Le brouillard de la guerre folle enveloppe Washington

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Le brouillard de la guerre folle enveloppe Washington

La situation “de communication”, qui forme aujourd’hui l’essentiel d’une situation politique et permet l’exercice de l’influence métahistorique, présente un aspect paradoxal trois jours après l’assassinat du général Soleimani. Le côté irako-iranien qui a subi l’attaque présente somme toute une attitude assez mesurée avec les habituelles réactions de foule et des réactions politiques marquées par des manifestations de peine pour la mort de Soleimani et de vengeance contre l’attaque. La tactique choisie par la direction iranienne et ses alliés semble plutôt celle du secret quant à ses intentions, et nullement une rhétorique bruyante et une communication exaltée, ce qui rend les projets de l’Iran énigmatiques et ont l’effet d’exciter encore plus les hypothèses, les craintes, les menaces exaltées de l’autre côté. En effet et par contraste, l’atmosphère à Washington est marquée par une tension en constante exacerbation, et là encore paradoxe dans le paradoxe, aussi bien dans le sens de nouvelles menaces aggravées contre l’Iran que de craintes exacerbées de la riposte iranienne.

Il faut mettre en évidence ce contraste psychologique qui reflète aussi bien les situations intérieures respectives et les psychologies collectives, avec l’extrême tension paroxystique régnant à Washington qui reflète le climat et les avatars que subit le monde politique washingtonien depuis 2015-2016. Du côté iranien, domine une sorte de calme extrêmement inquiet et mesuré de la direction iranienne, ne signifiant certainement pas la capitulation mais le délicat problème de choisir la voie de la riposte tandis que des efforts considérables sont en cours pour installer un climat d’unité nationale dans une situation de quasi-guerre, sans perdre le contrôle de la maîtrise psychologique collective. Les Iraniens sont sans doute également conscient, – ils sont assez subtils pour cela, – que leur attitude contribue à renforcer leur statut de puissance responsable, et donc efficace, en même temps qu’elle leur vaut l’estime sinon le soutien de nombre d’acteurs internationaux inquiets, sinon angoissés et paniqués, par l’éventuel comportement de Trump.

• C’est donc de Washington que viennent les communications les plus exaltées concernant la situation générale. On va en donner deux exemples, le premier venant de Trump et développant cet aspect de menace quasiment hystérétique concernant ce que le président, qui semble au sommet de son exaltation narcissique, considère comme des agressions agressives terribles contre les USA bien qu’il ne s’agisse que de communication où le simulacre et l’incertitude des projets jouent un rôle capital. On garde ci-dessous l’emploi des caractères gras et majusculés de ZeroHedge.com qui entend ainsi marquer  de façon frappante la gravité de la situation telle que le site la perçoit.

« Following today's mortar attacks, and bellicosity from various Iranian (and Iran-backed) leaders, President Trump has responded in words (for now), warning Iran in three short words: “no more threats!”
» In three short tweets, Trump explained he is done being threatened...
» “Iran is talking very boldly about targeting certain USA assets as revenge for our ridding the world of their terrorist leader”
» Then reminded his followers just exactly what Soleimani had done...
» [Soleimani] had just killed an American, & badly wounded many others, not to mention all of the people he had killed over his lifetime, including recently hundreds of Iranian protesters.
» He was already attacking our Embassy, and preparing for additional hits in other locations. Iran has been nothing but problems for many years.”
» Then came the warning:
» “Let this serve as a WARNING that if Iran strikes any Americans, or American assets, we have targeted 52 Iranian sites (representing the 52 American hostages taken by Iran many years ago), some at a very high level & important to Iran & the Iranian culture, and those targets, and Iran itself, WILL BE HIT VERY FAST AND VERY HARD. The USA wants no more threats!
» Trump's warning follows Hezbollah Secretary General Sayyed Hasan Nasrallah’s comments stressing that avenging Soleimani and the other martyrs is a duty of all resistance mujahidin around the world. »

(On remarquera dans les menaces d’attaques des procédés complètement inhabituels : les 52 objectifs choisis, pour les 52 otages de 1979, ce qui révèle une obsession américaniste de longue durée et l’impossibilité pour la psyché US d’accepter jamais la crise des otages de la fin de l’administration Carter ; et la mention sans précédent dans des menaces de guerre d’objectifs culturels, ce qui implique une volonté d’éradication totale d’une civilisation [l’iranienne, ou la perse, vieille de millénaires]... Nous sommes dans le domaine de la démence complètement plongée dans l’américanisme d’entropisation et de néantisation du monde. Ce n’est que de la communication mais l’idée est bien là.)

• Le deuxième aspect du caractère hystérique (même si la forme est beaucoup plus mesurée) de la situation à Washington concerne donc la crainte d’une riposte des Iraniens. Il n’est évidemment certainement  pas illustré par Trump, mais par diverses personnalités importantes de l’establishment, dont on sent ainsi, par ailleurs, la crainte sinon la panique que le président se laisse emporter par son tempérament et se saisisse du moindre incident, voire de la moindre menace pour lancer une nouvelle attaque. Bien entendu, tout le monde sait que la rhétorique de Trump est constituée dans son action dans ce type de situation d’au moins 95% de communication et de quelques pour-cent de véritable action. Mais la crainte (à peine) sous-jacente est que nous nous trouvions dans ces “quelques pour-cent” pour la séquence actuelle.

ZeroHedge.com reprend ici un texte court de Paul Joseph Watson sur l’intervention du président du très influent Council of Foreign Affairs (CFR), Richard Haas, qui représente une des voix les plus écoutées et les plus significatives de l’establishment, on dirait une voix médiane un peu “au-dessus de la mêlée” qu’est “D.C.-la-folle”. Manifestement, Haas tente, sans grand espoir selon notre appréciation (et peut-être la sienne), de rétablir un semblant de cohésion et de mesure en soulignant tous les dangers que vont affronter les USA en cas d’élargissement du conflit. 

« The President of the Council on Foreign Relations Richard N. Haass warned that those who thought any war with Iran would look similar to previous military campaigns were being incredibly naive.
» “Make no mistake: any war with Iran will not look like the 1990 Gulf war or the 2003 Iraq wars. It will be fought throughout the region w a wide range of tools vs a wide range of civilian, economic, & military targets. The region (and possibly the world) will be the battlefield,” tweeted Haass.
» He went on to assert that developments would lead to Iraqi authorities exerting great pressure on the U.S. to leave their country.
» “One sure result of the US strike is that the era of US-Iraq cooperation is over. The US diplomatic & mil presence will end b/c Iraq asks us to depart or our presence is just a target or both. The result will be greater Iranian influence, terrorism, and Iraqi infighting,” said Haas.
» Meanwhile, a source described as being in “close contact” with senior security officials in the Trump Administration said that Iran could respond to the killing of Soleimani by launching a massive cyberattack.
» A cyberattack inside the U.S. is “the most likely way that Iran could retaliate stateside,” according to  Axios. »

• Enfin, l’on mentionnera un troisième “acteur”, qui est le Congrès, qui a été jusqu’ici laissé complètement hors de cette affaire et contraint à un rôle restreint sinon pas de rôle du tout. Cela aussi est une marque de l’immense désordre de Washington, et l’on comprend aisément que le Congrès, démocrates et républicains plutôt confondus pour cette fois, n’apprécie pas cette position. Il commence donc à réagir et il le fait en tant que force de freinage structurelle dans la mesure où des lois votées récemment interdisent au président quelque action de guerre que ce soit contre l’Iran sans son autorisation. Déjà l’assassinat de Soleimani est considéré comme violant ces lois du Congrès, cela étant aggravé par le fait que le Congrès n’a même pas être informé après l’attaque. Il y a donc une fronde qui se dessine au Congrès, surtout du fait des démocrates, mais susceptible d’être appuyée par une partie des républicains, pour obliger le président à se conformer à une autorisation du Congrès avant toute attaque. (Sur Antiwar.com.)

« Congress has never authorized the use of military force against Iran, and in the initial House version of the 2020 NDAA, it was explicitly noted that there is no authorization for that war. But Thursday night rolled around, and the Trump Administration attacked and killed Iran’s top general in a strike on Baghdad International Airport. 
» An unauthorized attack, but it’s more than that, as Congresswas neither consulted about nor informed of Thursday’s attack. That’s par for the course for an administration that has scorned the very idea of Congressional authority in war-making time and again.
» Senate Majority Leader Mitch McConnell (R-KY) is saying  he’s trying to set up a classified, closed-door briefing about the attack. That’s well after the fact, and McConnell already followed the Senate hawks in endorsing the killing before even getting such a briefing. It’s not clear, then, what the point would even be. 
» More to the point, Sen. Tim Kaine (D-VA) is introducing a resolution aimed at  blocking the war, saying that the administration must not attack Iran without an Authorization for the Use of Military Force (AUMF). There is no sign an AUMF is being considered.
» The Kaine resolution would require a two-thirds majority in both the House and Senate in practice, otherwise it would face the fate of similar resolutions on the unauthorized Yemen War, being vetoed by Trump.
» And while it may be an uphill battle to muster a two-thirds majority in the Senate to oppose the Iran War, the fact that they’re trying at all is at least indication that there is some debate that will be had on the new war. America may not have gotten this debate before the US attacked, but there will be a chance to express disapproval for the conflict. » 

Trois points capitaux sont à mettre en évidence autour de ces constats et de ces descriptions.

• Toutes les spéculations sur la guerre, l’affrontement Iran-USA, Guerre mondiale ou pas, n’ont pour l’instant que l’intérêt secondaire de spéculations sans la connaissance ni même l’existence de tous les éléments qui seraient nécessaires pour de tels prolongements. L’essentiel se passe à Washington D.C., surnommée par nous “D.C.-la-folle” pour indiquer la permanence du climat qui conditionne les débats internes. Pour entreprendre en toute sérénité et en sécurisant “l"arrière” une guerre de la dimension de celle qui est envisagée, même en phase guerre hybride, il faut une unanimité bipartisane du Système.

• ... Manifestement, et même caricaturalement, cette unité n’existe pas, désintégrée, pulvérisée, transmutée en des tensions de haines indescriptibles de puissance et de démence. C’est une différence fondamentale avec de précédentes guerres du même type (l’Irak en 1990-1991, et en 2003), où le consensus était total. Même lors de l’attaque envisagée contre la Syrie en août 2013 et abandonnée au dernier moment, les divisions étaient moins fortes qu’aujourd’hui mais contribuèrent pourtant décisivement à l’abandon du projet pourtant très avancé. (*)

• Dans certaines circonstances s’il y avait finalement un conflit, même hybride, et si le Congrès n’est pas consulté, les démocrates peuvent voir renforcées leurs accusations contre Trump pour une destitution, et cette fois avec un argument solide du point de vue de la sécurité nationale. Le paradoxe dans ce piège, c’est que, comme l’affirme Tom Luongo, Trump a frappé notamment pour s’assurer du soutien de certains sénateurs républicains ultra-faucons dans le vote du Sénat sur sa destitution. La même opération pourrait au contraire renforcer la procédure des destitution contre lui : c’est un piège de tous les côtés et de toutes les façons...

 

Note

(*) Voir notamment, dans un texte du 24 février 2018 :

« Il y a un précédent, celui de l’attaque contre la Syrie d’août-septembre 2013. Tant de monde en ont oublié les véritables circonstances, se contentant d’affirmer qu’Obama avait lancé la menace d’une attaque, avait hésité puis avait reculé. La réalité de cette séquence est que l’attaque décidée après et malgré un vote défavorable de la Chambre des Communes de Londres sur la participation britannique, Obama confia la décision au Congrès : soudain, l’on constata l’effritement accéléré du soutien populaire jusqu’alors acquis à l'attaque, ce que les parlementaires, sollicités par les flots épistolaires de leurs électeurs, traduisirent en intentions de vote de plus en plus défavorables jusqu’à une déroute institutionnelle catastrophique d’où Obama fut sauvé in extremis par l’intervention de... Poutine. (Voir les textes sur ce site, à propos de cette séquence : le  27 août 2013, le 29 août 2013, le  02 septembre 2013, le  06 septembre 2013, le  10 septembre 2013, le  12 septembre 2013.) »