L’avertissement de Krugman

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Pour cette fois, Paul Krugman ne parle ni d’économie, ni spécifiquement de la crise économique elle-même. Il parle d’une autre crise qui est en train de se dessiner, qui serait “la crise de la présidence Obama”. Dans son commentaire régulier du New York Times, celui-ci en date du 21 août 2009, il s’attache au “problème de confiance” d’Obama («Obama’s Trust Problem») – ce qui pourrait devenir une “crise de confiance” de la présidence Obama. L’intervention de Krugman est importante parce que c’est une voix écoutée et influente, chargée par les circonstances, les honneurs et certaines prises de position, d’une certaine sagesse et d’un statut implicite qu’on pourrait désigner comme “la conscience des libéraux” (ou des “progressistes”, puisqu’il s’agit du sens politique du mot “libéral” dans la politique US). (Krugman intitule son blog personnel sur le NYT: “Conscience of a Lberal”.)

Donc, Krugman ne parle pas d’économie… Pour lui, la crise des soins de santé, où Obama n’a jamais su prendre une position nette, où il a fortement louvoyé sur la question de l’intervention du secteur public dans cette affaire, constitue un catalyseur de ce qui pourrait devenir une “crise de confiance” fondamentale entre le président et sa base électorale et idéologique naturelle.

«According to news reports, the Obama administration — which seemed, over the weekend, to be backing away from the “public option” for health insurance — is shocked and surprised at the furious reaction from progressives. Well, I’m shocked and surprised at their shock and surprise.

»A backlash in the progressive base — which pushed President Obama over the top in the Democratic primary and played a major role in his general election victory — has been building for months. The fight over the public option involves real policy substance, but it’s also a proxy for broader questions about the president’s priorities and overall approach. […]

»So there’s a growing sense among progressives that they have, as my colleague Frank Rich suggests, been punked. And that’s why the mixed signals on the public option created such an uproar. […] So progressives are now in revolt. Mr. Obama took their trust for granted, and in the process lost it. And now he needs to win it back.»

Krugman ne s’en tient pas, certes, à la seule querelle des soins de santé. Il passe en revue ce qu’il juge être les principales erreurs d’Obama par rapport à sa base électorale, par rapport aux “progressistes”. La question du sauvetage de Wall Street, particulièrement, apparaît comme un point particulièrement choquant. («I don’t know if administration officials realize just how much damage they’ve done themselves with their kid-gloves treatment of the financial industry, just how badly the spectacle of government supported institutions paying giant bonuses is playing.»)

Cette intervention de Paul Krugman vient à son heure parce qu’elle marque effectivement l’exaspération désormais patente, pesante, fondamentale, de la base de soutien naturelle de Barack Obama. Elle marque aussi la colère en soi, qui est l’attitude politique désormais de plus en plus répandue de de la fraction libérale (progressiste) de l’opinion publique US. Ce fait est à tenir désormais comme essentiel dans l’analyse politique d’une situation qu’un acteur de cinéma peut définir, comme s'il était analyste politique respecté, comme celle d’un climat préparant une guerre civile, sans paraître ridicule ni excessif. De plus en plus s’exerce une polarisation dans la situation politique aux USA, s’accompagnant d’une montée aux extrêmes – c’est-à-dire que chaque pôle opposé s’affirme en tant que tel, dans des positions de plus en plus extrêmes. La remarque de Krugman, un jugement désormais partagé par la plupart des libéraux US, résume cette situation: «It’s hard to avoid the sense that Mr. Obama has wasted months trying to appease people who can’t be appeased…» Peu importe ici le sens politique de la phrase, ce qui importe est la situation ainsi décrite: on ne négocie pas avec des gens avec lesquels toute négociation est impossible. C’est ce que les libéraux pensent des conservateurs et c’est ce que les conservateurs pensent des libéraux. (Il est malheureux qu’on doive encore employer des étiquettes politiques alors que la situation tend effectivement à dépasser le simplisme des étiquettes – mais l’on comprend que c’est pure convenance, pour pouvoir exprimer une situation.)

Pour Obama et si l’on s’en tient à la seule logique de la situation politique, on mesure l’impasse catastrophique où il est conduit. Sa recherche d’un compromis, ses louvoiements, sa volonté de parvenir à tout prix à une situation d’accord bipartisan n’ont fait qu’exacerber les oppositions des adversaires qu’il voulait amadouer, et sont en train de lui aliéner ceux qui le soutiennent naturellement. L’homme de compromis, l’homme de “la politique de la raison” va bientôt se trouver complètement isolés entre les deux extrêmes qui tendent à devenir le caractère essentiel de la situation politique US. Si cette impasse se confirme et s’aggrave jusqu'à “la crise de confiance” qui secouerait toute sa présidence, il ne reste à Obama qu’une seule voie de sortie, que Krugman exprime de la sorte: “Et maintenant, il a besoin de regagner la confiance des progressistes” («And now he needs to win it back»). C’est-à-dire durcir sa position, affirmer son autorité contre le droite conservatrice, ceci et cela s’il le peut, et ainsi encore accentuer la division antagoniste du pays.

Ainsi en est-il d’une situation qui semble suivre la fatalité d’un affrontement qui semblerait comme quelque chose d’absolument nécessaire, d’absolument inéluctable.


Mis en ligne le 22 août 2009 à 15H12