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3 avril 2006 — L’Irak, l’Irak… Ce mot devient une malédiction pour les dirigeants anglo-saxons. Une fois les séquelles de l’Irak ont-elles frappé à Londres qu’elles frappent à Washington à nouveau, puis à Londres à nouveau.
Aujourd’hui, nous sommes donc à Londres, et les Anglais en ont assez. Ils le disent par un sondage. Pour la première fois, une majorité substantielle de Britanniques veut un départ des troupes britanniques d’Irak, “immédiatement ou dans un an au plus tard”.
« For the first time, a substantial majority wants troops to be withdrawn, either immediately or within 12 months, regardless of conditions on the ground.
» Fifty-seven per cent of respondents believe that George W Bush and Tony Blair were wrong to take military action. Only a third still believes they were right.
» That is a mirror image of April 2003, when support for the war was at its highest after the lightning campaign to capture Baghdad and the televised toppling of Saddam's statue. Then, 60 per cent of respondents said that military action was right and 35 per cent opposed it. »
Outre ses résultats, ce sondage a plusieurs aspects significatifs, qui en disent long sur la situation de la guerre d’Irak dans l’esprit du public britannique:
• Le sondage a été commandé et présenté par le Daily Telegraph, quotidien britannique habituellement considéré comme un relais au Royaume-Uni du courant néo-conservateur américain. Aujourd’hui, le Telegraph se fend d’un éditorial qui appuie les résultats du sondage pour recommander un retrait d’Irak, — ce qui n’a plus grand’chose de néo-conservateur. L’argument est sinueux, vertueux et sophistiqué, mais il n’en aboutit pas moins au résultat d’une exhortation à s’en aller : « Three years after the original invasion, supporters of the war should assess the situation with pitiless clarity. Three years is more than enough time to have trained a new generation of police recruits and native soldiers. The continuing insurgency can no longer be regarded as a mopping-up exercise, or a prolongation of the military campaign. The question we need to ask ourselves is whether our troops are containing a civil conflict that would be occurring anyway, or whether they are in fact exacerbating the unrest by their presence. » Etc, etc.
• A notre sens, le résultat secondaire le plus intéressant du sondage est sa répartition par partis: « Support for the war is strongest among Labour supporters: 54 per cent of them either genuinely believe that the war was justified or feel bound to back the Government. Among Conservative voters, only 30 per cent still believe in the war. » C’est un résultat frappant: les conservateurs, martiaux, patriotes, pro-américains, devraient être les plus enthousiastes pour la guerre. Renversons le constat : les 54% de soutien chez les travaillistes sont une position partisane, où le soutien renvoie pour une part non négligeable à l’engagement du gouvernement et de Tony Blair dans cette nasse. Les conservateurs n’ont pas de ces préoccupations ; eux seuls disent le vrai du véritable sentiment du public britannique pour cette guerre. On voit à quel niveau de popularité se trouve la guerre en Irak.
L’Irak pèse de tout son poids de malédiction sur ce gouvernement, et sur ses deux “têtes” qui s’étripent comme des chiffonniers. Tout tourne apparemment autour du départ annoncé (officieusement) de Tony Blair et de son remplacement par Gordon Brown. Mais si la passation de pouvoir est si pénible, si le départ de Tony Blair est à la fois inéluctable et pourtant retardé, c’est à cause de la popularité désespérante de ce gouvernement et de ses deux chefs. S’il n’y avait pas eu l’Irak, Blair serait encore sérieusement vissé au pouvoir, sans contestation possible, malgré ses promesses initiales.
Dans les sondages, 30% préfèrent Tony comme Premier, 30% préfèrent Brown, — et 31%, majorité relative, ne préfèrent ni l’un ni l’autre, c’est-à-dire un autre que ces deux-là. Beau résultat pour un parti qui rafle triomphalement les élections depuis dix ans. Aperçu du crêpage de chignon Tony-Brown, selon nos sources internes, — où l’on goûte l’atmosphère politicienne et saumâtre qui accompagne la succession :
« Rien ne va plus entre le Premier ministre britannique Tony Blair et son successeur pressenti Gordon Brown, dans un climat empoisonné par les spéculations incessantes sur la date du départ de Blair de Downing Street. Par presse interposée, depuis plusieurs jours, les accusations fusent entre les deux hommes, relayées par des ‘brownistes’ et des ‘blairistes’ soigneusement anonymes. Dimanche, l'Observer, édition dominicale du Guardian, affirmait que le ministre des Finances, écarté, ne serait pas aux côtés de Tony Blair pour lancer mercredi la campagne pour les élections locales du 4 mai. Tony Blair, croyait savoir le Sunday Times (droite), a mis un terme aux rencontres de Brown et de deux de ses conseillers, Alastair Campbell et Philip Gould, pour mettre en place “la transition ordonnée” visant à contrer la menace du nouveau chef du parti conservateur David Cameron. La possibilité d'une consultation interne au sein du parti travailliste en cas de départ de Blair, a été relancée par le Sunday Mirror. Mi-février, tout semblait pourtant en place: après des années passées à ronger son frein, Gordon Brown, 55 ans, Écossais, avait endossé les habits de Premier ministre en devenir, s'exprimant de plus en plus sur tous les sujets, avec l'aval apparent de M. Blair. La présentation de son dixième budget le 23 mars, avait semblé encore asseoir sa stature de futur chef du gouvernement. Il a suffi d’une petite phrase de Blair, affirmant qu'il avait peut-être fait une erreur en déclarant en septembre 2004 que ce mandat serait son dernier, pour que l’image d'harmonie s'effondre. Les ‘brownistes’, inquiets de savoir s'il allait vraiment partir et quand, ont demandé des éclaircissement. Plusieurs journaux affirmaient que Blair, 52 ans, aurait fixé sa date de départ sans la donner à quiconque. Décembre prochain, été 2007, 2008 ? Nul ne le sait. Dans la foulée du scandale des prêts accordés au parti travailliste par de riches contributeurs récompensés par la promesse d'un siège à la Chambre des Lords, les attaques entre “blairistes” et “brownistes” se sont envenimées. Brown s'est vu reprocher d'avoir rencontré Bill Clinton alors que Blair était en Australie. Blair s'est vu accusé d'avoir “volé” à Gordon Brown ses plans de réforme du financement des partis et de la Chambre des Lords pour désamorcer la crise sur les prêts au parti. Brown a été accusé d'avoir voulu affaiblir les travaillistes lors des prochaine élections locales, pour hâter la sortie de Tony Blair, en supprimant du prochain budget un abattement fiscal annuel de 200 livres (290 euros) en faveur des retraités. »
Etc, etc.
L’intérêt de ces sordides bagarres concerne l’effet sur la politique du gouvernement, notamment (c’est notre sujet) sur l’Irak (sur le maintien des troupes là-bas). Jusqu’ici, le mécontentement du public par rapport à la présence britannique dans la guerre était acceptable et ne pouvait apparaître comme un motif de division entre les deux hommes. Mais maintenant que l’attitude du public s’est transformée en une opposition franche et nette?
Question posée autrement : vu l’intensité de la bagarre, il est difficile d’imaginer qu’un sujet d’aussi intense polémique générant une impopularité majeure ne soit pas à un moment ou l’autre utilisé par l’un (Brown?) contre l’autre, — d’autant que le premier (Brown) est notablement moins “compromis” que le second dans cette affaire. Si la chose se réalise, on peut assister à des prolongements déstabilisants.
Autres sujets qui fâchent et qui pourraient opposer les deux hommes : les perspectives de la crise iranienne si celle-ci devient plus pressante, avec rumeurs d’attaque à la clef ; le JSF, si la polémique sur le programme se durcit. Tous ces sujets mettent en cause, parfois d'une façon très polémique, les relations avec les USA. Aujourd'hui, un retrait des troupes britanniques d'Irak provoquerait une crise majeure avec les USA.
Un constat général pour conclure : les circonstances générales et la concurrence des deux hommes accroissent l’instabilité du pouvoir britannique et risquent d’entamer sa continuité sur des sujets supposés d’intérêt national. Piteuse perspective pour le règne triomphant du New Labour depuis 1997, et dangereuse pour la pérennité des institutions britanniques.