Le “centre de gravité” se déplace

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Le “centre de gravité” se déplace

Un très court commentaire de M K Bhadrakumar, ce 31 août 2012, sur le sommet NAM de Téhéran, permet de musarder autour de quelques points émergeant à ce sommet, constituant, selon le mot de l’auteur, « one of those rare moments when a new “centre of gravity” is forming in the geopolitics of the Middle East region». On verra également ces divers commentaires comme des compléments spécifiques de l’analyse publiée ce même 1er septembre 2012.

• Le premier point est une proposition de l’Iran, nouveau président du NAM, de former un “groupe de contact” sur la Syrie, constitué des trois présidences successives, la précédente, l’actuelle et la suivante, – successivement, comme cela se trouve, l’Égypte, l’Iran, le Venezuela, avec deux autres pays de la région et voisins de la Syrie s’y ajoutant : l’Irak et le Liban. (Voir ITAR-Tass, le 30 août 2012.) M K Bhadrakumar rappelle l’évidence que la position égyptienne, hostile au régime Assad, se sépare sur ce point nettement des positions iranienne et vénézuélienne, – mais pondère aussi cette réserve en observant combien le libellé de la proposition iranienne permet tous les arrangements : «It is an intriguing formation since Egyptian president Mohamed Morsi openly called for regime change in Syria, while Iran and Venezuela would be ambivalent about the very concept. But then, all three are agreed that the ‘transition’ should be a wholly Syrian-owned process without outside intervention.»

M K Bhadrakumar poursuit son commentaire, en exprimant une fois de plus son admiration pour la diplomatie iranienne, sa souplesse et sa capacité d’adaptation : «This is Iranian diplomacy at its best, showing mastery over the art of the possible. What matters infinitely more than everything else from the Iranian viewpoint is that Tehran and Cairo are sharing a regional platform on Syria.» L’“art du possible”, dans ce cas, c’est la réunion des pays convoqués pour former ce groupe sur un principe essentiel, qui constitue finalement l’argument fondamental de la crise syrienne, encore plus que le sort d’Assad lui-même : le refus de toute intervention étrangère, implicite dans l’affirmation qu’une “transition” doit être le fait même d’un processus entièrement syrien. Pour les Iraniens, c’est l’essentiel puisqu’il s’agit de contrer les pressions constantes du bloc BAO qui ne se justifient et ne s’articulent que sur la finalité de son intervention en Syrie, – et, en cela, les Iraniens font une proposition qui ne peut que satisfaire Morsi, pour qui le principe de la non-intervention étrangère en Syrie est encore plus important que son hostilité à Assad.

Les Iraniens reprennent à leur compte la logique russe, qui est moins pro-Assad que défenderesse intraitable du respect du principe de souveraineté. Finalement, le sort d’Assad est un point contingent de la crise syrienne, laquelle n’est importante qu’autour du principe de souveraineté… Ou bien ce principe est violé, et il l’est s’il y a intervention étrangère, pour quelque motif que ce soit (Assad ou pas Assad), et c’est bien là la politique fondamentale du bloc BAO ; ou bien ce principe est protégé, et cette position de doctrine est opérationnalisée évidemment par le refus de toute intervention étrangère, et c’est bien là que l’Iran et l’Égypte se rejoignent, et qu’il leur est permis de passer outre à leurs différences concernant le sort d’Assad. Effectivement, il s’agit de la logique russe, contrairement aux déformations constantes, à l’image de sa propre déformation interventionniste, que le bloc BAO a fait subir à cette logique en “interprétant” la politique russe comme un soutien d’alliance avec le régime Assad.

• On ne sera pas sans remarquer que la proposition d’un “groupe de contact” sur la Syrie que fait l’Iran se rapproche de celle de l’Égypte, faite au sommet islamique des 14-15 août à Ryad, et pourtant il s’en éloigne, sur la composition, d’une façon extrêmement significvative, qui montre que les évènements vont vite. L’Égypte avait proposé un “groupe de contact” régional où l’on trouvait l’Arabie, l’Égypte, l’Iran et la Turquie… Exit la Turquie et l’Arabie, dans la proposition iranienne dans le cadre du NAM, et cela correspond bien à une situation qui est apparue lors du sommet. Pour des raisons diverses, il s’est agi de l’effacement de la Turquie (pour cause de débâcle) et de l’Arabie (pour cause d’incertitude bien dans la manière saoudienne)… Ces deux pays, qui semblaient triompher il y a trois ou quatre mois, notamment à cause de l’importance que leur donnait la crise syrienne, paraissent désormais bancals, complètement pris à contrepied et sur la défensive, ne sachant plus précisément dans quelle direction orienter leurs politiques régionales, et s’ils ont encore une politique régionale d’ailleurs, – s’ils sont capables d’en avoir encore une, de plus en plus contraints par la pression qu’ils subissent, à cause de leurs propres erreurs ou de leurs propres craintes…

M K Bhadrakumar : «Turkey’s Syrian debacle is becoming very serious. Egypt’s “entry” puts pressure on Saudi Arabia to change course. The Iranian media has given the impression that some sort of rapprochment between Tehran and Riyadh is on the cards. The restoration of Egypt’s relationship with Syria, equally, changes the calculus for Turkey…»

• …D’où un retour au “fondamental”, à la fois symbolique et psychologique, bien autant que stratégique, c’est-à-dire l’Iran et l’Égypte. Ces deux pays si importants ont quelque chose en commun, qui est d’être d’incontestables puissances régionales qui doivent défendre ou réaffirmer leur souveraineté nationale, lequel est également une force structurante pour l’équilibre de la région et l’hostilité aux hégémonies extérieures ou par délégation. La Turquie était dans ce jeu tant qu’elle avait encore cette politique indépendante qui lui imposait à la fois la charge et la stature d’affirmer sa souveraineté ; la Turquie en pleine débâcle catastrophique n’est plus dans ce jeu, on l’a vu, aussi l’Iran et l’Égypte se retrouvent nécessairement dans un flux naturel de connivence qui ne gomme certainement pas les différences mais qui va tendre de plus en plus à les faire agir dans le même sens, dans le concert régional. Cette question du principe de la souveraineté, soulevée si souvent par les Russes pour eux-mêmes et pour toute situation, est aujourd’hui le point fondamental de toute politique extérieure et de sécurité nationale, et le point fondamental qui fait d’une politique une Grande Politique en fait, à cause de l’offensive constante du Système, déstructurante et prédatrice de tous les principes structurants par conséquent. Nous sommes bien loin, très loin, des refrains “tendance” de la narrative du bloc BAO (démocratie, droitdel’hommisme, etc.) et touchons là à ce que le “printemps arabe” a de véritablement important.

M K Bhadrakumar n’a pas manqué la déclaration de Morsi faisant de l’Iran un “partenaire stratégique” (l’Iran nommant l’Égypte un “allié stratégique”), comme point fondamental des échanges entre les deux pays à Téhéran. Il note effectivement l’embarras manifeste des USA devant l’évolution de Morsi, jugé en général par les commentateurs-Système autant qu’-antiSystème de convenance, comme un “pion” des USA, – mais voilà, on est contraint aujourd’hui de tenter de trouver dans l'attitude du “pion” la démarche “la moins pire possible” pour les intérêts US… (Voir le 30 août 2012 : «Avec son actuelle et très audacieuse évolution, [Morsi] les place en position de complète défensive, sans guère de possibilité pour eux de contrecarrer ses initiatives dans la mesure où Morsi se ménage de plus en plus de possibilités d’alternatives à la politique classique de soumission de l’Égypte au bloc BAO, – et sans savoir, dans le chef des “tuteurs” [US] , si c’est pure tactique tout en restant dans le cadre de l’ancienne alliance, ou s’il s’agit bien d’un grand tournant stratégique.»)

…Voici donc, enfin, ce qu’en dit M K Bhadrakumar : «It is no small matter for Tehran that Morsi called Iran a “strategic partner” for Egypt. Even a commentary in the Voice of America admits that the symbolism of Morsi’s visit to Iran “has concerned countries trying to isolate Iran – in particular, Egypt’s longtime ally the United States.” The best spin VOA could give is that Morsi’s trip does not mean Egypt’s “full-fledged approval of Iran” and that the “apparent closeness could be a bargaining chip” in Egypt’s negotiations with the US.»


Mis en ligne le 1er septembre 2012 à 13H57