Le budget du Pentagone sera maintenu! Est-ce bien sûr?

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Le budget du Pentagone sera maintenu! Est-ce bien sûr?


20 septembre 2005 — Après le “discours-FDR” de vendredi dernier (16 septembre), où GW Bush annonçait le lancement de grands investissements du gouvernement fédéral (facture autour de $200 milliards) pour la reconstruction de New Orleans, le président américain a tenu aussitôt à rassurer sa base le lendemain (les républicains non-interventionnistes, le big business, les “riches” et “super-riches”) : il n’y aura pas de nouveaux impôts ni aucune autre ponction que celles qu’on fera dans d’autres postes budgétaires. Le site WSWS.org, toujours attentif à cette sorte de problème et qui les traite fort bien du point de vue technique, détaillait hier cette question.

Les budgets touchés pour aider à la reconstruction de New Orleans seront évidemment des budgets sociaux, ce qui est dans la philosophie de ce gouvernement. Un passage du texte de WSWS.org nous intéresse ici : « No Democrat has called for an end to the war in Iraq and the redistribution of military funding to pay for reconstruction and for social programs to benefit all Americans. In discussing the cuts to be made in the government’s budget, no one has raised the question of the enormous military expenditures of about $500 billion a year. »

Cette question des effets éventuels de Katrina sur le budget du Pentagone commence à être abordée par ailleurs dans les milieux plus spécialisés. Comme dirait notre copain monsieur de La Palisse, si la question commence à être examinée c’est qu’elle se pose. Defense News a publié hier un court rapport là-dessus, que nous rapportons avec les précautions d’usage:

« Congress’ $62 billion appropriation to pay for hurricane relief could expand to more than $200 billion with U.S. President George W. Bush’s promise to launch “one of the largest reconstruction efforts the world has ever seen.” But defense budget experts say federal cash flow to hurricane-damaged areas is unlikely to erode U.S. military spending.

» “It will not affect the military budget,” said Christopher Hellman, director of the Project on Military Spending Oversight, a Washington watchdog organization. “This is a one-time expense, a response to a unique situation. It will add to the deficit in the short term,” but other federal spending is unlikely to be cut to pay for reconstruction along the Gulf Coast, he said.

» To offset hurricane spending, the president and Congress could trim federal spending by $50 billion a year over four years — about a 2 percent cut for all federal agencies, including the Defense Department, said Brian Riedl, chief budget analyst for the Heritage Foundation. But that’s unlikely, Riedl said. “The easiest thing to do would be to create new debt and dump it on the laps of the next generation.”

» “Over the last five years the deficit hawks are largely confined to their nests,” said Jeremiah Gertler, a former staffer on the House Armed Services Committee, now a senior fellow at the Center for Strategic and International Studies, Washington. “Relatively few members speak on the deficit, and when they do it has been to little effect.” »

[Notre recommandation est que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]



Ces appréciations vont dans le sens contraire de ce que nous-mêmes envisageons à ce propos. Nous pensons que les arguments développés ci-dessus sont de circonstance et caractérisent une situation passée en voie de se modifier, et qui d’ailleurs n’est pas précisément décrite conformément à ce qu’elle fut. Ils ne tiennent pas non plus compte de divers arguments, dont certains de type psychologique.

Nous résumons quelques points:

• La facture de La Nouvelle Orléans fixée à $200 milliards est provisoire. Comme c’est l’habitude aux USA, elle va gonfler, d’autant que vont se développer des intérêts bureaucratiques (au gouvernement) et privés (chez les entrepreneurs impliqués dans la reconstruction, dont les amis d’Halliburton à qui on ne refuse rien) qui vont faire pression pour la faire gonfler.

• Il est faux de dire que le budget du DoD l’emporte sur tous les arguments, y compris celui de ne pas trop gonfler le déficit. C’était vrai jusqu’en 2004. Pour le budget FY2005, par contre, le Pentagone a dû sacrifier $5 milliards par rapport à ce qu’il demandait pour participer à un effort de freinage du déficit.

• Il y a le changement d’orientation de la sécurité nationale à la suite de Katrina, vers les questions intérieures. Cette orientation psychologique n’a pas encore été confrontée au fait des choix budgétaires. Elle va l’être. L’événement va être intéressant. Le Pentagone n’a pas gagné d’avance.

• Le Pentagone va lui-même être confronté à un changement d’orientation vers la sécurité intérieure, avec la pression de Bush lui-même. Cela implique des probabilités de changements d’orientation, avec l’alternative de choix dans les programmes en cours ou d’une augmentation substantielle du budget. Face aux dépenses nouvelles dues à Katrina, le cas du Pentagone sera encore plus difficile.

Ci-dessous, nous publions, sur ce sujet, un extrait de la rubrique de defensa de notre Lettre d’Analyse, Volume 21 n°02 daté du 25 septembre 2005.




@TITREDDE = Katrina versus Pentagone

@SOUSTITRE = Le Pentagone n'a pas fini de mesurer les effets apocalyptiques de Katrina, — pour lui

Un statisticien américain, Robert Lichter, fit cette remarque (à peine) ironique à propos des estimations de coût que propose la bureaucratie aujourd'hui au pouvoir, particulièrement à Washington: « Assume that all estimates are self-interested and all estimates are too low. The government is like a contractor — whatever it says, triple. » Ainsi peut-on expliquer que la facture de Katrina est passée, en cinq jours exactement (du 6 au 11 septembre) de $100 milliards à $300 milliards. Et nous aurons l'audace d'aller au-delà de Lichter en proclamant: et ce n'est pas fini. C'en est au point où les milieux financiers anglo-saxons commencent à reconnaître que la France avait raison de dénoncer la guerre en Irak, selon ce que rapporte John Keegan, de The Observer, ce même 11 septembre (« Disapproval of the French for being “cheese-eating surrender monkeys” over the Iraq war has given way, in certain circles, to recognition that they were right. The irony that flood prevention and rescue work in New Orleans suffered from a diversion of resources to Iraq has been noted. »)

Tout cela a une conséquence directe pour le Pentagone. Les coûts de Katrina vont tomber sur le budget fédéral comme une tempête frappant New Orleans, alors que le Pentagone est le principal poste de dépense active, — avec des chiffres annuels variant des $440 milliards officiels à des estimations de $750 milliards. Même à ce niveau, comme on le sait (voir notre chronique de defensa, 10 septembre 2005), le Pentagone est plongé dans une crise budgétaire extrêmement grave, — selon une situation qui décrit son incompétence absolue, avec le gaspillage devenu la raison d'être de la bureaucratie américaniste, — dans cette Amérique présentée en général, un peu à la façon des vérités du “petit livre de Mao”, comme le phare mondial de l'efficacité économique. On peut commencer à imaginer les contraintes nouvelles que les dépenses occasionnées par Katrina vont faire peser sur ce budget pentagonesque d'ores et déjà énorme et pourtant insuffisant.

L'observation est d'autant plus valable, à notre sens, que le changement de priorité est radical, comme on l'a déjà noté, dans le champ de la sécurité nationale (de l'extérieur vers l'intérieur, de l'intervention militaire lourde aux contraintes humanitaires et sociales); que l'esprit critique est désormais aiguisé, éventuellement contre la politique et le gaspillage du Pentagone, au Congrès certes, mais bientôt dans la presse qui a retrouvé toute son alacrité.

Tout cela se situe dans une période qu'on sait cruciale, avec une revue stratégique essentielle en cours (la QDR-2005), avec des projets de réforme révolutionnaire à l'esprit d'un secrétaire à la défense décidément shakespearien. (Il y a quelque chose de Hamlet chez Rumsfeld, s'interrogeant devant le danger mortel pour la République qu'est la bureaucratie du Pentagone [son discours du 10 septembre 2001] et présidant depuis le 11 septembre 2001 à un déferlement de guerres et de dépenses qui constitue le triomphe de cet ennemi mortel de la République.) Et l'on voudrait que les choses continuassent comme à l'ordinaire, comme au bon vieux temps de l'OTAN de la Guerre froide, et que le JSF se fasse comme, hier, on réussit à faire le F-16? Il y a une étrange naïveté chez les derniers apologistes de l'efficacité américaine, surtout les amis européens (nous avons toujours une pensée affectueuse pour leur dur labeur).


Qui sera le premier à dire: qu'auriez-vous pu faire avec un F-22 ou avec un JSF pour venir en aide aux habitants de La Nouvelle Orleans?

Certes, les temps sont cruels. La vérité est que le Pentagone, avec un budget qui vaut à lui seul autant que les 20, 30 ou 40 pays suivants, qui dépasse sans doute la moitié des dépenses de défense de la planète (on laisse la comptabilité aux poètes de l'analyse prospective), n'est pas capable de mener plus d'une “petite” guerre “sérieuse”, c'est-à-dire une guerre régionale de niveau moyen, et encore avec des menaces sérieuses de la perdre et d'y briser les structures de son armée de terre. La vérité est que le Pentagone est totalement impuissant, totalement inadapté et dépassé devant les conflits modernes. Il ne retarde pas d'une guerre, mais d'un univers. La chose, aujourd'hui, depuis Katrina, concerne directement l'électeur moyen et la presse nationale qui s'est libérée de ses contraintes conformistes d'auto-censure exacerbées par le 11 septembre; il paraît inévitable que cette chose, la situation et les exigences du Pentagone, doive bientôt préoccuper le parlementaire moyen, qui dépend finalement autant de la presse et de ses électeurs que de ses bailleurs de fond.

Il est donc à prévoir que les suites de Katrina vont alimenter des polémiques féroces et des attaques non moins virulentes contre la programmation du Pentagone, qui continue à vivre dans l'univers féerique où les avions ultra-modernes vrombissent en formations serrées. Non pas qu'il ne faille pas d'avions, tout le monde l'entend bien; mais les monstres en cours de développement, le F/A-22 et le JSF, hyper-sophistiqués, constamment retardés, constamment augmentés et gaspillant les milliards de dollars sans jamais rien donner? Cela va conduire à des questions indiscrètes. De même qu'on s'interroge depuis pas mal de temps sur l'utilité d'un F-22 contre Ben Laden ou une guimbarde-suicide en Irak, de même va-t-on commencer à s'interroger sur l'utilité d'un JSF face à une digue balayée par le prochain Katrina. La question est injuste et tient bien peu compte de nombreux facteurs rationnels? Et alors? La bureaucratie washingtonienne est-elle juste et rationnelle quand elle “regroupe” ses forces pendant deux ou trois jours pour “attaquer” New Orleans pendant que les gens, citoyens américains comme vous et moi, s'y noient et y crèvent de faim?

Dans ce cas également, — et il faut y revenir désormais constamment, — le changement brutal de priorité de la sécurité nationale engendré par Katrina va faire des ravages. Pour n'avoir pas voulu, pour n'avoir pas pu s'adapter au changement des choses et du monde, le Pentagone va se trouver en butte à toutes les attaques du monde. C'est toute sa philosophie, sa programmation, sa conception de la sécurité et de la guerre qui vont être mises en accusation.

Le changement d'orientation de la sécurité nationale autant que la réalisation de la nature des vrais dangers aujourd'hui, — tout cela dû non pas à Katrina mais à la façon dont le Pentagone a “traité” Katrina, — vont faire passer le Pentagone qui triomphe depuis le 11 septembre du premier rang des priorités à une position derrière, bien plus incertaine. C'est la rançon de l'irresponsabilité et de l'incompétence, une sorte de jugement sans appel des nécessités du marché et des priorités d'une économie qui doit pouvoir parler selon ses propres conceptions, — tout cela, conformément aux thèses en vogue du libéralisme et du capitalisme triomphant.