsin, parce que tous ces mouvements se caractérisent également par un caractère commun, qui est essentiel pour nous : ce sont nécessairement des systèmes antiSystème.
Tous ces mouvements, qui expriment des sensibilités politiques très différentes, qui affirment des conceptions antagonistes, qui professent entre eux des sentiments extrêmement hostiles et des soupçons épouvantables, ont pour effet général d’affaiblir le Système. C’est en cela qu’ils sont vertueux, et d’une vertu commune, quelles que soient leurs convictions et leurs manigances.
Nous irions même plus loin dans leur domaine commun de la vertu antiSystème. Il est certain qu’on pourrait plaider, comme certains l'ont déjà fait d’une façon extrêmement convaincante, qu’une union des contestations US diverses, de droite et de gauche, pourrait représenter un courant d’une force considérable, qui serait sans aucun doute capable d’ébranler l’establishment washingtonien. Mais il nous semble que ce schéma, qui eut sans aucun doute sa justification, apparaît désormais dépassé. Au point où l’on se trouve, l’on pourrait se demander si un tel effort des diverses contestations unies serait assez fort pour porter au Système un coup suffisant pour qu’on puisse le considérer comme fatal pour lui. Il est loin d’être évident qu’on puisse répondre par la positive ; il est d’ailleurs remarquable que tous ces mouvements de contestation n’ont pas, d’une façon générale, la destruction du Système comme objectif, mais sa rénovation, dans le même cadre, selon les mêmes conceptions qui ont préside à sa mise en place et à son développement.
Par contre, la concurrence implicite mais créatrice de ces mouvements, leur diversité antagoniste, ajoutent à leur puissance un facteur de désordre important, multipliant la radicalisation des pressions et des exigences qui naissent spontanément. Cette situation est finalement la meilleure possible dans la mesure où le Système (le pouvoir politique aux USA) n’a plus aucune capacité d’imagination et de manœuvre de compromis pour jouer une des tendances contestatrices contre l’autre. Le résultat est que la puissance de l’attaque ajoutée au désordre de l’attaque ne donnent aucune opportunité de défense au Système, mais accroissent son désarroi dans la façon dont il pourrait éventuellement riposter. C’est l’essentiel ici, parce que le Système est aujourd’hui, comme on le sait, en état de surpuissance en même temps que proche de son état d’autodestruction, et qu’il est capable de résister à des attaques frontales mais qu’il peut être au contraire fatalement ébranlé par des coups divers, diversifiés et désordonnés qui accélèreraient son processus interne irrémédiable d’autodestruction. Déjà, la façon dont le Système n’a pas su résister à l’attaque de Tea Party, jusqu’à accepter que se forme en son sein (au sein du parti républicain) une composante Tea Party qui manipule le parti républicain, est complètement révélatrice. Si Occupy Wall Street suivait la même voie, on pourrait retrouver deux courants de polarisation extrémistes antagonistes, dont la victime réelle serait en réalité ce qu’il reste de fonctionnement du Système, notamment à Washington, notamment au Congrès ; dito, le processus interne d’autodestruction accéléré...
Le Système ne peut donner satisfaction ni à Tea Party ni à Occupy Wall Street. En conséquence, il ne peut que les conserver comme ennemis, et ennemis absolument épouvantables tant les revendications respectives des deux mouvements (destruction de la structure fédérale centrale, destruction de l’oligarchie financière respectivement) sont des anathèmes totalement monstrueux pour le Système. Les troubles de Occupy Wall Street doivent donc être mis, non pas en opposition à ceux de Tea Party, mais en complément, dans le cadre de la montée générale d’une attaque contre le Système. Leur effet d’affaiblissement du Système s’exprime principalement par l’affaiblissement de différentes structures du système de l’américanisme (structure fédérale, structure de l’oligarchie financière, entraînant dans la même mise en cause d’autres structures comme celle du complexe militaro-industriel). Au bout du compte, c’est la cohésion structurelle et soi disant “nationale” de cet ensemble monstrueux de surpuissance que sont les USA qui est en cause ; et l’on sait qu’il s’agit là, selon nos conceptions, d’un verrou essentiel, sinon le verrou essentiel du Système, avant sa chute libre et la fin de son effondrement.
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