Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
1498Le ministre russe des affaires étrangères Serguei Lavrov, même s’il garde son sang-froid et la mesure de l’expression, n’hésite pas moins à dénoncer les méthodes de “chantage” du bloc BAO pour obtenir l’autorisation implicite de pouvoir enfin lancer “sa guerre” en Syrie, c’est-à-dire essentiellement avoir la tête du président syrien Assad. On trouve dans les méthodes dénoncées un curieux mélange halluciné, de sauvagerie et de conformisme formaliste, – pouvoir enfin lancer “sa guerre” et/ou avoir la tête d’Assad, mais avec la bénédiction des instances vertueuses de la communauté internationale. Lavrov a précisé, comme allant de soi, que la Russie (et la Chine avec elle) ne céderait pas au “chantage” et ferait usage, s’il le faut, de son droit de veto.
Lavrov a donné ces précisions lors d’une conférence de presse, hier 16 juillet 2012 (voir Novosti), en marge de ses conversations avec Kofi Annan qui se trouve à Moscou. (Annan rencontrait Poutine aujourd’hui.)
«Russia sees “elements of blackmail” in the West's linking of new sanctions against Syria with the extension of the international observer mission there, Foreign Minister Sergei Lavrov said on Monday, and said it was unrealistic to expect Moscow to force President Assad to step down.
» “To our great distress, we see elements of blackmail,” Lavrov said. “They tell us, if you don't give us an agreement on accepting the [UN Security Council]
Le cas est assez simple : le bloc BAO entend faire voter une résolution (proposée par les principaux acolytes, USA en retrait) de demandes type-ultimatum faites à la Syrie à satisfaire dans les 10 jours, avec parallèlement des sanctions contre la même Syrie impliquant l’Article 7 de la charte de l’ONU, lequel article implique lui-même l’éventuel usage de moyens militaires dans certains cas. Il y a deux ou trois semaines (on s’y perd entre leurs déclarations péremptoires) le ministre français Fabius affirmait que l’on se fichait bien des résultats de la conférence de Genève (qui ne prévoit en rien la mise à l'écart d'Assad), que l’on trouverait subito presto un moyen de s’autoriser à soi-même une intervention militaire, et que ce moyen serait la référence à l’Article 7. “Quant aux Russes”, semblait laisser entendre Fabius, ils devront s'y faire… Face à cette résolution du bloc BAO qui ne se cache pas d’être ce qu’elle machine, les Russes ont présenté leur propre résolution qui concerne le renouvellement de la mission Annan. (Après sa rencontre avec Poutine aujourd’hui, Tass annonçait, ce même 17 juillet 2012, que Kofi Annan soutenait la demande russe de reconduction de sa mission, donc qu’il soutenait la résolution proposée par les Russes.)
Le bloc BAO a riposté en disant qu’il ne voterait la reconduction de la mission Annan que si les Russes (et les Chinois) votaient sa propre résolution. On pourrait avancer que la démarche signifie ceci : “Nous ne voterons la poursuite de la mission Annan pour la paix impliquant toutes les parties (y compris le monstrueux Assad) que si vous votez notre résolution dont le but réel et affirmé est de liquider Assad aussi vite que possible et, au bout du compte et si nécessaire, de nous permettre d’intervenir militairement (si possible avec votre aide) pour réaliser ce programme de liquidation de l'homme et de son régime”. Implacable logique du bloc BAO.
Lavrov nomme cela “un chantage” et précise que la Russie ne change pas de position, dût-il en coûter la fin de la mission Annan. Nous, nous attendons avec intérêt une riposte diplomatique ferme aux propos du Russe-moujik Lavrov qui ose traiter les membres civilisateurs du bloc BAO de “maîtres-chanteurs”. Dans le monde diplomatique, c’est une insulte inacceptable. Qu’attendent Fabius, Hague & Hillary pour riposter et dire vertement son fait à ce Lavrov-là ? Il faut exiger une riposte et s’intéresser à la forme que prendrait cette riposte, à la façon dont ces diplomaties modèles réfuteraient la caractérisation insultante qui leur est appliquée de maître-chanteurs, aux arguments qu'ils avanceraient, à l'éclaircissement qu'ils apporteraient à leur position.
En attendant, Lavrov poursuit son œuvre de cent fois remettre sur le métier l’habituelle mise au point sur la politique russe en Syrie, en qualifiant d’“irréaliste” la demande des maîtres-chanteurs faite à la Russie, de simplement préciser à Assad qu’il doit partir, comme prévu dans la narrative : «“They tell us that we should persuade Assad to step down of his own free will. This is simply unrealistic,” Lavrov said. “He will not leave – not because we are protecting him, but because he has the support of a very significant part of the country’s population.” “We will accept any decision by the Syrian people on who will govern Syria, as long as it comes from the Syrians themselves,”» En passant, Lavrov nous annonce qu’il s’inquiète de l’introduction en Syrie, de bonnes sources semble-t-il dire, d’une véritable “troisième force”, une composante islamiste extrêmement puissante désormais : «“It is worrying that, according to multiple eyewitnesses, a so-called third force in the form of Al-Qaida and extremist organizations close to it has become active,” Lavrov said. “This is a tendency that has been observed in other parts of the region and threatens security.”»
Tout cela n’intéresse guère le bloc BAO. Lorsque vous rencontrez, disons un ambassadeur ou un haut fonctionnaire du Quai dans un cocktail du genre, disons pour fêter le 14 juillet, que vous lui dites que la question de la Syrie mériterait tout de même d’être débattue, vous vous entendez répondre, sur un ton de comploteur impératif, que “la Syrie, c’est tabou”. La source qui nous a informé de cela poursuit en observant : «Moi, je croyais que le tabou, c’était réservé aux sectes, à certaines religions intolérantes, à cette sorte de chose, mais pas au débat sur la politique étrangère qu’on peut poursuivre dans la discrétion d’une réception bon chic bon genre…» Eh bien, non, ces temps-là de la tolérance dans l’échange des idées, ce temps-là est fini. Le temps presse, d’ailleurs, et il n’est plus temps de réfléchir, – “c’est tabou”... Cet épisode très anecdotique, renvoyant à de nombreuses situations de cette sorte dans le cadre de la crise syrienne, indique qu’on se trouve dans un territoire intellectuel quasiment paralysé et figé, où il n’est plus question de débattre. Il ne peut nullement être avancé pour autant que les certitudes et les résolutions sont à la mesure de cette fixation des choses. Il est avéré, au travers de diverses confidences, que la direction socialiste française n’avait absolument pas préparé ses dossiers de politique extérieure avant son arrivée au pouvoir, qu’elle s’est trouvée devant des situations inattendues pour elle, qui suscitent des incertitudes graves au plus haut niveau, mais cela n’apparaît nulle part, dans aucune position publique (“la Syrie, c’est tabou”). Une situation assez proche existe en Allemagne, où l’on ne cesse d’écarter en théorie l’idée d’une intervention extérieure en Syrie, et où l’on cosigne une proposition de résolution dont la logique, dans les circonstances qu’on sait, y mène tout droit…
Tout cela, y compris l’épisode du chantage, commence vraiment à agacer les Russes. Des effets se font sentir au niveau de l’Iran, car les Russes ont le sens de ce que Kissinger nommait le “linkage”, c’est-à-dire les effets d’une mésentente dans un domaine de la politique étrangère sur les autres domaines de cette politique étrangère. Les premiers signes d’une position nouvelle des Russes dans le groupe P5+1 qui négocie avec l’Iran se font sentir, eux-mêmes prenant leurs distances des représentants du bloc BAO pour se rapprocher des positions iraniennes. Les bureaucraties du bloc BAO concentrées sur ce domaine n’y comprennent rien parce que, le nez sur le guidon, exclusivement intéressées à la question iranienne, elles ont à peine entendu parler de la Syrie et des désaccords avec la Russie dans ce domaine. C’est le fameux cloisonnement des sujets, la compartimentation qui interdisent les vues d’ensemble et la mesure de la globalisation de la catastrophe. Les Russes, eux, savent de quoi ils retournent. La mésentente sur la Syrie, si elle se poursuit et s’aggrave comme cela semble bien probable, va empoisonner toutes les relations avec ce pays.
Partout, autour de cette crise monstrueusement grossie par tant de moyens artificiels, les enchères ne cessent de monter. Elles sont déjà très hautes, sur le terrain avec l’intensification des combats et la transformation des troubles en une vraie guerre civile ; très hautes, du côté du bloc BAO où aucune concession ne semble possible. Elles sont en train de devenir très hautes du côté russe.
Mis en ligne le 17 juillet 2012 à 13H42
Forum — Charger les commentaires