Le cauchemar révélateur de Ralph Peters

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Ralph Peters est comme une sorte de monument. Il faut aller le visiter de temps et temps pour voir comment se porte la folie ordinaire, type neocon maximalisée. Nous nous sommes donc attardés à un de ces articles grandioses qui fait le tour de la question, c’est-à-dire une description de l’Armageddon-du-jour (son dernier livre est intitulé: The War After Armageddon).

L’article se nomme «Nightmare in the Middle East», dans le New York Post du 31 janvier 2010. Peters détaille pays par pays les catastrophes attendues, au Moyen-Orient, d’ailleurs avec effet immédiat (dès 2010). Nous noterons trois perles, dont l’une, avec le complément d’une seconde, a éveillé notre intérêt et nourrira notre commentaire. La troisième, citée en premier, est pour le pur plaisir intellectuel.

• Nous avons ce passage sur Israël, où nous apprenons qu’Israël est le dernier espoir de la civilisation (retour aux sources, disons) et qu’Obama, malgré toutres les apparences, l’a peut-être condamné au pire… «ISRAEL: Civilization's last hope in the region, Israel remains the target of international leftists dreaming of another, more-thorough Holocaust. The "peace process" will continue to fail. Arabs need Israel to blame for their failures. And President Obama empowered the worst Arab elements with his Cairo speech, which convinced the dead-enders there’s no need to compromise with Israel — that the US would shift its support to the Arab cause. That Cairo speech may prove to have been the most-destructive address in the history of American foreign policy.»

• Le second pays qui nous intéresse, complémentaire dans cet intérêt du suivant, est l’Arabie Saoudite: «SAUDI ARABIA: Its two main exports are oil and fanaticism. Saudi funding supports a global effort to drive Muslims into the fold of its severe Wahhabi cult — and to prevent Muslims (including those in the US) from integrating into local societies. The Saudis care nothing for the fate or suffering of fellow Muslims (check out the Palestinians). They care only for their repressive version of Islam. The birthplace of Bin Laden, Saudi Arabia's differences with his terror organization are over strategy and tactics, not over their mutual goal of forcing extremist Islam on all of humanity.»

• Le passage/pays qui nous intéresse le plus concerne la Turquie: «TURKEY: Long in NATO, but denied membership in the European Union, Turkey has grappled with an identity crisis. Increasingly, its political bosses back an Islamic identity. The ruling AKP (Justice and Development Party) soft-peddles its religious agenda when dealing with the West, but has been methodically dismantling the secular constitution left behind by Kemal Ataturk — who rescued Turkey from oblivion 90 years ago. Despite the military's hobbling by clever AKP tactics in Ankara, the collective of generals remains a wild card. With the AKP drawing its strength from urban slums and the countryside, more cosmopolitan Turkish voters can't reverse the Islamic tide. Will the military move to preserve the legacy of Ataturk? Unlikely. But if the generals did move, the Obama administration would back the Islamists. Meanwhile, Turkey's current leaders are dragging the country toward the Middle East and away from the West.»

Maintenant, nous tentons de déchiffrer tout cela, le “message” ésotérique du philosophe Ralph Peters...

Notre commentaire

@PAYANT Ralph Peters est certainement l’un des exemplaires les plus excités du zoo extrémiste washingtonien. Quand on pense qu’il fut major dans les services de renseignement de l’U.S. Army, cela nous donne confiance dans les orientations de cette civilisation… Néanmoins, toujours bien au fait des choses, Peters, voire précurseur, et, dans tous les cas, tenu toujours informé des manigances en cours. Il est donc intéressant à lire, – essentiellement entre les lignes et en écartant le superflu qui fait souvent chez lui fonction d’essentiel, – parce que le courant neocon, s’il a perdu sa prééminence, reste bien placé, avec des hommes placés où ils doivent être. Par rapport aux réseaux d’influence de la tendance et à leurs soutiens financiers (notamment de l’industrie d’armement), les uns et les autres continuant à jouer leur rôle, la politique neocon s’exprime encore dans certains domaines.

Par conséquent, il faut apprécier certaines des divagations de Peters comme autre chose que des divagations, c’est-à-dire comme des indications reflétant des tendances politiques qui ont une certaine réalité, à la fois dans les milieux activistes et dans les connexions de ces milieux activistes vers certains milieux proches de l’administration Obama (malgré une position de principe nettement opposée à l’administration Obama, comme on le lit dans le texte de Peters). Malgré (ou à cause de?) ses éructations et ses fulminations, Peters reste lié aux milieux “activistes actifs” et aux milieux politiques actifs tout court, et certaines de ses analyses reflètent des évolutions en cours. Ainsi, les deux passages mis ci-dessus en exergue, en plus de l’extrait folklorique sur Israël qui perpétue le soutien aveugle à ce pays des activistes US, ont-ils une réelle signification politique.

• Concernant l’Arabie Saoudite, les remarques de Peters rencontre un sentiment souterrain de méfiance, voire d’hostilité à l’Arabie qu’on observe en développement actuel dans certains milieux washingtoniens. Cette inimitié à l’encontre de l’Arabie est déjà ancienne chez les neocons, mais elle semble désormais gagner une partie de la direction américaniste. La cause de cette évolution est différente de ce que nous en dit Peters, et tient plutôt à la perception d’un rapprochement entre l’Arabie et la Russie qui va au-delà de la possibilité d’achat de missiles russes S-300 par les Saoudiens.

• Le passage le plus intéressant concerne la Turquie. Dans ce cas, Peters fait état d’une analyse qui est très répandue à Washington et l’on peut même avancer que ses remarques concernant la position des militaires turcs rencontrent la réalité de certains contacts qui auraient été pris, aussi bien via le Mossad israélien que via certains groupes extrémistes US, sinon des émissaires de services officiels US. L’analyse générale, d’ailleurs teintée naturellement par l’appréciation biaisée et obsessionnelle du jugement américaniste, partagée sur ce point par celui des Israéliens, est que l’évolution de la Turquie est due à une radicalisation rampante des islamistes au pouvoir, dans un sens évidemment “islamiste” avec tout ce que cela suppose pour ces jugements. En réalité, l’évolution du régime turc s’explique plus simplement par son exaspération vis-à-vis des politiques extrémistes américanistes et israéliennes, mais le fait ne peut évidemment être pris en compte de cette façon par les jugements US et israéliens. Le résultat est qu’à l’éloignement de la Turquie du camp US correspond une méfiance grandissante du côté US, qui interdit des manœuvres de rapprochement.

La conclusion de Peters à cet égard est donc particulièrement intéressante, qui concerne l’attitude des généraux turcs. Peters se demande si les généraux vont “bouger” pour défendre l’héritage laïc d’Ataturk et il juge cette possibilité comme très improbable. Ces indications sembleraient montrer qu’il y a eu des contacts avec les militaires turcs dans le sens d’une exhortation à réagir contre l’“islamisation” du régime, mais que ces contacts n’auraient produit aucun résultat intéressant. Cela s’expliquerait évidemment par le fait que les généraux turcs n’ont pas nécessairement la même analyse d’une “islamisation”, mais qu’ils comprennent plutôt l’évolution du gouvernement pour ce qu’elle est, par rapport à une politique américano-israélienne dont ils ont eu eux-mêmes beaucoup à souffrir ces dernières années. La remarque de Peters sur l’orientation générale de l’administration Obama dans l’hypothèse d’une action des généraux («But if the generals did move, the Obama administration would back the Islamists») est également intéressante.

Toutes ces remarques de Peters doivent être prises avec la réserve de l’extrémisme des sources qui sont consultées, donc de la déformation de la vision de la situation que cela implique. Elles sont moins une indication de la situation réelle de la Turquie que de la perception de la situation de la Turquie à Washington, et précisément dans certains milieux washingtoniens. On peut alors tirer comme enseignement principal deux points. Le premier est qu’il y a maintenant à Washington une perception très nette de l’éloignement de la Turquie du camp US; le second est que cette perception est naturellement, selon le processus psychologique américaniste habituel, en cours de radicalisation accélérée et en train de rapidement se transformer en une hostilité US à l’encontre de la Turquie, qui n’est plus très éloigné du moment où la Turquie commencera à être considérée comme un pays islamiste hostile aux USA (et à Israël). Encore une fois, ce n’est certainement pas la réalité turque, mais cette réalité américaniste rend de plus en plus improbable la poursuite d’une certaine “cohabitation” USA avec la Turquie dans ce processus d’évolution, et encore plus improbable des tentatives US de rapprochement avec la Turquie, en attendant au contraire les premiers signes d'hostilité US. Tout cela devrait bien entendu conforter l’évolution turque en cours et installer une très intéressante situation au sein de l'OTAN.


Mis en ligne le 5 février 2010 à 13H48