L’axe des fous en fer-blanc de l’UE

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’axe des fous en fer-blanc de l’UE

8 octobre 2020 – Après avoir longuement hésité pour faire ou non quelque chose de sérieux sur cette affaire, non décidément ce ne l’est pas, ce ne peut être sérieux ! Alors, je me permets de vous signaler derechef, dans ce Journal-dde.crisis et sans alarme particulière, que l’axe franco-allemand se trouve embarqué dans une attaque frontale type-Barbarossa contre la Russie à propos du vaudeville-bouffe ‘Navalny-Novichok’.

Sur cette affaire, je ne me prive pas de vous confier qu’à mon avis l’un des plus avisés commentateurs est l’inimitable Dimitri Orlov avec l’impassible ironie-bouffe dont il a le secret hypersonique. Ni Français, ni Allemands, ni Navalny ne méritent plus, dans le champ de la considération je veux dire, dans cette circonstance comme en d’autres, dans cette sidérante époque narcissimus-médiocrissimus-néantissimus, que ce regard moqueur et connaisseur de notre chroniqueur terriblement russe.

...Voici quelques références pour vous tenir au fait de la séquence particulière dite ‘axe des fous en fer-blanc’ déclenchée hier  par une communication de l’exaltant couple des ministres Maas-Le Drian (dans l’ordre, l’Allemand Heiko Maas et le Français Jean-Yves Le Drian). La porte-parole du ministère russe des affaires étrangère, Maria Zakharova-la-pugnace, et également aussi charmante et aussi remarquable danseuses folklorique que débatteuse à la dent dure, nous explique qu’il s’agit de ceci, qui ne plaît guère aux Russes :

« Apparemment, la France et l’Allemagne sont en train de se placer à la tête d’une ‘coalition antirusse’ qui se forme dans l'Union européenne, malgré les assurances de Paris et Berlin qui avaient à plusieurs reprises souhaité être partenaires de la Russie. »

Tout ça forme ce que nous nommerions l’‘axe en fer-blanc’, par un souci louable de réminiscence du ‘chancelier de fer’ (on verra plus loin pourquoi pas).

• Les Allemands ont reçu le 6 octobre les conclusion de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC). Maas-Le Drian en ont conclu « qu’il n’existe pas d’autre explication plausible à l’empoisonnement de M. Navalny qu’une responsabilité et une implication russes. »

• Je ne vais pas m’accabler à déchiffrer ce rapport, me creuser profond pour donner un avis de peu de poids et sans originalité. Je pense que pour avoir une bonne idée du travail de l’OIAC, on doit consulter John Helmer, citoyen américain (pas du tout américaniste, je trouve), habitant à Moscou, avec des réseaux partout, le contraire du genre-Soros et un fin connaisseur des arcanes du pouvoir russe. Helmer est le spécialiste de la mise à jour des énormes simulacres antirusses du bloc-BAO, autant sur son site que dans ses divers bouquins. La drôlerie de son texte d’hier est qu’il explore le rapport de l’OIAC qui permet aux Allemands de juger coupables les Russes, et que le résultat de son exploration est si notablement singulier par rapport à ce verdict de cumpabilité :

« Un rapport publié par l’Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), du 6 octobre, n’a pas permis d’identifier l'arme empoisonnée qui, selon Navalny et ses partisans, aurait été utilisée pour l’attaquer dans un hôtel de Tomsk le 20 août.
» Au lieu de cela, l’OIAC dit avoir trouvé des ‘biomarqueurs’ des troubles métaboliques de Navalny qui pourraient avoir été causés par un poison chimique non identifié. Selon un éminent chimiste britannique spécialiste des organophosphates, ces ‘biomarqueurs’ n'ont peut-être pas été causés par un crime. [...]
» “S'il s'agissait d’une preuve d’expert [pour nos tribunaux]”, commente une source de droit pénal londonienne, “la défense se lèverait pour dire que c’est une preuve de la maladie de la victime. Il ne s'agit pas d’une identification de l’arme. Ce n’est pas la preuve d'un crime. Il n’y a donc pas d’affaire à traiter ici. L’accusation a échoué et devrait être rejetée”... »

• Ce texte de Holmer permet d’avancer la proposition assez simplette que tout se passe comme s’il était dit, dans le chef de nos services diplomatiques de l’axe des fous en fer-blanc, qu’“en l’absence de preuve, aussi bien sur la réalité de l’attentat que sur l’identité des auteurs de l’attentat s’il y a attentat, on tient la preuve que ce sont les Russes les coupables” ; quelque chose de ce genre, voyez... Un peu comme le Covid et les Chinois, ou bien Trump et les tweets, tout ça ce sont des artefacts de notre civilisation, ce par quoi notre civilisation est grande et belle, et si sûre d’elle pour ce qui concerne le but à atteindre et le sens des choses.

• On n’est d’ailleurs pas sans noter, – avec Holmer, cette sorte de détails n’est jamais indifférent, – que les sources que cite Holmer viennent toutes des milieux juridiques britanniques. Il est vrai que les Britanniques ont l’expérience du simulacre-Skripal, que Holmer a écrit un bouquin sur le sujet, qu’il a beaucoup travaillé avec des sources britanniques hostiles au montage du MI6 contre les Russes. Dans ce cas, pourtant, on peut penser que les Britanniques ne sont pas mécontents d’aider à démonter l’initiative France-Allemagne dont ils sont exclus, avec leur forte expérience des canulars antirusses.

• Plusieurs auteurs estimés sur ce site se sont intéressés à l’affaire. On peut lire le travail d’Alastair Crooke du 5 octobre, où est évoquée une analyse analogique entre notre époque et celle de la fin du XIXème siècle, lorsque l’Allemagne du ‘chancelier de fer’ s’affirma en Europe... Mais contre la France cela, cette fois c’est avec elle ; j’ignore, moi, si l’on doit en être satisfait, c’est-à-dire si la comparaison qui paraît juste en fait de circonstance dans l’esprit de la chose, l’est au niveau qualitatif ; c’est que nous nous trouvons, un siècle et demi plus tard, dans cette situation d’arrière-cour et de cave sordide de l’histoire, surtout lorsqu’il est question de l’Europe.

• Pour étayer son propos, Crooke nous renvoie à deux autres auteurs excellents, qui tous deux nous parlent des mêmes questions, considérées sur le long terme. L’ancien diplomate indien Bhadrakumar développe l’analogie avec la période 1870-1914 et esquissant l’idée d’une renaissance de l’impérialisme allemand. Dimitri Trenine, du Carnegie Centre de Moscou et autre ami de nos pages, est également cité par Crooke, à partir d’un texte du 16 septembre qui garde toute sa saveur... Qu’on en juge, rien qu’au fumet :

« L’empoisonnement du militant de l'opposition Alexei Navalny est devenu un tournant dans les relations russo-allemandes. Les détails de l'incident sont encore largement flous, mais ce qui est clair, c'est qu'il a poussé Berlin à prendre une décision cruciale pour la politique étrangère allemande : elle ne suivra plus une politique spéciale à l'égard de la Russie. [...]
» Ce rôle particulier joué par l'Allemagne et son chancelier ces dernières années appartient désormais au passé. Désormais, l'Allemagne aura la même attitude envers la Russie que tous les autres pays d'Europe occidentale. Au niveau de la rhétorique, cela signifiera une opposition indéfectible de Berlin à la politique étrangère et intérieure du Kremlin, une critique sévère des mesures spécifiques prises par Moscou et une solidarité forte avec les pays d’Europe de l’Est. Sur le plan économique, beaucoup s’attendent maintenant à l’annulation du projet de gazoduc Nord Stream 2. Sur le plan diplomatique, nous assisterons probablement à une restriction importante des contacts officiels et peut-être à une suspension du dialogue au plus haut niveau.
» Il est peu probable que le président russe Vladimir Poutine ait envisagé cette tournure des événements lorsqu’il a autorisé le transport aérien de Navalny de la ville sibérienne d’Omsk à Berlin pour y être soigné. Il s’attendait probablement à ce que la chancelière allemande Angela Merkel coopère et à ce que l'aide de l'Allemagne permette de sortir ensemble d’un incident désagréable sans que la réputation de la Russie en souffre davantage.
» On ne peut qu'imaginer comment Poutine a réagi à l'annonce de Merkel que Navalny avait été empoisonné avec l'agent neurotoxique Novichok. Un coup de poignard dans le dos est la réaction la plus légère qui me vient à l'esprit. Pour Poutine, ses relations personnelles avec les dirigeants étrangers sont d'une importance majeure dans la détermination de la politique étrangère, et il n'oubliera pas les actions de Merkel... »

... Ce qui nous ramène à la réaction furieuse de Zakharova après la décision des franco-allemands de former un front antirusse au sein de l’UE. On prépare déjà les sanctions.

Là-dessus, je vous avouerais aussitôt que, malgré la justesse de ces analyse, l’impeccable rigueur qui est déployée pour les développer, je ne crois plus à rien de tout cela, je pense que tout cette apparence d’agencement, ce simulacre de structuration qu’on pourrait encore déstructurer, je pense et crois que tout cela n’est plus que poussière de souvenirs qu’un peu de sable efface.

La “renaissance de l’impérialisme allemand” qu’on nous ressort à peu près tous les 3-4 ans au moins depuis 1991, et depuis 1955 si on en croit les gens de la RDA d’alors et du site WSWS.org d’aujourd’hui, tout cela ne m’importe plus guère. L’Allemagne a définitivement démontré ses qualités atoniques de bestiau châtré et producteur de belles voitures ; quant à la France de Macron, ma doué, – décidément Danton postmoderne, – de la com’, encore de la com’, toujours de la com’. Macron, qui dit parfois des choses intéressantes, est totalement sans la moindre substance et totalement déstructuré lui aussi, avec une colonne vertébrale en forme d’éclair au chocolat ramolli, il vous glisse entre les doigts comme une anguille baladeuse dès qu’on veut mettre en regard une de ses paroles intéressantes et ses simulacres d’actes politiques. L’angoissante question que soulève son règne est celle-ci : mais après tout, Macron ne correspond-il pas à la France ? N’en est-il pas le reflet parfaitement exact ? ... Plutôt, dirais-je, ‘angoissante(s) question(s)’ puisqu’il y en a deux, et l’on sait d’ailleurs que les poser c’est déjà y répondre. Comme ça, c’est plus court.

La seule chose sérieuse dans cette affaire est à voir bien entendu du côté de Poutine et de la Russie, et l’étonnant entêtement du président russe à croire qu’il y a quelque chose à attendre d’un Allemand, d’un Français ou de l’UE, ou quoi que ce soit du bloc-BAO d’ailleurs. On me dira : que peut-il faire d’autre que de tenter de raccommoder ce qui peut l’être sans rien attendre de particulier, ni d’ailleurs la moindre réelle réparation ? Pourtant non ! Je trouve qu’il devrait un jour vraiment taper du poing sur la table, menacer l’un ou l’autre d’attaques hypersoniques et hollywoodiennes, faire un peu d’esbroufe, du tapage quoi... Disons qu’il serait intéressant de voir l’effet provoqué dans la fourmilière ; rien d’autre d’ailleurs : “intéressant”, ou peut-être tout simplement amusant.

Je veux dire par là qu’il n’y a plus aucun jeu à jouer. La position des Français et des Allemands est un simple retour d’élastique d’une politique totalement prisonnière des bureaucraties en place, notamment européennes. On n’imagine pas la montagne extraordinaire de sanctions que l’UE prépare actuellement contre la Biélorussie : quelque chose pour détruire ce pays à partir d’une circonstance anodine, entreprise selon un rituel subversif mélangeant Soros et Pompeo que tout le monde connaît. Tout ça pour fourrer ce pays dans les bras de la Russie et pousser des cris d’orfraie à cause de l’agressive agression russe.

Je me demande pourquoi il y en a tant pour se plaindre d’une absence de politique extérieure et de sécurité de l’UE. Mais il y en a bien une, énorme, colossale, écrasante ! Totalement fixée-figée sur un marigot collant, écrasant de tout son poids la moindre initiative, la moindre pensée inconforme, aussi puissante qu’elle est incroyablement stupide, voilà ‘notre-Europe’. Qui a dit qu’elle n’a pas de politique, celui-là n’a qu’à aller se promener dans les labyrinthes prétentieux et hystériques du Berlaimont, masque en bataille ! Dans cette époque des ébranlements stupéfaits, des étonnements satisfaits et des sombres regards zombifiés, l’Europe triomphe, exulte et étend la flagrance abyssale de sa formidable flasquitude, de sa mollassonerie cotonneuse sur les terres fécondes, genrées, racisées, Sorosisées, positivement discriminées, ces terres sociétales et moralinées de notre continent géniteur asexué de cette civilisation si bien pliée, qui nous berce sans la plus petite inégalité, sans la moindre discrimination, sans à-coups et sans à-valoir, et sans rien du tout enfin...

Chez nous, Monsieur, dans nos histoires, le mot ‘Rien’ a remplacé le mot ‘Fin’.