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1029Ne faisons pas languir nos lecteurs : la course de vitesse engagée l’est entre deux évènements, – d’une part le référendum pour la sortie du Royaume-Uni de l’Europe (Brexit ou British Exit), d’autre part l’explosion-implosion de l’UE (c’est-à-dire l’Europe). Pour l’instant et avant d’élaborer plus avant sur cette sympathique alternative, voyons quelques éléments d’information sur le référendum britannique, et particulièrement sur sa tendance à être tenu le plus rapidement possible, – désormais sans guère de doute en 2016 plutôt qu'en 2017.
• D’abord, une rapide interview de RT, le 26 juillet 2015, du journaliste écossait Neil Clarke. Il s’agit de la probabilité de plus en plus grande que le référendum sur la sortie ou le maintien du Royaume-Uni dans l’UE soit rapproché à 2016 au lieu de 2017, comme prévu jusqu’ici. C’es l’impopularité grandissante (“en chute libre”, plus précisément) de Cameron qui y pousse, les prévisions à cet égard étant que cette popularité ne cessera de grandir, et l’option du maintien de UK dans l’UE avec ...
RT : «Pourquoi le Premier ministre britannique David Cameron envisage-t-il d’organiser le référendum sur le Brixit en 2016 ?»
Neil Clark : «Une des raisons pour lesquelles David Cameron veut organiser le référendum en 2016, et pas en 2017, est qu’en 2017 ou 2018 l’impopularité du gouvernement sera plus grande encore à cause de la cure d’austérité que le gouvernement impose. La semaine dernière, le gouvernement a introduit une réduction de 40% des dépenses. Des milliards de coupes dans l’aide sociale également. Alors, je pense que la côte de popularité du gouvernement britannique sera vraiment très basse en 2017. De ce point de vue, il est raisonnable pour David Cameron de tenir le référendum aussitôt que possible, en juin 2016.»
RT : «Est-ce que l’exemple de la Grèce a influencé d’une certaine façon les hommes politiques au Royaume-Uni ?»
Neil Clark : «La Grèce influence, bien sûr. Les gens regardent ce qui s’est passé et ils ont vu l’intimidation qu’a subi Grèce de la part de l’UE, qui est censée être pour la démocratie. Nous avons assisté à une intimidation très claire du peuple grec, du gouvernement grec, pour accepter ces conditions. C’est pourquoi le soutien à l’Union européenne se réduit. Le point de vue de la gauche en Grande-Bretagne est particulièrement intéressant. Ils se sont rendus compte que l’UE n’était pas si progressiste que ça. Au contraire. Ils ont compris que la politique de l’Union européenne détruisait des emplois et le niveau de vie des travailleurs à travers le continent. L’exemple de la Grèce a beaucoup influencé l’attitude de la gauche britannique envers l’UE.»
RT : «Une sortie de la Grande-Bretagne jouerait en faveur ou au contraire influencera de façon négative l’Union européenne?»
Neil Clark : «Je pense que l’UE sera en meilleure situation sans la Grande-Bretagne. C’est clair que le Royaume-Uni pousse ses propres intérêts en politique étrangère au sein de l’UE. Par exemple, la levée de l’embargo des armes pour les rebelles syriens il y a quelques années. Cela a été promu par la Grande-Bretagne. Ces armes sont maintenant entre les mains de l’Etat islamique. Comme Londres pousse ses propres intérêts en UE, le président américain Barack Obama comme ses prédécesseurs appelle la Grande-Bretagne à rester dans l’Union européenne.»
• A cela, on ajoute l’extrait d’une analyse du professeur Jacques Nikonoff, Professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8, porte-parole du Parti de l’émancipation du peuple. C’est encore RT qui s’y met, en ouvrant ses colonnes à Nikonoff, confirmant que le réseau russe devient une des sources les plus fiables et les plus libres, y compris pour les informations européennes. Pour Nikonoff, “les Britanniques ont raison de vouloir sortir de l’Europe”. Après un historique de l’entrée et du parcours du Royaume-Uni dans l’Europe, Nikonoff aborde l’évaluation de cette possibilité de sortie du Royaume-Uni. (RT, le 13 juillet 2015.)
«Le projet a pris une nouvelle dimension à l’occasion du discours de la reine, Elizabeth II, devant le Parlement de Westminster, le 27 mai 2015. Elle a annoncé un projet de loi pour fin 2017 confirmant l’organisation d’un référendum sur le maintien ou pas du Royaume-Uni dans l’UE. Pour justifier la sortie, David Cameron évoque “5 principes pour l’Union européenne”. Ils ne présentent aucune originalité et ne sont qu’une accentuation caricaturale des politiques néolibérales déjà menées par l’UE (sauf le 3e point) : “compétitivité, flexibilité, retour de compétences aux États-membres, contrôle démocratique, équité”.
»S’il fallait se convaincre que la sortie du Royaume-Uni de l’UE est une bonne chose, mais pour des raisons différentes que celles avancées par David Cameron, l’appel téléphonique de Barack Obama à David Cameron pour l’inviter à ne pas sortir de l’UE devrait suffire. Car les États-Unis, dans cette affaire, suivent une ligne constante. Ils ont besoin d’une Europe unie qu’ils contrôlent. L’agent de ce contrôle est la Grande-Bretagne. La voir sortir de l’UE, c’est affaiblir la pression atlantiste, même si le traité de Lisbonne, par l’obligation qu’il fait à l’UE d’être membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan), arrime l’UE aux États-Unis. C’est la même préoccupation qui a conduit le président américain à téléphoner à Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, pour lui demander de rester dans l’euro. Les États-Unis ont en effet besoin de l’euro car cette monnaie joue le rôle de variable d’ajustement monétaire afin de protéger le dollar. Cela signifie que les gérants de fonds, quand ils doivent réajuster leurs portefeuilles, se délestent systématiquement de l’euro et gardent le dollar. Résultat : l’euro est très volatile, perturbant la stabilité monétaire, financière et les opérations commerciales internationales.
»La Grande-Bretagne hors de l’UE diminuera également la pression néolibérale sur l’UE car elle a toujours été plus libérale que la moyenne des pays membres. Mais ce ne sera que symbolique, car le traité de Lisbonne, là encore, a tout prévu, il a verrouillé le système pour que seules des politiques néolibérales soient possibles. Au total, c’est l’image, la crédibilité et l’avenir de l’UE qui seront atteints si le Royaume-Uni s’en va. Il faut en passer par là pour mettre un terme à l’Union européenne, gigantesque système d’aliénation des peuples, coupable de détruire la prospérité du continent. Le départ du Royaume-Uni, couplé à la crise grecque, restera peut-être dans l’histoire comme le début du processus de démantèlement de l’Union européenne. Et celui du retour des peuples.»
Puisque le référendum sur le Brixit semble se rapprocher et l’option Brixit se renforcer, il est en effet intéressant d’envisager les effets et conséquences, d’abord de la perspective du Brixit, ensuite de la réalisation du Brixit. Le premier point semble de l’ordre de l’évidence ; il est mentionné en passant, effectivement comme une évidence, par Neil Clarke, et plus en détails par Nikonoff. Il s’agit du constat que le départ du Royaume-Uni constituera un incontestable avantage pour l’autonomie de l’Europe, en raison du rôle de passerelle et de porteur d’au que le Royaume-Uni joue pour les USA. On ne s’étonnera pas vraiment que cela ne soit nullement notre point de vue. Il y a plusieurs raisons à cela.
• La première est une très récente déformation de l’histoire la plus récente possible. Il s’agit du tournant de la politique US en Syrie, lorsque les USA se mirent en posture d’attaquer la Syrie, à la fin août 2013 (affaire du montage de l'attaque chimique), et qu’ils abandonnèrent ce projet dans les deux semaines qui suivirent. D’une façon générale, une narrative s’est répandue, qui fait de la Russie la responsable de ce revirement, vécu comme une défaite stratégique par les USA. George Friedman lui-même (celui de Stratfor.com), érigé par ses admirateurs en grand gourou de la géostratégie US, se trompe, c’est-à-dire arrange une “vérité de situation” pour satisfaire à la logique qu’il développe, lorsqu’il explique (le 22 janvier 2015) à propos de ce tournant d’août-septembre 2013 :
«Les Russes sont intervenus dans les processus du Moyen-Orient parce que, entre autres raisons, ils espéraient acquérir une capacité de levier pour influencer la politique étrangère des USA dans d’autres domaines. Mais ils ont fait une erreur de calcul. Les USA ont pensé qu’ils cherchaient à s’opposer à eux. [...] A Washington, beaucoup de gens ont eu l’impression que les Russes voulaient déstabiliser la position US déjà bien fragilisée au Moyen-Orient, – Une région d’une importance capitale pour les USA. [...] A propos de cette question, il y avait deux points de vue différents à Washington : celle selon laquelle les Russes essayaient maladroitement de jouer un rôle [pour faire les importants], et celle selon laquelle ils avaient trouvé un point faible dans la position des USA et qu’ils essayaient d’en tirer avantage.»
Le fait est que les Russes (Poutine) ne sont pas intervenus pour bloquer l’intervention des USA contre la Syrie, mais pour offrir (voir le 10 septembre 2013) une porte de sortie au président US qui se trouvaient bloqué dans une décision d’attaque devenue impossible à assumer à cause de son conflit avec le Congrès. Ce conflit était né d’une défection brutale, qui fut celle, le 30 août 2013, de l’allié britannique, avec un vote capital des Communes contre une participation britannique à l’attaque. C’est cela, le grand événement de la séquence, qui enclencha un processus catastrophique conduisant Obama à demander l’avis au Congrès (voir le 2 septembre 2013), et à y rencontrer une opposition inattendue qui le mit dans la position intenable déjà signalée (voir le 11 septembre 2013). Le vote britannique, et notamment des travaillistes, constitua un coup de poignard dans le dos des USA qui marqua que, désormais, le Royaume-Uni était devenu un allié incontrôlable, capable d’initiatives catastrophiques pour une politique US elle-même incontrôlable.
On n’a pas assez épilogué sur cet événement, qui constitue dans le désordre la fin des “relations privilégiées” sur le plan stratégique entre USA et UK, et plutôt justement par désordres conjoints puis divergents que par dessein certes. La crise ukrainienne est venue bien à propos, non comme “vengeance” antirusse des USA comme le dit sottement sinon naïvement Friedman, mais comme un acte symbolique montrant que les véritables courroies de transmission des USA en Europe sont désormais la Pologne et les trois États baltes, avec indirectement l’Allemagne en “second rideau” au travers de tous les moyens de pression (NSA, CIA, etc.) à son encontre dont disposent les USA. Le départ des Britanniques de l’UE ne constituera donc nullement un affaiblissement décisif du dispositif des USA en Europe, puisque ce dispositif a basculé vers l’Est.
• Pour autant, l’importance de tout cela est mineure, dans la mesure où l’influence américaniste sur Bruxelles dans le sens d’une hyper-libéralisation n’est pas nulle, mais plus simplement inutile. A cet égard, si l’on considère selon les avis les plus autorisés se référant à une situation vieille de deux à trois décennies que les USA portent encore une couronne largement mangée par les termites comme souverain du bloc BAO, Bruxelles est fondamentalement beaucoup, beaucoup “plus royaliste que le roi” et le véritable moteur du bloc, avec l’Allemagne poussant à la charrette sans que les USA n’en expriment nécessairement le vœu. Certes, les USA sont partout l’objet d’une vénération aveugle dans les institutions européennes, mais d’une façon telle que cette vénération constitue finalement une sorte d’alibi incontournable pour accélérer une politique européenne dont le moteur et la dynamique se trouvent à Bruxelles et non à Washington. Le départ de UK ne changera strictement rien à cette situation.
• Mais nous parlons bien entendu de la situation géopolitique selon le rapport des forces et l’importance des influences. Au niveau de la communication, la situation est bien différente, et les USA, sans bien comprendre la situation réelle de leurs intérêts, vont considérer le départ de UK comme une catastrophe pour eux parce que, d'une certaine façon, “tout le monde le dit”, et vont réagir dans ce sens, d’une façon politiquement inutile mais avec assez de vigueur pour semer une profonde discorde au sein de l’UE . laquelle UE, on s'en doute, sera tenue par les USA, selon la logique absurde de leur psychologie déformée par l'indéfectibilité et l'inculpabilité, comme aussi responsables que les Britanniques du divorce entre l’UE et UK. L’effet, qui commencera bien avant le référendum dont les prévisions pessimistes constitueront très rapidement une crise avant la crise, aura un effet accélérateur de la fragmentation de l’UE, au travers de toutes les tensions qui existent déjà autour de l’affaire grecque, et du climat de peur qui prévaut partout en Europe. La confidence du président de l’UE Donald Tusk au Financial Times, le 22 juillet, à propos du climat régnant lors du débat sur le bailout de la Grèce au Parlement Européen, est à cet égard significative : «C’est la première fois que je vois un tel radicalisme s’exprimer avec une telle émotion. Il y avait bien la moitié du Parlement Européen [qui se trouvait emportée dans cet état d’esprit]. Alors, je crois que personne n’a remporté une victoire politique dans cette affaire, même pas l’Allemagne...» («It was the first time that I have seen radical with such emotions. It was almost half the European Parliament. Therefore, I believe that no one is a political winner in this process, not even Germany.»)
C’est dans ce climat-là, exacerbé de toutes les façons, que vont se développer les crises courantes et que va naître une nouvelle crise, celle l'arrivée du référendum UK qui aura lieu bien avant le référendum UK, comme l’on dirait d’une “crise à propos d’une crise à venir”, à propos d’un événement dont les conséquences factuelles devraient être pourtant de bien moindre importance qu’on ne les imagine. Mais l’imagination suffit à cet égard, soumise à une “psychologie de crise” absolument épuisante. Le professeur Nikonoff a raison lorsqu’il écrit à propos du départ possible de UK de l’UE : «Au total, c’est l’image, la crédibilité et l’avenir de l’UE qui seront atteints si le Royaume-Uni s’en va.» Mais la question qui se pose vraiment est de savoir ce qu’il restera vraiment de l’UE lorsque le Royaume-Uni votera sur le référendum. Les petits malins finiraient par se demander s'il sera vraiment nécessaire de voter.
Mis en ligne le 28 juillet 2015 à 14H14