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312Le ministre russe des affaires étrangères russe Lavrov était en Pologne hier, le 11 septembre. Cette visite prévue fin août avait été annulée par le Russe le jour où la Pologne signait avec Rice l’accord d’installation du système BMDE en Pologne, le 20 août. La visite de Lavrov constitue un événement étrange pour celui qui considère la crise géorgienne d’un point de vue abrupt, en noir et blanc, puisqu’on ne peut rêver pays plus antagoniste en apparence que la Pologne et la Russie dans la logique de cette crise. Cela semble évident depuis la signature de l’accord BMDE, qui a été violemment dénoncé par la Russie dès le 20 août, ce qui semblait placer, aux yeux des Russes, la Pologne au même niveau que la Géorgie et que les USA.
Mais le gris avec ses infinies nuances sied mieux à cette crise que le noir-et-blanc. D’ailleurs, en citant deux journaux qui annoncent et présentent la nouvelle, on aura la preuve que l’approche “noir-et-blanc” ne suffit pas puisque l’un nous donne plutôt du noir et l’autre plutôt du blanc.
Le New York Times d’aujourd’hui, dans un mini-article, qui ne prend pas de risque et se contente de répercuter la vision conforme en insistant sur ce qu’il faut:
«Making his first visit to a European Union country since the war with Georgia last month, Russia’s foreign minister, Sergey V. Lavrov, told Polish leaders Thursday that their decision to place an American missile defense base on Polish territory posed a threat to Russia’s security.
»“We cannot fail to see the risks emerging as a result of U.S. strategic forces coming close to our borders,” Mr. Lavrov said at a joint news conference with his Polish counterpart, Radek Sikorski. He also dismissed the American insistence that the missile shield was meant to counter threats from countries like Iran. “We are certain this system in Europe can have no other target for a long time to come but Russia’s strategic forces,” he said.»
EUObserver.com, d’aujourd’hui également, nous présente un tout autre tableau, qu’on croirait presque idyllique après tout, – mais sous conditions bien entendu:
«Russian foreign minister Sergei Lavrov has suggested Moscow and Warsaw could improve relations, despite Poland's decision to host a US missile shield. But a new argument has broken out over the deployment of EU monitors in Georgia.
»“If the US and Poland are really interested in guaranteeing that the anti-missile base won't be directed against Russia, we are ready to consider concrete proposals,” Mr Lavrov wrote in a statement in Polish daily Gazeta Wyborcza while visiting Warsaw on Thursday (11 September).
»The visit – originally cancelled after Poland signed the missile deal in the heat of the East-West confrontation on Georgia – could see Poland invite Russian monitors to the future US base in return for Polish visits to Russia's Kaliningrad region, Polish diplomats told Russian media.
»Mr Lavrov's Gazeta Wyborcza statement underlined that Poland “has become party to a very dangerous game” on the US-Russia nuclear deterrent, with Russian generals still threatening to target Poland with ballistic missiles earlier this week. But he added “We are leaving the door open to serious negotiations.”
»The foreign minister's message painted Poland as a potential Russian partner in the EU, if it accepts Russian foreign and energy policy lines on non-interference in the post-Soviet sphere and the building of the Nord Stream gas pipeline.»
Soyons simple: si Lavrov allait en Pologne hier, ce n’était pas pour échanger des insultes; ça, on peut faire à distance. Les deux gouvernements ont conclu ces derniers jours, après le sommet du 1er septembre à Bruxelles, qu’on pouvait travailler là où la situation le permet. D’où les bons mots de Lavrov sur la coopération, le bon voisinage et ainsi de suite. Cela n’empêche pas qu’il y a cette base d’anti-missiles du BMDE, sur l’analyse de laquelle les Russes ne changeront rien. Pourtant, un élément nouveau pointe son nez: la proposition polonaise d’observation et de contrôle de cette base par les Russes, à l’invitation des Polonais, en échange d’un droit semblable des Polonais sur la presque-île de Kaliningrad, où les Russes menacent de déployer des systèmes offensifs capables de frapper la base US-polonaise. Intéressant, cela.
D’autant plus intéressant qu’on n’a rien entendu de concret là-dessus du côté de Washington. Le Pentagone est-il au courant? Est-il d’accord? Quelle autorité auraient les Polonais sur cette base, si leur proposition ne venait que d’eux? On imagine difficilement les militaires US acceptant de donner un accès sérieux à cette base aux Russes. Alors, que vaut la proposition polonaise?
On verra l’évolution de cette affaire, qui peut avoir de multiples aspects. Si le Pentagone est d’accord, on verra la forme des modalités que prendra cet accord, et alors “the devil is in the détail”. Si le Pentagone n’est pas au courant de la proposition polonaise, l’affaire est encore plus étrange et pleine de surprises à venir. L’intérêt de la chose, pour les Russes, est d’impliquer les Polonais dans une garantie de cette sorte, ce qui les place éventuellement en désaccord avec le Pentagone, si le Pentagone rechigne à donner son accord pour une telle garantie. La question de l’accord USA-Pologne sur le BMDE n’est peut-être pas close.
Dans tous les cas, on a là la confirmation que la Russie et la Pologne, deux pays du “front” de la crise, ont des politiques beaucoup plus nuancées qu’il n’y paraitrait à lire les éditoriaux type-Guerre froide de la presse conservatrice britannique. Pour ce qui concerne la Pologne, il ne faut pas oublier que le premier objectif du nouveau (novembre 2007) Premier ministre Tusk était une amélioration des relations avec la Russie; il faut se rappeler que c’est le président polonais, l’un des Kaczynski, les jumeaux viscéralement anti-russes, qui est allé à Tbilissi assurer Saakachvili de son soutien, et pas le Premier ministre Tusk.
Mis en ligne le 12 septembre 2008 à 14H02