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7 février 2007 — Le budget du Pentagone pour l’année fiscale (FY) 2008 est colossal. Le député démocrate Ike Skelton, président de la commission des forces armées de la Chambre a ce mot : “staggering” (stupéfiant). Il y a une raison à cette situation, qui n’a rien à voir avec les besoins de défense des USA, mais plutôt avec la situation désespérée de GW Bush et avec l’affaiblissement paradoxal du pouvoir exécutif auquel il préside pompeusement. Il en résulte une situation politique extraordinaire à Washington.
Voyons d’abord ce budget. Beaucoup d’encre et d’impulsions électriques ont déjà véhiculé jugements et analyses. L’essentiel pour notre propos est qu’il introduit cette notion révolutionnaire que les dépenses gargantuesques de la guerre contre la terreur n’interféreront pas dans les dépenses gargantuesques pour la modernisation des forces pour une autre guerre que la guerre contre la terreur. C’est un budget gargantuesque au carré.
(Nous nous permettons d’exprimer cela selon l’idée, explicitée par ailleurs ce même jour, que le Pentagone est devant deux sortes de guerre : la guerre contre la terreur, — mais en réalité la G4G, qui est la guerre menée par ceux que Washington a choisis d’affronter, comme en Irak ; et la seule guerre convenable que le Pentagone entend préparer par ailleurs, guerre totalement virtualiste bien sûr, qui est la guerre “type-F-22” qui n’aura jamais lieu et qui justifie par conséquent des dépenses gargantuesques.)
Cette idée est notamment exprimée au travers de détails pratiques dans Defense News du 5 février .
«Any fear that war costs would crimp spending on new weapons evaporated Feb. 5 when the Pentagon unveiled its proposed 2008 budget.
»The spending plan sent to Congress by President George W. Bush calls for spending $176.8 billion on “strategic modernization.” That includes:
»• $14.4 billion for new ships, a 29 percent increase over 2007.
»• $6 billion for satellites and related equipment, a 25 percent increase.
»• $27.4 billion for warplanes, an 18 percent increase.
»• $3.7 billion on the Army’s Future Combat Systems, a 9 percent boost.
»Overall, the president proposes $648.7 billion in military spending for 2008. That includes $22.5 billion to be spent on nuclear weapons by the Department of Energy and on defense programs by other federal agencies.
»During an afternoon briefing, Pentagon comptroller Tina Jonas broke the 2008 spending request into two major parts: $481.4 billion for regular U.S. military expenses, exclusive of the wars in Iraq and Afghanistan, and $141.7 billion to keep fighting the wars.
»The 2008 total compares to a 2007 defense budget of $532.8 billion plus an additional $93.4 billion that the Pentagon is asking for to pay war expenses this year. If that is approved, total 2007 spending would be $626.3 billion.
»The Pentagon made a point of highlighting planned spending on aircraft for all of the services. The 2008 budget includes funding for 12 F-35s, 20 F-22s, 18 EA-18Gs, 24 F/A-18s and 26 V-22s.
»The 2008 budget was greeted on Capitol Hill as “staggering” by Rep. Ike Skelton, chairman of the House armed Services Committee.
» “We cannot provide an adequate national defense on the cheap, but neither can we afford to simply ratify the president’s request without performing the due diligence and oversight,” said Skelton, D-Mo.
»That skepticism was echoed in the Senate, where Appropriations Committee Chairman Sen. Robert Byrd vowed, “I plan to make sure that the dollars requested are justified and that they can be spent wisely. There will be no more blank checks or rubber stamps.”»
Il est évident que ce budget constitue un événement important qui doit être apprécié dans la perspective. C’est un budget anti-Rumsfeld, qui abandonne tous les espoirs de l’ancien secrétaire à la défense de maîtriser les dépenses, les structures et le gaspillage du Pentagone. Si l’on veut, la “bête” (“the Beast”) est déchaînée : le Pentagone reçoit tout ce qu’il veut, sans frein ni véritable contrôle. Plus question de faire porter le chapeau des dépenses de guerre aux programmes inutiles de super-gaspillage qui sont la philosophie centrale du Pentagone.
Gates est là pour la figuration, souvenir d’autres espoirs, aujourd’hui pathétiques, — ceux d’imposer à GW la politique “raisonnable” du groupe Baker-Hamilton (l’ISG). Dans la perspective historique également, le départ de Rumsfeld apparaîtra essentiellement comme une victoire de la bureaucratie du Pentagone et des militaires-bureaucrates, confirmant en cela les craintes les plus noires du même Rumsfeld.
Pourquoi ce virage? Nous en sommes réduits aux hypothèses, mais elles nous paraissent s’imposer. Ce budget FY2008, c’est le prix à payer par GW pour continuer à avoir plus ou moins le soutien du Pentagone et de ses généraux, face au Congrès et au peuple américain ; soutien pour continuer en Irak et, éventuellement, pour d’autres coups du même type (l’Iran, certes, éventuellement). Il s’agit d’une situation également pathétique et extraordinaire où l’on voit tant d’événements et de décisions d’une puissance colossale avoir leur source originelle dans les agitations fiévreuses d’une psychologie médiocre, entre utopie de bazar et vanité blessée. La chose est rendue possible par un système qui a démontré combien il constituait le piège le plus extraordinaire où le gouvernement des hommes par la Loi seule conduisait à une soumission totale à cette Loi, dans ses aspects les plus absurdes.
Le président est dans ce qu’on pourrait désigner comme “une position désespérée de force” et l’exécutif, qui manipule en toute impunité une puissance extraordinaire, est en réalité totalement affaibli, délégitimé et dépourvu de toute substance et d’autorité. Dans le cas qui nous occupe, dans le cadre du marché Pentagone-GW qu’on a détaillé, le président et sa bande, — qu’il soit manipulé ou pas par Cheney n’importe pas, — sont complètement à la traîne du Pentagone et de ses généraux-bureaucrates. Le temps où l’on évoquait des révoltes possibles semble bien dépassé ; c’était la tête de Rumsfeld, qui prétendait un peu trop les régenter, que voulaient les généraux-bureaucrates.
Tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes? Nous ne dirions tout de même pas cela et nous dirions même le contraire. Ce budget gargantuesque au carré est peut-être le commencement de la fin. Un tel rythme de dépenses va se heurter au Congrès, car le pinaillage budgétaire est un domaine qui lui plaît bien, et la guerre intestine va se développer en une guerre interminable, style 14-18. Surtout, ces budgets gargantuesques vont accentuer les travers de “la bête” : gaspillages, erreurs de gestion, programmes délirants, etc. Sur le terrain, en Irak et ailleurs, les défaites sont de plus en plus assurées puisque tout l’argent est là pour mener les erreurs à leur terme.
Washington, symbolisé par la petite cervelle de GW, ne peut se détacher de la fascination pour l’Empire qu’il n’a jamais été. La possibilité de passer en douceur, pour sauvegarder l’essentiel, à une phase “Beyond Hegemony”, nous paraît bien compromise. On voit mal comment la chose échappera au destin fatal de la tragédie. Washington s’abîmera, se consumera dans cette rêverie d’Empire, en croyant que les $milliards peuvent acheter le sens de l’Histoire, le prestige de l’autorité et la vision héroïque qu’on n’a pas. Il mourra en banquier croulant sous les bénéfices acquis sur l’argent des autres, seul domaine où le système sache faire.
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