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1663Le texte de John Laughland datant du 24 juin (dans RT-français), lendemain du vote des Britanniques, a peut-être été écrit dans la fièvre de l’événement lui-même, mais il représente une réflexion documentée et posée d’un historien qui s’est toujours intéressé à l’Europe. Laughland est certes Britannique et un eurosceptique disons “historique”, mais il travaille à Paris (directeur des Etudes à l'Institut de la Démocratie et de la Coopération basée à Paris) ; cela implique qu’on peut lui appliquer le label d’“Européen” puisque trempé dans l’air du temps de deux des nations les plus importantes d’Europe, les plus pointilleuses sur leur souveraineté respective, et qui plus est marquées historiquement à la fois par des proximités et des antagonismes extrêmes. Pour toutes ces raisons, ce texte “écrit dans la fièvre” représente une pensée maîtrisée, qui ne le cède pas à la passion et à l’ivresse de l’instant pour pouvoir mieux déterminer si l’événement est bien un “Moment historique”.
Plus encore, Laughland, effectivement “eurosceptique historique”, ne craint pas les visions hérétiques. Son livre de 1997, A Tainted Source, fit scandale puisqu’il y affirmait que les origines non-démocratiques de l’Europe (UE) ne repoussaient pas l’apport des sources communistes, nazie et fascistes, mais au contraire y baignaient bien plus que le bout du doigt de pied. Wikipédia, qui est une source très-démocratique, note à cet égard : « In 1997, he published The Tainted Source: The Undemocratic Origins of the European Idea, a critique in which he contends that the European Union shares some ideological affinity with Fascism, Nazism and communism, notably its rejection of the nation-state. Sir Edward Heath, the former Prime Minister who signed the UK's Treaty of Accession to the Treaty of Rome in 1972, dismissed the book as “Preposteous...a hideous distortion of both past and present.” »
(Laughland aurait pu ajouter comme “source non-démocratique“ principale de l’Europe, malgré tout le bien qu’il est de bon ton de penser dans les élites-Système de tout ce qui est américaniste, l’habituel complot américaniste [de Wall Street à la CIA, en passant par l’OSS] développé dans l’environnement évidemment favorable du Plan Marshall qui n’était pourtant qu’accessoirement destiné à cela. [Mais enfin, plus on a de fers au feu...] Cette affaire de l’élaboration du projet européen qui relève des “affaires courantes” de l’américanisme est largement documentée depuis des années ; les “partis de l’étranger” des grands pays européens, le français très largement en tête comme à son habitude, lui prêtèrent main-forte, les technocrates et économistes proaméricanistes type-Monnet se mélangeant allègrement avec les vichyssois tendance Chambrun [gendre de Laval] dont les liens avec l’administration Roosevelt étaient connus et assurés, et avec les démocrates-chrétiens et vertueux type-Robert Schuman [voir L'influence américaine sur la politique française, 1945-1954, le 5 mai 2001]. Un très court article de Charles Burris, le 25 juin sur le site libertarien US LewRockwell.com, donne les principales références à cet égard, dont l’article fameux du 19 septembre 2000 de Ambrose Evans-Pritchard dans le Daily Telegraph, rapportant des documents qui venaient d’être déclassifiés et qui mettaient en évidence cette connexion Wall-Street-CIA, jusqu’à notre UE actuelle. A cette lumière brillant de mille feux, et comprenant également la collaboration poursuivie pendant la Deuxième Guerre mondiale d'un nombre assez conséquents de grands groupes industriels US avec l’Allemagne nazie [voir Trading with the Enemy, de Charles Ingham], on comprendrait aisément et presque avec émotion pourquoi le bloc-BAO eut et a si peu de timidité à collaborer avec l’Ukraine à coloration néo-nazie.)
Il est évident que la logique développée par Laughland dans son livre, même si elle choque la sensibilité extrême de nos dirigeants-Système et même pré-Système (on espérait mieux de Edward Heath, qui eut parfois quelques audaces politiques), rencontre la logique politique parcourant le XXème siècle jusqu'au lancement du projet européen, et s’insérant parfaitement dans ce projet. Les documents ne manquent pas, qui rappelent ou font découvrir les projets “européistes” durant la période nazie, et notamment et essentiellement de la part des collaborateurs français (voir Plans des temps de guerre pour l’Europe d’après-guerre, 1940-47, actes du colloque de Bruxelles des 12-14 mai 1993, chez Bruylant à Bruxelles). Par ailleurs, on sait de plus en plus précisément que ces “collabos” venaient en nombre assez remarquable de la “gauche dreyfusarde” puis institutionnalisée, puis du courant pacifiste de l’entre-deux-guerres, du briandisme et par conséquent des premières ébauches d’une “Europe communautaire” telles que nous la connaissons aujourd’hui.
Bien évidemment, ces projets se heurtaient (en France toujours) au nationalisme et au patriotisme des droites nationales, dont l’Action Française, qui considéraient l’Allemagne comme un danger existentiel pour la France et d’une façon générale pour les nations européennes. Dans tout cela, on retrouve le conflit de “la nation” contre la supranationalité tel que le décrit Laughland. La référence indépassable pour l’Europe de ce conflit est l’argument gaullien de l’“Europe des nations” construite sur la Résistance durant la Deuxième Guerre mondiale, contre l’Europe intégrée qui est évidemment un appendice du mythe du “gouvernement mondial” (recyclé en complotisme “New World Order”, et par les complotistes, et par les directions-Système). Son interprétation inévitable pour notre compte, c’est-à-dire la bataille de la déstructuration-dissolution du “déchaînement de la Matière” contre la résistance principielle fondée sur le principe identitaire, est substantivée dans l’affrontement du Système contre l’antiSystème.
Considéré dans ce cadre global (sic), effectivement le Brexit est un “Moment historique” parce qu’il représente un point de rupture dans une continuité qu’on aurait cru inarrêtable. Peu doit nous importer pour l’instant, – c’est une autre histoire, un autre chapitre, – ce qui va maintenant se négocier, s’arranger, se briser, etc. ; l’acte historique est posé et ne peut plus être effacé, et cela dans un cadre tel que plus qu’“historique” on ne doit plus hésiter à le qualifier de “métahistorique” selon notre entendement de la chose. Que ce soit les Anglais, les moins européens des Européens, les plus atlantistes, les plus proaméricanistes, les plus catastrophiques acteurs de l’histoire de l’Europe où ils luttèrent sans arrêt contre les forces structurantes, que ce soit eux qui aient posé cet acte doit nous ravir plus que nous étonner. L’opiniâtreté, l’entêtement et le conservatisme inhérents à cette “race” (la malédiction du mot est assez atténuée par les guillemets, espérons-le), qui ont joué un rôle si destructeur dans l’histoire européenne au moins jusqu’au XXème siècle, cette fois ont joué à front complètement renversé, dans le sens de l’opposition décidée à la déstructuration-dissolution.
Certains ont comparé cet acte britannique du Brexit à la résistance héroïque de l’Angleterre contre l’Allemagne en 1940-1942 (Laughland devrait être d’accord, au fond). Il y a de cela, bien que nous restions réservé dans la mesure où cet héroïsme de 1940-1942 déboucha, à cause de la passion quasiment charnelle, de l’affectivisme complet de Churchill, à la catastrophe déstructurante que fut l’investissement de l’Europe pour les USA et la dynamique vers l’UE. Cela nous conduirait à penser que le Brexit, bien que beaucoup moins héroïque, pourrait avoir une importance bien plus grande que la période 1940-1942, dans la mesure où l’on doit placer l’acte dans la logique de l’antiSystème, c’est-à-dire dans le combat le plus titanesque et le plus décisif que notre métahistoire ait connu.
A ce point, nous garderons cela comme un acquis essentiel de l’histoire de notre temps, qui est l’épisode métahistorique de l’effondrement du Système. Le Brexit, tel qu’il est et restera, réduit au vote du 23 juin comme acte achevé, représente bien un “Moment historique“. Ce qu’il en sortira, ses effets, ses conséquences, comme ce qui y conduisit d’ailleurs, tout cela n’a pas la moindre importance dans la définition du “Moment historique”, – ce qui n’empêche nullement que tous ces faits marginaux et annexes acquièrent et acquerront d’eux-mêmes, pour d’autres raisons et par leurs propres voies, une importance très grande, sinon essentielle. Il s’agit de juger le Moment et rien d’autre. Le texte de Laughland en donne une appréciation tout à fait honorable.
Voici donc du 24 juin (dans RT-français), le texte de John Laughland intitulé : « L’effondrement de l'Union européenne est désormais inévitable »
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Le vote en faveur de la sortie du Royaume-Uni de l'UE est un événement d'une portée historique majeure, tel qu'il n'en arrive qu'une fois par génération. Il est comparable en importance à la chute du mur de Berlin dans la nuit du 9 novembre 1989. Dans les deux cas, les peuples, par un mouvement paisible et naturel, ont infligé le coup de grâce à un système politique moribond. A terme, l'Union européenne s'effondrera tout comme le Pacte de Varsovie auquel elle ressemble.
Souvent dans l'histoire, les grands tournants ont lieu par accident. Ce fut le cas pour la chute de mur de Berlin: les Berlinois de l'Est se sont rués sur Checkpoint Charlie suite à une fausse information sur la délivrance des visas diffusée par erreur par les médias est-allemands. Confrontés à une telle foule, les gardes-frontières ne pouvaient qu'ouvrir les barrières. Autant la fin du communisme était inévitable, autant la façon dont il a eu lieu a été purement contingente.
De même, le Brexit aurait pu être évité si les dirigeants européens avaient agi autrement. David Cameron avait adressé un certain nombre de demandes, plutôt modestes, à ses collègues européens. Si ceux-ci avaient bien mesuré l'ampleur de la crise de confiance qu'ils traversent, au Royaume-Uni comme dans chacun des pays membres de l'UE, ils auraient consacré un très grand effort à lui donner satisfaction et à réfléchir sur les réformes pour l'UE toute entière. Cela n'aurait pas été très difficile, mais ils ont préféré continuer comme si rien n’était et lui infliger une fin de non-recevoir hautaine et arrogante. Ils ont ainsi humilié Cameron devant son propre peuple, montrant ainsi que toute réforme des institutions européennes est impossible. C'est leur propre raideur et leur manque de vision qui auront fait sauter le projet européen.
L'effondrement de l'Union européenne est désormais inévitable parce que le vote en faveur du Brexit montre que les nations fières peuvent refuser de disparaître. En effet, il faut comprendre le vote comme un sursaut national face à une menace existentielle. La fuite en avant pratiquée par des gouvernements successifs, travailliste sous Tony Blair comme conservateur sous David Cameron, vers une immigration illimitée, a radicalement changé la société britannique. Londres n'est plus une ville anglaise depuis longtemps car, selon les chiffres officiels du dernier recensement, les Britanniques blancs y sont minoritaires. Avec son économie performante et son marché du travail souple, le Royaume-Uni aspire des immigrants du monde entier. Mais l'arrivée depuis 2004 de plus de 2 millions de Polonais et d'autres Européens de l'Est a été non pas la goutte qui a fait débordé le vase, mais une vague qui risquait de noyer le peuple britannique. Le principe de libre circulation des personnes, des services, des biens et des capitaux, est à la base du projet européen: les Britanniques viennent de montrer, avec leur refus de l'immigration non contrôlée, que ce projet est inacceptable dans son essence même.
La raideur et le manque d'imagination sont tout sauf accessoires au projet européen. Ils sont au contraire profondément enracinés dans la pensée de ses dirigeants, qui sont convaincus d'être les porteurs d'un projet civilisationnel sans précédent. Tout comme les premiers bolchéviques, les hommes et les femmes qui décident en Europe se croient à l'avant-garde d'un processus historique inéluctable. Depuis que le professeur Korovine écrivait à Moscou en 1951 dans son ouvrage «Mezhdunarodnoe Pravo» (Le Droit international) que «Les traités de l'URSS et les démocraties populaires sont un nouveau type de coopération internationale...» les théoriciens d'«une nouvelle forme de relations internationales» (Paris 2013) qui serait en train de se dessiner aujourd'hui, grâce au mondialisme et aux institutions supranationales comme l'UE, n'ont rien inventé.
Très concrètement, le Brexit fera bousculer la structure politique de l'Europe parce que, différents pays étant déjà dans un état de grande fébrilité, il donnera un énorme espoir aux souverainistes français, autrichiens, néerlandais, hongrois et autres qui ont le vent en poupe. Quel pays sera le prochain à organiser un référendum sur sa propre sortie? La France qui a voté contre la constitution européenne en 2005 mais dont la volonté populaire a été trahie par la ratification une version réécrite du même texte par voie parlementaire? Les Pays-Bas qui désespèrent de leur modèle de tolérance qui s’auto-détruit en accueillant un grand nombre d'immigrants intolérants, et qui viennent de voter contre l'accord d'association avec l'Ukraine? Les Autrichiens qui ont failli élire un membre du Parti de la Liberté à la présidence de la République? Les Hongrois qui l’an dernier ont désobéi aux ordres européens pour construire une clôture sur leurs frontières nationales?
La chute du mur de Berlin a été le déclencheur d'une réaction en chaîne qui a emporté, en quelques semaines, tous les dirigeants du Pacte de Varsovie. Ceux-ci sont tombés les uns après les autres, jusqu'à ce que la dictature roumaine tombe dans un bain de sang. Sans doute le processus de désagrégation de l'UE sera plus long et, espérons-le, plus civilisé. Pour cela il faudra précisément ce qui manque à l'Europe, des grands hommes d'Etat. Réjouissons-nous de ce résultat formidable; mais exigeons que nos dirigeants en tirent vraiment les leçons – ce dont il se sont montrés, jusqu'à présent, totalement incapables.
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