Le bon sens du vieux monsieur (George Kennan, 92 ans) et l’aveuglement de buffle de Richard Holbrooke

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George Kennan, l’un des “architectes” de la politique de containment de la Guerre froide, est mort en 2005 à 101 ans. Certes, ce n’est pas une nouvelle. Kennan, un “faucon” pur sucre à ses débuts, avait notablement évolué pour mettre en question, sur le tard, sa propre politique notablement hostile à l’URSS, et la politique russe des USA après la chute du Mur.

Un lecteur aimable et attentif nous rappelle un texte écrit à cette occasion par Richard Holbrooke, démocrate, “droitdel’hommiste”, clintonien, libéral, cogneur aérien du Kosovo, incroyablement aveugle d’arrogance et de force brutale. Un héros de nos libéraux européens qui mouillent leurs culottes (est-ce bien le mot?) à l’annonce de la moindre offensive de bombardement humanitaire de l’U.S. Air Force.

Soit et trêve de digression. Le texte est celui où Holbrooke célèbre Kennan à sa façon, en l’embrassant de toute la force de ses bras puissants pour mieux l'étouffer et, pour plus de sûreté, lui planter un poignard dans le dos. Cela se passe dans le Washington Post du 21 mars 2005. L’article commence donc sur le mode “quel type magnifique c’était, dommage qu’il se soit gouré sur à peu près tout, — alors que, moi, j’ai raison sur un peu plus que tout” : K. «was a unique figure in American history. I greatly admired him but disagreed with him profoundly on many critical issues, and, in the 35 years I knew him, I often reflected on this strange paradox.»

Suit le blabla habituel, où Kennan est magnifique mais se goure, se goure, — et où Holbrooke-Albright-Clinton (dans cet ordre) ont raison à 225%. Notamment sur un truc, une épine dans le pied, un grand dessein, — l’expansion vers l'Est, triomphale et stratégique, de l’OTAN. Que l’administration Clinton ait lancé l’affaire pour de basses œuvres (pour rameuter l’électorat d’origine polonaise de la région de Chicago en 1993-94) n’importe pas. C’est devenu un grand dessein.

Holbrooke nous rapporte une anecdote où le “great old man” montre combien il était magnifique et combien il se gourait, et combien Holbrooke, lui, avait raison. Cela concerne l’Europe, la Russie, l’OTAN élargie et la stabilité stratégique.

«In 1996 Kennan went to Columbia University to hear a speech by Pamela Harriman, Averell's widow and, at that time, ambassador to France. A distinguished group, including Strobe Talbott, deputy secretary of state and one of Kennan's greatest admirers, gathered for dinner afterward in the home of Columbia's president. After dessert we asked Kennan to speak, giving him no advance warning. The 92-year-old legend rose slowly, and in a weak, high-pitched voice, delivered a flawlessly constructed and fairly brutal attack on one of the pillars of the Clinton administration policies Talbott and I were most closely associated with, the expansion of NATO to include Poland, Hungary and the Czech Republic.

»Kennan's warning that enlarging NATO would destabilize Europe — “an enormous and historic strategic error” — carried the dinner audience with its eloquence and sense of history. Events, of course, proved Bill Clinton right, and Kennan — and the bulk of the liberal intellectual community — wrong. But in a sense, Kennan that evening was fulfilling his true role in American foreign policy: not the brilliant architect of containment but an eloquent skeptic, forcing people in power to make sure their easy justifications stood up before his polite but ferocious criticism…»

Eh bien non, Dick (NDLR: Richard Holbrooke), le vieux connard brillant avait raison, — “Events, of course, proved Kennan right, and Bill Clinton… wrong.” Il suffit de jeter un coup d’œil sur ce qui se passe en Europe depuis deux mois, grâce au système BMD en pleine expansion dans les pays-nouveaux et orientaux de l’OTAN, ce système BMD étant un naturel complément de la brillante et stratégique idée de Clinton d’étendre l’OTAN vers l’Est. Ce n’est pas au poids qu’on mesure la subtilité (Holbrooke est un poids lourd). Il suffit de considérer la longue silhouette fine et élégante du vieux monsieur mort à 101 ans en 2005.


Mis en ligne le 14 mars 2007 à 12H48