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1500L’“incident d’Heathrow”, c’est l’arrestation et la détention arbitraires, pendant neuf heures le 18 août, de David Miranda, “compagnon” de Glenn Greenwald, ou “partner” en anglais. Outre la thèse des Dupont-Dupont développée par notre “chroniqueur du 19 courant...”, ce 19 août 2013, il y a la réalité d’une avalanche qui secoue le système de la communication aux dépens du Système et des directions politiques qui le servent. Il est inutile de tenter de rapporter toutes les réactions déclenchées par cette affaire, tant elles sont nombreuses ; il suffit de savoir qu’elles vont toutes, disons à 99%, dans le même sens ainsi décrit par le susdit chroniqueur : «L’avalanche de publicité moqueuse, rageuse, furieuse, indignée à l’encontre de tous ces Dupont-Dupont a aussitôt suivi, comme par automatisme.»
C’est un “incident” typique de notre époque postmoderne, c’est-à-dire typique d’une époque où un simple “incident”, par sa puissance symbolique et son écho de communication, secoue le monde politique et sécuritaire au sens le plus large, bouleverse les jugements, presse les psychologies... Bien entendu, c’est parce que l’“incident” est révélateur, – dans ce cas, révélateur de tous les commentaires qu’on peut avancer, hors de la contrainte d’un esprit et d’une situation soumis au Système, – pour ce cas, depuis le 6 juin-10 juin et le démarrage de l’affaire Snowden/NSA devenue sans le moindre doute une crise majeure à l’intérieur du bloc BAO, et même dirait-on à l’intérieur du Système. Il s’agit d’une crise de nous-même face au Système qui nous enferme, et dont les Dupont-Dupont de la nébuleuse NSA sont les porteurs d’eau, un peu comme un pompier se trompe et déverse sur l’incendie qui gronde de l’essence qu’il a confondue, cette tête de linotte, avec l’eau salvatrice.
• Certes, il ne fait aucun doute que l’“incident d’Heathrow” est un avertissement adressé à Greenwald, et bien dans la manière du Système, avec le seul langage qu’il peut employer, qui est celui de la brute force. (Ceci, “tweeté” par Greenwald à partir du texte de Reuters du 19 août 2013 : «One U.S. security official told Reuters that one of the main purposes of the British government's detention and questioning of Miranda was to send a message to recipients of Snowden's materials, including the Guardian, that the British government was serious about trying to shut down the leaks.») Il ne fait aucun doute non plus que la réaction de Greenwald est celle que l’on peut attendre d’un “résistant” déterminé (voir le 19 août 2013). Cette réaction est largement documentée, et l’on se reportera au texte général de Russia Today du 20 août 2013.
«Glenn Greenwald, the Guardian journalist who first published secrets leaked by former NSA contractor Edward Snowden, promised Monday to release more documents, saying the UK would be “sorry” for detaining his partner for nine hours. [...] “I have many more documents to report on, including ones about the UK, where I'll now focus more. I will be more aggressive, not less, in reporting,” said Greenwald, speaking in Portuguese to reporters at Rio de Janeiro's international airport, Reuters reported. “When they do things like this, they show the world their real character. It'll backfire. I think they'll come to regret it,” he said.»
• Vengeance ? Pas du tout, écrit Andrea Peterson sur l’un des blogs du Washington Post le 19 août 2013 : «Greenwald’s point seems to have been that he was determined not to be scared off by intimidation. Greenwald and the Guardian have already been publishing documents outlining surveillance programs in Britain, and Greenwald has long declared his intention to continue publishing documents. By doing so, Greenwald isn’t taking “vengeance.” He’s just doing his job.» Notez que cette appréciation qui revient à un soutien complet de Greenwald contre les directions politiques-Système est bien du Washington Post. Pour l’heure, la presse-Système redevient fréquentable (on en a déjà eu des exemples, comme nous l’indiquions le 16 août 2013), parce qu’il s’agit bien de cette crise à l’intérieur du Système, opposant des forces qui sont en général complètement alignées sur le Système, bref un spasme intérieur de plus, de type “discorde chez l'ennemi”, de la crise d’effondrement du Système actuellement en cours. Tout de même et sans nul doute, on reconnaîtra que l’incident a une importance particulière, et cela pour diverses raisons dont la plus intéressante est le degré de nervosité, sinon de panique qu’elle montre dans le chef du Système acculé à cette sorte de “message” type-brute force.
• Cela nous vaut par conséquent des révélations annexes qui ne sont pas rien, et qui renforcent l’indication qu’on a du “degré de nervosité, sinon de panique” du Système. La plus importante est évidemment celle qui nous est offerte par le directeur de la rédaction du Guardian Alan Rusbridger, ce 19 août 2013, rapportant un incident (un autre “incident”) qui s’est produit “il y a un peu plus de deux mois”, avec l’intervention d’un officiel “de très haut niveau” affirmant parler “au nom du Premier ministre”, suivi “il y a un peu plus d’un mois” de plusieurs entretiens avec des fonctionnaires, – sans doute du GCHQ, “partner” britannique de la NSA, comme nul n’en ignore, et plus généralement du ministère de la défense britannique. Il s’agissait d’exiger la destruction des documents du fonds Snowden détenus par le Guardian, sous peine d’une astreinte officielle en cas de refus. Rusbridger accepta finalement, en faisant remarquer la complète inutilité de la démarche puisque le fonds Snowden est disséminé un peu partout dans le monde, et notamment chez Greenwald, qui écrit les articles et les met directement en ligne, et Greenwald résidant et travaillant au Brésil comme l’on sait... Les Dupont-Dupont restèrent impavides devant la description de cette évidence ; la brute force ne réfléchit pas, elle fonce... Bref, la description de l’“incident” vaut citation, le reste de l’article constituant la fulmination contre l’autre “incident”, celui de Heathrow.
«A little over two months ago I was contacted by a very senior government official claiming to represent the views of the prime minister. There followed two meetings in which he demanded the return or destruction of all the material we were working on. The tone was steely, if cordial, but there was an implicit threat that others within government and Whitehall favoured a far more draconian approach.
»The mood toughened just over a month ago, when I received a phone call from the centre of government telling me: “You've had your fun. Now we want the stuff back.” There followed further meetings with shadowy Whitehall figures. The demand was the same: hand the Snowden material back or destroy it. I explained that we could not research and report on this subject if we complied with this request. The man from Whitehall looked mystified. “You've had your debate. There's no need to write any more.”
»During one of these meetings I asked directly whether the government would move to close down the Guardian's reporting through a legal route – by going to court to force the surrender of the material on which we were working. The official confirmed that, in the absence of handover or destruction, this was indeed the government's intention. Prior restraint, near impossible in the US, was now explicitly and imminently on the table in the UK. But my experience over WikiLeaks – the thumb drive and the first amendment – had already prepared me for this moment. I explained to the man from Whitehall about the nature of international collaborations and the way in which, these days, media organisations could take advantage of the most permissive legal environments. Bluntly, we did not have to do our reporting from London. Already most of the NSA stories were being reported and edited out of New York. And had it occurred to him that Greenwald lived in Brazil?
»The man was unmoved. And so one of the more bizarre moments in the Guardian's long history occurred – with two GCHQ security experts overseeing the destruction of hard drives in the Guardian's basement just to make sure there was nothing in the mangled bits of metal which could possibly be of any interest to passing Chinese agents. “We can call off the black helicopters,” joked one as we swept up the remains of a MacBook Pro.
»Whitehall was satisfied, but it felt like a peculiarly pointless piece of symbolism that understood nothing about the digital age. We will continue to do patient, painstaking reporting on the Snowden documents, we just won't do it in London. The seizure of Miranda's laptop, phones, hard drives and camera will similarly have no effect on Greenwald's work.
»The state that is building such a formidable apparatus of surveillance will do its best to prevent journalists from reporting on it. Most journalists can see that. But I wonder how many have truly understood the absolute threat to journalism implicit in the idea of total surveillance, when or if it comes – and, increasingly, it looks like “when”.
»We are not there yet, but it may not be long before it will be impossible for journalists to have confidential sources. Most reporting – indeed, most human life in 2013 – leaves too much of a digital fingerprint. Those colleagues who denigrate Snowden or say reporters should trust the state to know best (many of them in the UK, oddly, on the right) may one day have a cruel awakening. One day it will be their reporting, their cause, under attack. But at least reporters now know to stay away from Heathrow transit lounges.»
• La mobilisation est donc générale : puisque Rusbridger sort cette histoire, on en a le signe certain. On sait le rôle ambigu du Guardian, son désir de ne pas aller trop loin tout en faisant son miel, commercialement et professionnellement, et même avec un zeste d’éthique, de ces révélations du fonds Snowden, comme il le fit avec Wikileaks. Mais la pression est trop forte et pousse à la radicalisation de toutes les positions ; par conséquent, avec l’“incident d’Heathrow”, Rusbridger jette le masque et prend position publiquement. Ainsi en est-il des effets de la tactique brute force, ou Dupont-Dupont, qui ne laisse aux uns et aux autres aucune alternative sinon la radicalisation de sa propre position pour chacun. C’est du pur “vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous”. Par ailleurs, et sans véritable surprise pour notre compte, mais avec un étalage public qui importe, l’“incident” rapporté par Rusbridger nous signale que la panique du Système dans la crise Snowden/NSA est bien réelle, qu’elle remonte aux origines (première intervention “il y a un peu plus de deux mois”), qu’elle passe par le plus haut niveau (une voix officieuse parlant “au nom du Premier ministre”)... Confirmation encore, si besoin est : la crise Snowden/NSA c’est du très lourd, sans aucun doute supérieure en gravité à l’affaire Wikileaks et bien loin d’un simple montage pour amuser la galerie comme l’hypothèse en a été parfois évoquée, et pas très loin enfin d’être sans précédent en gravité pour le Système. Autant pour le “freluquet de 30 ans”.
• Mais nous sommes déjà loin de tout cela (montage, “freluquet”, etc.). La crise Snowden/NSA défile à un train d’enfer, tout au long de ce mois d’août qui n’a même pas eu le temps de s’engourdir dans le temps des vacances. Greenwald, tweeter d’élite, signale que commencent à paraître des articles de partisans de la NSA, montrant une lassitude certaine à cet égard. Il y a John Fund, de National Review, ce 18 août 2013, avant l’“incident d’Heathrow” : «It’s time to ask tough questions about the National Security Agency’s surveillance activities — even for conservatives who have given the NSA the benefit of every doubt up until now.» Il y a Andrew Sullivan (le 18 août 2013, sur son site) qui, lui, remercie le Premier ministre britannique pour l’avoir éclairé sur la vraie nature de la chose grâce à l’“incident d’Heathrow”. Ami de Greenwald, Sullivan différait d’opinion sur la question du rôle de la NSA et de la situation de la surveillance et de la sécurité, mais il admet avoir évolué ces dernières semaines ; l’incident d’Heathrow” achève de le convaincre : «In this respect, I can say this to David Cameron. Thank you for clearing the air on these matters of surveillance. You have now demonstrated beyond any reasonable doubt that these anti-terror provisions are capable of rank abuse. Unless some other facts emerge, there is really no difference in kind between you and Vladimir Putin.»
On voit bien avec le cas Sullivan qu’il ne s’agit nullement d’une désertion du Système ou de prises de position de commentateurs d’ores et déjà antiSystème. Il s’agit d’une bataille à l’intérieur du Système de la sorte la plus déchirante possible, avec les références normatives renvoyant aux narrative du Système, puisqu’on relève dans le texte de Sullivan que Poutine est cité comme référence de la situation la plus détestable possible, celle que semblent désormais connaître les “démocraties” du bloc BAO. C’est un jugement qu’on retrouve chez ceux qui, jusqu’alors partagés, dénoncent désormais le comportement des autorités et de leur architecture sécuritaire sans pour autant se déclarer antiSystème, mais au contraire en se posant implicitement comme défenseurs des “valeurs” qu’ils croient encore y trouver. On retrouve cette référence et la même démarche chez un Simon Jenkins, dans le Guardian du 19 août 2013 :
«The hysteria of the “war on terror” is now corrupting every area of democratic government. It extends from the arbitrary selection of drone targets to the quasi-torture of suspects, the intrusion on personal data and the harassing of journalists' families. The disregard of statutory oversight – in Britain's case pathetically inadequate – is giving western governments many of the characteristics of the enemies they profess to oppose. How Putin must be rubbing his hands with glee.»
Chez les dissidents confirmés, les antiSystème les plus expérimentés, bien entendu le jugement va beaucoup plus loin et porte sur la contestation du Système lui-même. Parmi les plus extrêmes à cet égard, Justin Raimondo (Antiwar.com, le 19 août 2013) tient l’“incident de Heathrow” pour le cas décisif, le pas de clerc («This time they’ve gone too far») qui fait basculer la situation dans le paroxysme crisique, et cela pour juger effectivement que rien ne pourra plus empêcher que le bloc BAO connaisse le sort de l’URSS : «Nothing short of a revolution is going to stop this power grab: hopefully it will be like that which overthrew the old Soviet Union – relatively bloodless and nonviolent. That’s what I hope for – but I’m not betting the farm on it...»
Que dire encore de ce déferlement ? Le député Amash, qui a organisé le vote du 24 juillet de la Chambre des Représentants, signale d’ores et déjà qu’il est prêt à repartir à la bagarre, en septembre, pour faire voter la Chambre à nouveau, “à la hussarde”, et décider de restrictions décisives contre la NSA. (L’idée d’Amash est d’attaquer directement le budget de la NSA.) Les sénateurs Warden et Udall signalent que les révélations du Washington Post (publiées le 16 août à partir du fonds Snowden), sur les violations de la loi par la NSA relevées par des enquêtes internes de la NSA elle-même, ne sont que “la partie émergée de l’iceberg”...
Majestueux, le Titanic continue à avancer à sa vitesse de croisière. Comme on le sait, les icebergs il connaît. Le président continue à jouer au golf.
Mis en ligne le 20 août 2013 à 09H28