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3 septembre 2003 — Partout, aujourd’hui, à Washington, dans les milieux critiques de l’administration, les rapports et les souvenirs fleurissent pour proclamer que la catastrophe irakienne était prévisible, annoncée, dénoncée (par les auteurs des rapports et des propos, notamment), et qu’elle dénote une très grande impréparation, des erreurs initiales fondamentales. Mais le cas de Thomas E. White est proprement extraordinaire et ne fait pas partie de ce courant, même s’il finissait par s’y couler. Il doit nous arrêter, comme une mesure convaincante de la désintégration accélérée du système de l’américanisme en place à Washington, sous la direction de GW et inspiré par les néo-conservateurs.
Thomas E. White publie un livre, qui sort demain, et il l’annonce en grande fanfare. Ce livre contient notamment une critique impitoyable des soi-disant “plans” pour l’après-guerre irakien, élaborés par les planificateurs du Pentagone. Le cas extraordinaire est que White était, jusqu’au 25 mai dernier, au moment de sa démission, Secretary of the Army au Pentagone. C’est certainement un cas unique d’une hostilité si soudainement, si rapidement proclamée, à propos d’une opération vitale encore en cours, par un homme qui était encore parmi les responsables des forces impliquées dans cette opération il y a quatre mois.
Quelques lignes sur cette affaire :
« Thomas E. White, forced to resign as Army secretary in May, has fired back in a book that describes the Bush administration's postwar effort in Iraq as “anemic” and “totally inadequate.” The book, which presents a blueprint for revitalizing Iraq, asserts that the administration underestimated the difficulty of putting that country back on its feet after the fall of Saddam Hussein.
» “Clearly the view that the war to ‘liberate’ Iraq would instantly produce a pro-United States citizenry ready for economic and political rebirth ignored the harsh realities on the ground,” White wrote in a preface to “Reconstructing Eden,” which is to be published Thursday.
» In a letter to news organizations announcing the book's release, White was even tougher on the administration. “Unbelievably, American lives are being lost daily,” he wrote. White said the administration lacks a cohesive, integrated plan to stabilize and rebuild the country.
» “We did not conduct the war this way and we should not continue rebuilding the country in a haphazard manner,” he wrote. “The result will be a financial disaster, more lives lost, chaos in Iraq and squandered American goodwill.”
» White, who as a civilian service secretary was not in the military chain of command, served as Army secretary from May 2001 to May 2003. He clashed with Defense Secretary Donald H. Rumsfeld on a number of issues, including the service's plan for the Crusader artillery system, which Rumsfeld viewed as too heavy and cumbersome for the lighter, more agile Army he envisioned. »
Cette activité de Thomas E. White nous conduit à plusieurs remarques.
• Il y a eu (il y a toujours ?) une guerre impitoyable au Pentagone, entre Rumsfeld et sa clique néo-conservatrice, et certains domaines des forces armées et de la bureaucratie. C’est notamment le cas avec l’U.S. Army, que White représentait au niveau civil, avec le général Shinseki au niveau militaire, et totalement en accord avec Shinseki. (Shinseki a affronté durement Rumsfeld et Wolfowitz sur la fin de son mandat de chef d’état-major. Shinseki jugeait l’après-guerre irakien infaisable et catastrophique, dans les plans de l’équipe Rumsfeld. Il jugeait qu’il faudrait au moins 400 à 500.000 hommes pour espérer contrôler le pays. Les événements lui donnent raison.)
• L’attaque de White est d’autant plus extraordinaire qu’il s’agit d’un homme du système, avec vices et vertus : venu de l’industrie de défense, compromis dans le scandale Enron, White ne déparait pas, c’était “un des leurs”, et il devait savoir que l’une des règles du système est de ne pas laver un linge trop sale en public. Sa riposte est d’autant plus extraordinaire et montre que sa querelle avec Rumsfeld, loin de répondre à la version officielle (désaccord sur le système Crusader), porte sur un désaccord stratégique et bureaucratique fondamental.
• On l’a déjà dit et il faut le redire : le cas White est unique par son importance, et un puissant signal de la désintégration du système. Qu’un homme du système se permette une telle attaque, contre les gens de son parti, à propos d’un conflit toujours en cours, est unique par ces caractéristiques également.
• Cette sorte de “dissidence” extraordinaire, — White est un businessman type-Rumsfeld qui écrit aujourd’hui comme un Chomsky ou un journaliste de The Nation — va-t-elle se multiplier ? Avant White, il y a eu l’exemple du lieutenant-colonel Karen Kwiatkowski, de l’USAF. Cas moins spectaculaire, moins significatif que White, il n’en participe pas moins de la symptomatologie de la désagrégation. Affectée à l’équipe Feith (un des neocons du Pentagone) jusqu’en avril, Kwiatkowski quitte l’USAF (et Feith) et devient une pamphlétaire acharnée contre les néo-conservateurs, appuyée sur une forêt de faits et de connaissances démontrant leur vilenie. Elle est aujourd’hui partie prenante du débat politique aux USA, et l’une des plus virulentes.
• Le régime GW n’est même plus capable de faire respecter la règle la plus simple et la plus impérative de la survie du système : la loyauté de ceux qui servent ce système et s’en servent. Il s’agit effectivement d’un symptôme extraordinairement puissant de désintégration. La conclusion est imparable : le système de l’américanisme joue gros dans les sables de l’Irak et il apparaît de moins en moins sûr qu’une issue très défavorable pour lui, désormais tout à fait possible, n’entraînerait pas des conséquences graves, à Washington, pour sa stabilité et sa pérennité.
N.B. Il n’est bien entendu plus question, dans cette analyse, de notions telles que “service public”, “devoir de réserve”, etc. De quelque côté qu’on se tourne, elles n’ont plus cours. Elles font partie d’une époque révolue, qui n’existe même plus dans leur mémoire.