Le 4ème morceau de la femme coupée en 3

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Le 4ème morceau de la femme coupée en 3

• Un point, complexe et kafkaïen mais tout de même séduisant, sur la situation Ukro-Européiste face aux vaines rodomontades de Trump D.C. • Avec l’aide d’un sémillant éditorial de ‘The Economist’, à décortiquer.

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22 février 2025 (16H15) – Parfois surgit de la mémoire, ancienne donc courte, de PhG une curieuse formule ou l’autre. Cette fois, ce fut celle-ci : “Le 4ème morceau de la femme coupée en 3” ! Il tint mordicus que cette énigmatique et sanglante formule résumait la situation géopolitique. Sommé de s’expliquer et ainsi pris à son propre piège, il s’exécuta :

« • La femme découpée à la tronçonneuse, c’est le Vieil Ordre Mondial que l’on piétine allégrement.

• Les 3 morceaux aisément retrouvés sont la Chine, la Russie et les USA.

• Le quatrième, que personne ne retrouve, c’est l’Europe ! »

Cela résume-t-il la situation ? Dans tous les cas, on doit lire l’article ci-dessous, qui nous vient de ‘ukraina.ru’, qui prend la situation européenne à partir d’un éditorial de ‘The Economist’ avec le plus grand humour. Ne serait-ce, d’abord et d’ailleurs, que de souligner les couleurs “diaboliques” (inspirées par le diable) de la couverture de l’hebdo, en noir et rouge... Les deux seuls personnages du montage, assis solitaires et solidaires, au bout d’une table immense ornée de chaises vides, sont donc messieurs Poutine et Trump en train de négocier ce qu’on pourrait bien faire du 4ème morceau qui est vraiment de trop.

Monsieur Teeuwe Mevissen, senior macro-stratège à Rabobank, nous régale d’un portrait général de cette catégorie des élites-zombie que l’on nomme “les dirigeants européens” :

« Alors que c’est la nouvelle administration américaine qui semble choquer le plus les élites européennes à l’heure actuelle, elles devraient en réalité craindre leur propre inaction, leur manque d’urgence, leur mentalité d’impuissance et, dans certains cas, leur incapacité à surmonter les intérêts nationaux. À cela s’ajoute un manque de réflexion stratégique, une apathie, une panique et un sentiment de victimisation. Tout cela renvoie à un thème que nous avons souvent évoqué. L’Europe continue d’être en proie à une crise de leadership et ne s’acquitte pas de ce qui est considéré comme la tâche essentielle de tout gouvernement : protéger ses citoyens et leurs biens. Tout cela mène à une conclusion : l’Europe doit grandir, quitter DisneyWorld et s’adapter à ce nouveau monde. »

Tout cela n’est-il pas un peu exagéré, malgré tout ? Nous pourrions, nous, finir par nous vexer. Nos fameux “dirigeants européens” que l’on couvre d’opprobre, ne restent pas les bras croisés. Les Ukro-Européistes, comme on les appelle désormais, sont prêts à monter au front, au charbon, et à affronter Washington D.C. s’il le faut. Il faut lire cet amorce d’article, il n’hésite pas à nous montrer un certain entrain guerrier, n’est-ce pas :

« Révolte en Europe : Starmer défie Trump et l'Allemagne menace de rompre les liens. Comme on pouvait s'y attendre, Trump a rencontré une opposition farouche des Ukro-européens dans ses plans de maintien de la paix. Le Telegraph écrit que la Grande-Bretagne, lundi, à l'occasion du troisième anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, se prépare à annoncer avec défi un nouveau programme d'aide à Kiev, au mépris des plans américains. Il est à noter que le Premier ministre Keir Starmer prévoit d'annoncer un nouveau programme de soutien à l'Ukraine, malgré la pression de Donald Trump sur Kiev pour qu'elle mette fin à la résistance et conclue un accord de paix avec la Russie.

» Selon le Telegraph, Starmer présentera un ensemble de mesures que Londres qualifie de “triple coup” — aide militaire, nouvelles sanctions et mesures contre les oligarques russes. »

Au reste, l’UE elle-même trouve une vigueur nouvelle dans la trahison trumpiste. Kaja Kallas, la voix la plus importante des affaires étrangères de l’UE, a même reproché à certains Ukro-Européistes, – les Français et les Anglais notamment, – de discuter déjà d’une force de maintien de la paix alors que nous sommes si loin d’avoir la paix ; car si l’UE-Kallas ne le veut pas, de paix il n’y aura pas...

En guise d’avertissement pour Washington, un court et fulgurant extrait d’une interview d’‘Euractiv’ met les points sur les ‘i’ pour les États-Unis d’Amérique :

‘Euractiv’ : « Que retenez-vous de la manière dont la “thérapie de choc” américaine s’est développée depuis mercredi dernier ? Il est clair que l’Europe n’est pas à la table des négociations entre les États-Unis et la Russie à Riyad

Kaja Kallas : « Bien sûr, les Américains peuvent rencontrer qui ils veulent, mais, pour qu’un accord de paix concernant l’Ukraine fonctionne, il doit impliquer les Européens ainsi que les Ukrainiens. »

Euractiv : « Quelles options avons-nous si Donald Trump refuse d’inclure les Européens dans les négociations, même à un stade ultérieur, comme son envoyé en Ukraine, Keith Kellogg, l’a suggéré ? »

Kaja Kallas : « Si un accord est conclu auquel nous ne souscrivons pas, il échouera tout simplement, car il ne sera pas mis en œuvre. »

Voilà qui est dit : Disney World ou pas, Kaja nous a dit ce qu’il importe qui soit ; c’est dit, la paix dépend de l’essentielle décision de l’UE ukroeuro, et le reste n’a qu’à suivre... Nous avons donc retrouvé le 4ème morceau de la femme coupée en 3 : c’est Kaja Kallas soi-même.

Maintenant, on peut lire à tête reposée l’article annoncée ci-dessus, qui nous donne à la fois à penser et du grain à moindre sur les logiques offensives de nos meilleurs chroniqueurs économico-politiques. Cela nous montre, – que dis-je, nous confirme que si l’on insiste effectivement sur l’existence persistance de DisneyWorld, eh bien le 4ème morceau fera l’affaire, et il emportera même le morceau tout entier.

dde.org

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Peur et dégoût à Bruxelles

Alors que Washington célèbre le premier mois de la présidence de Trump et rapporte un nombre record de décrets présidentiels (“73 décrets présidentiels, deux fois plus que Joe Biden et quatre fois plus qu’Obama”), la peur et le découragement règnent en Europe. Bien sûr, Macron a pris la responsabilité de tout, mais… il manque quelque chose.

Le sentiment habituel d’unité euroatlantique est absent. Il existe des preuves que les États-Unis et l’Europe négocient le sort de l’Europe sans sa participation. Il y a de quoi être horrifié. Et le découragement vient de l’incapacité évidente à y résister d’une manière ou d’une autre.

Le sentiment des élites européennes a été parfaitement retranscrit par le magazine ‘The Economist’, sur sa couverture infernale noire et rouge où l’on voit, seuls, deux négociateurs assis à une immense table, décidant du sort des absents… C’est aussi le sujet d’un éditorial intitulé “Comment l’Europe devrait réagir à la façon dont Trump et Poutine détruisent l’ordre d’après-guerre”, sous-titré “Le cauchemar de l’Europe” et “La région a vécu sa semaine la plus sombre depuis la mise en place du rideau de fer”.

Il faut tout de suite noter que nous traitons les activités de Trump avec prudence et y voyons avant tout des défis pour la Russie, mais émotionnellement, il est toujours agréable de voir qu'il fait le diable (et il le fait non sans bénéfice pour la société, y compris la société russe).

Eh bien, ‘The Economist’ décrit la situation sombre actuelle et esquisse un programme de mesures qui devraient ramener l'Europe à sa position antérieure.

Les défis auxquels l'Europe est confrontée sont les suivants.

Premièrement, le vice-président Vance “a ridiculisé l'Europe en la qualifiant de décadente et antidémocratique”.

Le fait que Vance n'ait pas “ridiculisé”, mais ait montré exactement pourquoi il le pense, n'est pas vraiment pertinent dans le traitement du sujet, – il faudrait trop de temps pour l'expliquer. En conséquence, il semble que la rédaction de ‘The Economist’ n'ait rien à redire.

Deuxièmement, “l'Amérique pourrait essayer d'imposer un cessez-le-feu instable à l'Ukraine, avec seulement de faibles garanties de sécurité qui limitent son droit à se réarmer”. En réalité, le “plan Trump” (ou plutôt les déclarations qui en découlent) prévoit la militarisation de l’Ukraine et l’obtention de garanties assez sûres sous la forme du déploiement de troupes d’occupation de l’UE sur son territoire. Mais les rédacteurs de ‘The Economist’ ne croient pas aux forces armées ukrainiennes, ni à l’Europe, ni aux deux…

Troisièmement, “le pire cauchemar de l’Europe est plus grand que l’Ukraine. M. Trump a l’intention de réhabiliter le président russe Vladimir Poutine”.

Il doit y avoir une scène pathétique avec des lamentations et des gémissements bruyants.

En général, c’est un spectacle triste – l’Occident lui-même a inventé un terrible mythe sur une Russie totalitaire cherchant à attaquer l’Europe, et maintenant ce n’est pas ce mythe lui-même qui l’effraie le plus, mais la démystification effectuée par Trump. En effet, pourquoi devraient-ils vivre dans un monde où il n’y a pas de menace russe ? La mission de Zelenski de protéger l’Europe des attaques de l’Iran et de la Corée du Nord ne semblent pas impressionner les auteurs de l’article. Je me souviens pourtant qu’à une époque, le déploiement de composants du système de défense antimissile américain en Europe de l’Est était expliqué précisément par la menace d’une attaque de l’Iran.

D’ailleurs, la menace russe aux yeux de ‘The Economist’ (et, d’ailleurs, des médias ukrainiens) semble assez drôlatique : d’un côté, “l’Europe sera attaquée par la Russie”, de l’autre, la Russie “décline”. Il devrait y avoir une quelconque logique, mais où ?

Quatrièmement, “si l’Europe est attaquée par la Russie et demande l’aide américaine, le premier et le plus profond instinct de M. Trump sera de se demander ce que cela peut lui faire”.

Il y a plusieurs sujets évoqués ici qui devraient être évidents, mais ce n’est pas tout à fait le cas.

La première chose et la plus importante est de reconnaître que les mécanismes de l’OTAN ne fonctionnent pas.

Nous avons attiré l’attention à plusieurs reprises sur ce point : le fameux article 5 du Traité de l’Atlantique Nord ne contient aucune garantie. Chaque pays a le droit de prendre les décisions qu’il juge nécessaires. On pense que ”ce que Dieu a lié, Dieu le déliera” et qu’il n’est pas nécessaire de se forcer. “La dissuasion de l’OTAN repose sur la confiance que si l’un de ses membres est attaqué, les autres lui viendront en aide.” C’est cette structure aérienne qui sous-tend l’OTAN que Trump est en train de détruire.

Le deuxième est le choc des idéologies. L’idéologie occidentale est basée sur l’idée de profit, mais ‘The Economist’ la nie – non, Trump ne doit pas se laisser guider par le profit ! Il doit…

Une fois de plus, je me souviens des économistes de l’époque de la perestroïka, qui expliquaient qu’en URSS il y avait une “économie d’absurdités et de paradoxes” parce qu’elle était guidée par l’idéologie, alors que, dans les “pays normaux”, cela ne peut pas se produire, car cela ne se produit jamais.

Mais pour être tout à fait honnête, Trump a une idéologie. Elle ne correspond tout simplement pas à la foule des progressistes de gauche. Mais vous n’allez pas le dire ouvertement, n’est-ce pas ? Il est plus facile d’imaginer un adversaire comme un accapareur irresponsable.

La conclusion générale des auteurs de l’article est que l’Europe est “un continent endetté, vieillissant, qui ne grandit guère et ne peut se défendre ni projeter de puissance. (…) La tâche urgente de l’Europe est de réapprendre à acquérir et à utiliser la puissance ; elle doit être prête à tenir tête à ses adversaires et parfois à ses amis, y compris l’Amérique”.

Que faut-il pour sortir de cet état ? Rien de plus simple…

“À court terme, l’Europe a besoin d’un envoyé unique pour négocier avec l’Ukraine, la Russie et l’Amérique. Elle devrait renforcer l’embargo contre la Russie.”

Attendez ! L’Europe n’est-elle pas embourbée dans la dette sans guère de croissance ? Nous abandonnons un énorme marché et ses ressources, et créons des avantages compétitifs unilatéraux pour nos adversaires des États-Unis et de la Chine.

Êtes-vous sûr que c’est la bonne façon de faire ?

“À moyen terme, une énorme mobilisation de la défense est nécessaire. (…) Il faudra une révolution fiscale pour financer ce réarmement. (…) Une partie de ces fonds devrait provenir de l’émission de titres de dette plus généraux et individuels.”

Alors que nous sommes redevables à tout le monde, nous sommes obligés de nous endetter plus encore. Mais il y a au moins une certaine logique ici : l’emprunt sera envoyé à sa propre production. Cependant, nous devrons limiter les dépenses sociales – au diable le marché intérieur.

En fait, obtenir l’indépendance des États-Unis et agir conformément à leurs intérêts est exactement ce que Vladimir Poutine voulait de l’Europe. Poutine n’y est pas parvenu, mais Trump y est parvenu. Cependant, l’Europe a décidé d’utiliser la “liberté” qui lui est soudainement tombée dessus non pas du tout dans ses propres intérêts, mais dans les intérêts de l’idéologie ; car voici le vrai problème : le maître est le maître.

Le principal problème de l’Europe moderne, à notre avis, est le manque de dirigeants capables de formuler clairement ce dont l’Europe a besoin et de faire preuve de persévérance pour atteindre ces objectifs. Et ‘The Economist’ ne dit rien à ce sujet.

Ce dernier point est compréhensible : ils ne peuvent pas prendre Macron comme exemple, lui qui a déjà changé cinq fois de position sur l’envoi de troupes françaises en Ukraine. Et bien sûr, pas la cheffe du parti Alternative pour l'Allemagne, Alice Weidel, qui a déjà déclaré que son parti défendait depuis trois ans les propositions de Trump. Il convient de noter que le magazine ne propose aucune proposition visant à rendre la politique européenne plus démocratique, bien qu'il ait mentionné les critiques de Vance.

Et le découragement qui règne à Bruxelles est compréhensible : l'Europe ne peut sortir de la crise qu'en faisant un “virage à droite” après les États-Unis, et la rédaction de ‘The Economist’ ne le souhaite pas.