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156814 août 2012 – Les déclarations ambiguës, ampoulées et alambiquées du président polonais à propos du réseau antimissiles US (voir le 6 août 2012 et encore le 6 août 2012) ont provoqué quelques remous, discrets mais significatifs. Elles ont été suivies de déclarations, notamment, du ministre polonais de la défense, capitalisant sur l’intention affichée et répétée de la France, ces dernières semaines, de relancer la défense européenne, d’abord sous la forme concrète du “Triangle de Weimar”. (Voir, par exemple, sur Bruxelles2 qui tient la chronique de ces évènements européens, le 5 juillet 2012 et le 8 août 2012.)
• Donc, le 11 août 2012 (Novosti), le ministre de la défense polonais annonce que la Pologne voudrait développer son propre réseau antimissile. Tomasz Siemoniak parle de la France et de l’Allemagne, pour la coopération, et mentionne vaguement “d’autres alliés de la Pologne”. On comprend que l’idée qui vient à l’esprit s’arrête naturellement aux deux premiers cités, soit le schéma du “Triangle de Weimar”, comme le montre d’ailleurs le titre de la dépêche Novosti (« Varsovie souhaite créer un bouclier antimissile avec Paris et Berlin»). Siemoniak : «Nous souhaitons le faire en coopération avec la France, l'Allemagne et d'autres alliés de la Pologne. L'OTAN soutient ces initiatives permettant d'atteindre ensemble un certain niveau de défense. Il s'agit d'une “défense intelligente”. Cette coopération s'impose lorsque les projets sont si onéreux». On note combien cette déclaration est, selon un néologisme sans intention de nuire, “transatlantically correct” : aucune allusion à ce que d’aucuns jugeraient être de l’amertume antiaméricaniste du président, référence vertueuse à l’OTAN selon la consigne, et jusqu’à la suggestion que le “Triangle” peut très bien s’élargir à un carré éventuellement rectangulaire, à un pentagone (oups) à 5 ou 6 côtés et au-delà, avec de nombreux “autres alliés…”. Rêvons un peu puis passons à autre chose.
S’il n’y avait que cela, y compris les agitations françaises autour du “Triangle”, cela ne mangerait pas beaucoup de pain et l’on pourrait en rester là. Mais il y a autre chose, du côté anglo-saxon, quelques agitations très vite alarmées suivant les déclarations du président polonais qui, elles, avaient soulevé un voile sur le sacrilège de déclarer erroné le fait d’avoir passé accord avec les USA en août 2008, – accord depuis devenu caduc, avec les pertes et profits (surtout les premières) au frais de la princesse polonaise.
• Il y a eu d’abord cet article dramatique du Daily Telegraph du 6 août 2012, traduisant lestement les propos du président Komorowski. D’abord le titre, avec le mot terrible de “trahison” («The Polish president has accused Barack Obama of betraying Poland by cancelling a promised missile defence system») Prestement, le Daily Telegraph transforme l’intervention du président polonais en une “trahison” washingtonienne de la Pologne face à la Russie, ce qui conduit à un vertigineux imbroglio d’interprétations et de sollicitations des choses… Le réseau BMDE, par la présence US en Pologne qu’il impliquerait, devient un instrument de protection de la Pologne contre la Russie. C’est l’habituelle interprétation-sollicitation antagoniste, antirusse, des durs transatlantiques et autres neocons, de la version officielle des capacités du réseau BMDE par rapport à la protection de la Pologne, que ce soit dans sa version officielle anti-iranienne, que ce soit même dans sa version interprétative d’orientation directe antirusse. (Avec le BMDE, nous sommes dans le domaine des missiles stratégiques alors que la Pologne est sur la frontière russe, et que l’éventuelle “menace” viendrait bien plus des missiles tactiques courts Iskander” SS-26 et du reste, y compris les bêtes chars bien connus, avec lesquels le BMDE n’a aucun rapport.) Du coup, l’affaire prend également une dimension polémique et électoraliste, en se référant aux querelles sans fin autour des thèses neocons ; cela, d’autant plus clairement que le Telegraph y va de son rappel de la visite de Romney en Pologne, une semaine avant les déclarations du président polonais…
«Last week, Mitt Romney used a visit to Warsaw to condemn Russia as a “country where the desire to be free is met with brutal oppression” in a bid to establish hawkish credentials ahead of the US elections. The Republican candidate has accused President Obama of “abandoning Poland” by cancelling the missile defence plan in order to aid his much-criticised attempt to “reset” relations with Moscow.
Mr Obama's decision to scrap George W Bush's original missile shield dismayed the Polish government, especially as many Poles saw it as an attempt to appease Russia, Poland's historical and Cold War foe.»
• Sur la même piste antagoniste, antirusse, éventuellement anti-Obama, – mais aussi anti-europénne, nouvelle dimension, – on citera un texte assez décousu, “accroche” d’un texte payant, de F. Michael Maloof de la Lettre d’Information G2, rachetée par le site World Net Daily (WND)… Que du beau monde ! F. Michael Maloof est un personnage éminemment douteux, qui semble porter ses diverses compromissions comme autant de décorations de campagnes glorieuses, avec plusieurs CV amovibles et tous de type narrative, l’une ou l’autre casserole de corruption, lui-même présenté dans le texte, sans rire, comme “a former senior security policy analyst in the office of the secretary of defense”… Ce qu’il reste d’assuré, c’est que Maloof, qui était du programme Office of Special Plans de Rumsfeld en 2001-2003 (OSP, fabrication spéciale des narrative sur les armes de destruction massive de Saddam, voir le 14 mai 2003), qui est resté constamment un homme de Richard Perle, est marquée à la culotte pour ses parcours de corruption et d’extrémisme neocon. Le texte de Maloof prend en compte l’initiative française du “Triangle de Weimar” mais passe sous silence la déclaration du président polonais, qu’il ignore certainement. (Le texte de la Lettre G2 est antérieur au texte cité, sur WND, le 10 août 2012. De toutes les façons, les initiatives et déclarations qui ne viennent pas de Washington, selon les normes washingtoniennes, mettent toujours un certain temps à franchir l’obstacle des psychologies et perceptions épaisses des esprits américanistes coulés dans l’extrémisme provincialiste.)
La démarche apparaît clairement comme celle d’une avant-garde annonciatrice éventuelle (Maloof ne travaille que sur consigne) d’une alarme et d’une alerte face à des projets supposés subversifs de défense européenne et par conséquent d’attaque contre l’OTAN ; ces projets venant “une fois de plus de la France” (“France once again”), – pauvre France, malgré tous ses efforts… «France once again is pushing the notion of a common European defense force. Three countries – Poland, Germany and France – are often referred to as the Weimar Triangle nations, according to a report in Joseph Farah’s G2 Bulletin.
»French Defense Minister Jean-Yves Le Drian said that a coordinated effort by these countries for a common European defense also would assist in defense spending cuts and pooling military capacities of the European countries. The call for a common European defense comes as Europeans see the United States shifting its emphasis more toward the Asia-Pacific region. Until now, the U.S. has been the lead country in maintaining the North Atlantic Treaty Organization. But many now are questioning whether it needs to exist.»
• Une autre intervention, venue de milieux transatlantiques plus modérés, de ceux qui cherchent à éviter toute dissension transatlantique en même temps que des pressions trop fortes entre “partenaires” pouvant mettre en danger l’équilibre de sujétion des Européens vis-à-vis des USA jugé délicat, – en l’occurrence le German Marshall Fund. L’expert Michal Baranowski, du GMF, se charge de tenter de nous rassurer, mais avec des précisions qui peuvent s’avérer indirectement inquiétantes. (L’article, publié le 11 août 2012, ne prend pas en compte la récente déclaration du ministre de la défense polonais sur une coopération au moins avec la France et l’Allemagne.) A propos de la déclaration du président polonais, Baranowski écrit : «While some saw the statement as a rejection of U.S. President Barack Obama’s proposed missile defense system, others viewed it as a sign of Poland’s weakening military alliance with the United States. Both arguments are misleading.» Pourtant, un peu plus loin, ce même Baranowski écrit à propos du changement de plans du BMDE décidé par Obama en 2010, ceci qui pourrait être interprété à la fois comme “un rejet du plan d’Obama” et comme une tendance à “l’affaiblissement de l’alliance militaire de la Pologne avec les USA” : «The abrupt shift in American policy has raised doubts of the US commitment to Poland.» Enfin, pour terminer, Baranowski nous donne des explications techniques qui ne sont pas inintéressantes, mais qui nous conduisent à considérer en prolongement politique de ses conclusions, également techniques et dont il ne tire, lui, aucune conséquence politique : 1) que la Pologne n’est plus du tout intéressée par les interventions extérieures (Irak, Afghanistan) dont les USA ont fait la tâche principale de l’OTAN comme supplétive de leurs entreprises, mais par sa propre sécurité ; et 2) que cette sécurité passe par des systèmes de défense tactiques de différentes ampleurs, mais certainement pas stratégiques, ce qui n’implique pas une opposition au BMDE mais pour le moins, un désintérêt navrant de la Pologne pour la chose, au contraire de sa position initiale.
«Komorowski’s call for the creation of Polish missile defense is not about Polish-American relations, but about the future of Poland’s security. Poland needs stronger anti-aircraft and anti short and medium missile defenses independent of any proposed American MD system. The two systems are complimentary, not competing. The announcement reflects an increasing confidence and affluence of a country that is increasingly able to rely on its own strength for its security. Furthermore, prioritizing anti-missile defense reveals the Polish government’s growing focus on the primacy of territorial defense over expeditionary capabilities. The Polish MD system is to be financed from the savings of winding down the war in Afghanistan, and from the growth of military budget over the coming years related to Poland’s economic growth (Polish law mandates that 1.95% of GDP is spent on defense). According to initial estimates, it would be a pricy program, costing 8 to 15 billion zl ($3-5 billion) over the next 10 years. Such costs would lower Poland’s appetite and ability to take part in expensive expeditionary missions. But with its increased focus on its own territory, don’t expect Poland to eagerly step up, as it did in Iraq and Afghanistan, if another hot spot boils over somewhere else in the world.»
Voilà à peu près et approximativement l’état de la question ; avec les diverses voies explorées et, surtout, ouvertes à des exploitations politiques, ou politiciennes ; avec, partout, des psychologies en apparence alignées sur les préoccupations communes (la “ligne du parti”, ou la “ligne BAO”) mais nourrissant en réalité, sur leurs propres situations, des préoccupations très différentes. Il existe même, comme c’est la coutume entre les “partenaires” transatlantiques, des ruptures de perception dissimulées qui peuvent ressurgir. La Pologne, élément à la fois essentiel du dispositif européen de l’OTAN d’après la Guerre froide, mais aussi élément excentré et psychologiquement très instable, pourrait avec cette intervention avoir ouvert une des nombreuses boîtes de Pandore rangées dans le corridor des salles de délibération du bloc BAO.
Quelle est la cause de l’intervention polonaise, – que nous serions tentés de décrire comme l’“interférence” polonaise ? Nous aurions tendance à en chercher l’explication dans les associations qu’on peut faire entre la crise syrienne et l’implication du bloc BAO dans cette crise d’une part, et la position et l’attitude de la Russie d’autre part. D’une certaine façon, l’ancien Premier ministre français François Fillon donne indirectement l’explication de la chose (dans Le Figaro du 13 août 2012), avec une orientation différente tenant aux différences diplomatiques et géographiques de la France et de la Pologne. Après avoir longuement et curieusement disserté sur la crise syrienne, sur l’attitude russe, sur la nécessité de s’entendre avec la Russie en lui faisant abandonner sa position dans la crise syrienne, cela tout en reconnaissant la validité de nombre de ses arguments (?), Fillon écrit sur la fin de son article, – passant brusquement au théâtre européen, – selon une logique qui pourrait également se développer chez les Russes eux-mêmes, et pas vraiment pour notre confort : «Si j'étais François Hollande, je prendrais l'avion maintenant pour Moscou, si possible avec Angela Merkel, et je chercherais à offrir à la Russie de véritables garanties sur sa sécurité et sur une relation de confiance avec l'Otan, qui doit inclure la question de la défense antimissile à laquelle les Russes doivent être réellement associés. L'ours russe n'est dangereux que quand il a peur. Offrons-lui sans détour la perspective d'un accord historique d'association avec l'Europe.»
(Notons, en passant, l’optimisme roboratif de l'excellent Fillon qui semble que croire que Hollande, voire Hollande-Merkel sont capables, à eux seuls, d’apporter à la Russie la proposition d’une véritable association dans le programme des antimissiles… A-t-il déjà entendu parler du Pentagone, Fillon ? A moins qu’il ne songe à un programme qui ne soit ni OTAN ni US, et dans ce cas, – développez, Fillon, développez, c’est intéressant… Peut-être même auriez-vous vous-même déjà lancé l’affaire, dont tous les éléments étaient déjà présents, avant votre départ de Matignon, non ? Dites-nous vite, et informez-en le président Hollande, ou l'inverse...)
Selon notre hypothèse, les Polonais raisonnent de la même façon mais selon une conclusion très différente tenant aux différences qu’on a vues plus haut : plutôt que chercher une entente avec les Russes, mettre l’accent sur la sécurité de la Pologne sans pour autant désigner un adversaire potentiel. (Ce sont les autres, comme on le lit ici et là, qui trouvent l’adversaire assuré de la Pologne : la Russie, certes.) L’ironie est qu’ils se tournent vers des partenaires européens qui se trouvent dans des positions ambiguës vis-à-vis de la Russie. On a vu un aspect d’une opinion française là-dessus, et l’on peut arguer que les Allemands, encore plus que les Français, ne désirent pas du tout une attitude de confrontation avec la Russie. Mais la proposition polonaise doit être considérée du point de vue politique et nullement technique, ni militaire certes. Au contraire de la seconde façon de voir qui conduit à un débat de quincaillerie qui tournerait nécessairement à la machinerie antirusse, la première constitue le cas d’un processus troublant l’alignement impeccable des membres européens du bloc BAO, selon diverses considérations. (Bien évidemment, tout ce qui est évoqué ci-dessous relève de l’hypothèse et n’est envisagé en rien du point de vue d’une possible réalisation ; par contre, l’évolution de la psychologie est, elle, bien possible.)
• L’agitation polonaise concerne la sécurité de la Pologne, certes, mais surtout elle s’accompagne de deux facteurs mis en évidence directement ou indirectement par Baranowski : le désintérêt pour les aventures extérieures et un certain désintérêt pour le BMDE USA-OTAN, qui n’est plus considéré comme un garant de la sécurité de la Pologne.
• Pour substantiver cette orientation, la Pologne évoque une coopération avec l’Allemagne et la France, cela correspondant aux efforts français pour ressusciter le “Triangle de Weimar”. Là encore, il faut considérer la dimension politique de la proposition, et constater qu’aucun des deux partenaires envisagés ne tient à envisager, de quelque façon que ce soit, un projet antirusse, tout comme la Pologne sans doute. Autrement dit, le projet devient évocateur d’une dimension de défense européenne avec, comme perspective éventuelle et pour l’instant assez poétique, un grand pacte de sécurité avec la Russie. A cette lumière, la démarche polonaise n’est pas antirusse mais peut, au contraire, être celle de la recherche, ou bien simplement de l’évocation d’un arrangement avec les Russes si les Franco-Allemands s’y intéressent…
• Mais il se trouve que les agitations polonaises ont provoqué et provoquent, – et, peut-être plus encore, vont provoquer des réactions dans la dimension anglo-saxonne. Ces réactions entrent dans le débat interne anglo-saxonne, qui se résume en général à une constante poussée extrémiste, d’inspiration neocon ou assimilée. En général, cette poussée extrémiste s’appuie sur l’argument conjugué des USA ne “protégeant” pas assez ou “abandonnant” la Pologne face à la Russie ; il est évidemment antirusse en substance. Un autre argument apparaît, qui est l’argument antieuropéen (contre une défense européenne autonome se développant contre l’OTAN), dans lequel la Pologne n’apparaît qu’accessoirement. Que les deux arguments puissent éventuellement être contradictoires n’a aucune importance, la poussée extrémiste écartant la logique au profit de la radicalisation.
• Cette poussée de radicalisme idéologique devrait évidemment être renforcée par l’intense dimension mercantile qu’on trouve dans ces milieux extrémistes liés à l’industrie d’armement. Toutes les esquisses de projets européens faisant référence implicite à des systèmes européens, comme les diverses déclarations polonaises, impliquent dans la partie anglo-saxonne et l’industrie d’armement dans ce cas une réaction contraire, de type hystérique et furieux, autour des systèmes et organisations essentiellement US. (Cette réaction serait d’autant plus corsée qu’on sait l’état pathétique de l’industrie de défense US, croulant sous les centaines de $milliards et pourtant affolés à l’idée de la séquestration dont elle serait menacée.) Dans ce cas, des projets nationaux, de coopération ou de défense européenne, même s’ils se présentent comme “complémentaires” au projet général BMDE nécessairement d’obédience US, sont perçus comme antagonistes et doivent être éliminés. La russophobie accompagnée d’européanophobie impliquent des pressions renouvelées en faveur du BMDE stratégique OTAN/américaniste, présenté comme suffisant, nécessairement intégré, sous contrôle US, etc., et impliquant d’éventuels autres systèmes selon la même logique d’emprisonnement.
• La conséquence politique et politicienne probable, aux USA, en pleine année électorale et dans un débat intérieur totalement inexistant et bloqué, pourrait être de relancer la question maximaliste et schizophrénique de la sécurité. L’affaire polonaise serait un bon argument, puisqu’on y trouve pêle-mêle la russophobie, l’européanophobie US, le système antimissile avec ses prolongements dans la crise iranienne et ainsi de suite. Un axe de campagne tout trouvé pour Romney et son équipe ultra-neocon, qui pousserait Obama, dont on connaît l’électoralisme et la sensibilité sur les questions de sécurité, lui-même vers la surenchère. Cela impliquerait une mobilisation otanienne, des pressions sur la Pologne, éventuellement sur l’Allemagne, des accusations ironiques contre les pauvres Français qui ne cessent de développer leur politique d’alignement atlantiste mais qui ne craignent pas les contradictions schizophréniques avec un argumentaire comme celui de Fillon, lui-même schizophrénique, qui déclare à nouveau que tout, en Europe, passe par une entente avec la Russie…
On observera qu’il n’y a rien de cohérent, ni de constructif à sortir de tout cela. Nous disons simplement que l’initiative polonaise et le malaise qu’éprouve ce pays, à la fois inquiet pour sa sécurité, hostile aux aventures extérieures, soucieux à la fois de se protéger contre la Russie et de s’arranger avec la Russie (schizophrénie, là aussi), peuvent susciter des remous en Europe. Cela vaut d’autant plus que la nouvelle présidence Hollande est elle-même soucieuse de faire quelque chose au niveau européen, dans le sens de la défense et de la sécurité, et que son opposition pousse dans ce sens, – les uns et les autres semblant ne pas saisir les contradictions entre cette nouvelle tendance et celle qui, depuis 2009, prévaut d’un alignement complet au sein du bloc BAO par toutes les initiatives européennes (retour dans l’OTAN) et périphériques (Libye, Syrie). Là aussi règne la schizophrénie, qui est la marque “opérationnelle” d’une psychologie terrorisée et fonctionnant sur un mode maniaco-dépressif sous les pressions contradictoires imposée par le Système.
Tout cela est aujourd’hui un schéma classique et connu, depuis 2008 particulièrement, depuis que les relations transatlantiques classiques se sont transformées en une unification (une ossification) des politiques (voir le 23 juin 2012) sous le sigle que nous utilisons de “bloc BAO”. Cette unification ossifiée constitue à la fois un bloc intangible dans le domaine de la politique à suivre, maximaliste et construite sur une (des) narrative ; mais également un bloc fragile, qui suppose l’adhésion aveugle de tous aux impulsions du Système. L’inquiétude polonaise est un facteur nouveau, important, en fonction de la sensibilité de ce pays aux situations géographiques et stratégiques, et de son importance, – tant en lui-même, qu’à l’intérieur du bloc, à l’intérieur de l’OTAN, et par ses relations symboliques avec les USA que les extrémistes US jugeront menacées à cette occasion. La complexité de la question, qu’on a rapidement détaillée ci-dessus, les contradictions nombreuses dans les différents axes exposés, la pression des crises extérieures (Syrie) sur le bloc BAO, à l’heure où ces crises se trouvent bloquées et découvrent l’impuissance et la stratégie fautive du bloc, tout cela constitue une sorte de bouilloire en ébullition qui pourrait contribuer à faite démarrer un débat violent, antagoniste et agressif à la moindre occasion. Tous les pays du bloc sont en crise, tous sont lancés dans des politiques agressives comme autant de “fuites en avant”, tous ont des intérêts qu’ils proclament communs et qui sont en fait divergents sinon antagonistes, tous souffrent des mêmes pathologies psychologies et des mêmes déformations de perception mais opérant dans des sens différents qui se révéleraient en cas de tension. Les conditions sont très favorables à une crise interne du bloc, et la sécurité est un bon terrain pour cela. Pour cette raison, l’éveil polonais à l’inquiétude “tous azimuts” est une nouvelle intéressante, qui peut susciter, dans des circonstances un tant soit peu favorables comme on en voit tant aujourd’hui, des prolongements de crise interne au bloc très intéressantes.
Encore une fois, il n’est pas question ici d’avancer une perspective constructive, de faire miroiter la possibilité d’une “défense européenne”, selon une logique qui avait sa justification dans les années 1991-1999 mais qui n’a plus aucun fondement aujourd’hui. La consigne, la tendance nécessaires aujourd’hui, c’est l’introduction du désordre dans un bloc que les contraintes du Système maintiennent de plus en plus difficilement dans un moule qui ne souffre aucune dérogation, aucune nuance. Nous répétons donc “qu’il n’y a rien de cohérent, ni de constructif à sortir de tout cela”, et nous ajoutons que c’est aussi bien car seul, aujourd’hui, le désordre de réaction (antiSystème) peut donner quelque effet que ce soit dont on puisse attendre un prolongement bénéfique. Il ne s’agit pas de rechercher un nouvel “ordre”, y compris et soi-disant européen, qui serait nécessairement capté et digéré par l’“ordre” schizophrène et pathologique du bloc BAO, du Système ; il de s’agit pas de construire mais de détruire ; il ne s’agit pas de proposer (nécessairement par rapport au Système, ce qui signifie nécessairement l’absorption par le Système) mais de s’opposer (être antiSystème). Concevoir de la sorte n’implique en rien une perspective nihiliste, mais exactement son contraire ; il s’agit d’une perspective réaliste tenant compte de l’extraordinaire hermétisme du Système, de cette loi de subversion et de dissolution que le Système impose à ceux dont il dispose complètement. Tout ce qui peut entamer cet ordre de fer, “ordre” inverti, à la fois de nihilisme et d’entropisation, est une chose bonne et recommandable. Le désordre introduit dans cet “ordre” fait l’affaire ; qu’il soit polonais serait du meilleur aloi possible, tant les Polonais ont l'art de la tragédie et la pratique de la dramatisation historique.
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