Le changement par l'impuissance ?

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Notre époque en apparence compliquée, où l’on vous dit que tout ne va pas si mal au milieu de la crise générale de l'effondrement d'une civilisation bâtie sur la puissance, – une telle époque ne peut être chiche de paradoxes. En trouve-t-on un, assez intéressant , du côté du Royaume-Uni et de sa coalition Cameron-Clegg (ou Cameron-Clegg-Dieu)? Dans un texte centré sur l’élimination de la vie publique du “spin master” et âme damnée (de communication) de Tony Blair, Alastair Campbell, Paul Woodward propose cette intéressante réflexion ce 13 mai 2010, sur son site War in Context (excellent site, indeed)…

«Indeed, Britain’s first coalition government since the Second World War opens up a possibility that should be watched with keen attention by observers who might otherwise have no particular interest in British politics. The era where image-makers such as Campbell turned policymaking into an utterly unprincipled message-shaping process, may finally be drawing to a close as the communications apparatus of a single party will no longer hold sway. David Cameron will not have the luxury of merely needing to sell his message to a friendly media but will have to persuade Liberal-Democrat partners much less willing to swallow the Conservative spin.

»The political mechanics of consensus and compromise will be hard enough to manage without the additional strain of attempting to balance the competing demands of two communications teams. For that reason, there is a chance that the spin doctors will be sidelined or their influence at least diminished if they further complicate an already complex process.

»Beyond Britain’s slavish allegiance to Washington during the Blair years, nothing represented the Labour government’s abandonment of principle more clearly over the last decade than the relentless erosion of civil liberties in the name of security. There is now the prospect that this trend will be reversed.»

Notre commentaire

@PAYANT … Réflexion très intéressante, indeed. Il y a là une analyse paradoxale par rapport à ce que nous concevons comme représentation et mécanisme d’un pouvoir efficace. L’exemple britannique fut toujours cité comme l’archétype du pouvoir démocratique et parlementaire efficace, par sa systématisation du dégagement d’une majorité absolue d’un seul parti pour chaque élection. Ce n’est pas tant le système “bi-parti” qui est en cause que l’injustice démocratique fondamentale du système électoral, injustice largement compensée, selon la vision très pragmatique des Britanniques, par ce résultat si net assurant le socle parlementaire intangible du pouvoir. Les élections de mai 2010 ont brisé cela et, d’une certaine façon, qui n’est peut-être pas la sienne, les exclamations exaltées de Matthew Parris ont leur raison d’être («If God does not exist then — in light of the hidden hand that events have placed on the shoulders of these two new leaders, paving their way and staying their enemies — Nick Clegg and David Cameron may this weekend think it necessary to invent Him»).

Parris remercie ce Dieu auquel il ne croit pas et qu’il faudrait donc inventer pour l’occasion, d’avoir forcé à la réunion de deux hommes (Cameron et Clegg) qu’il estime faits pour s’entendre et pour mener une véritable révolution du système, à l’intérieur des règles du système. Dieu ou pas Dieu, c’est l’électeur qui a voté, et qui, qu’il ait été inspiré ou non, a donné ce résultat inattendu par son désordre par rapport aux normes de la pratique politique britanniques. Nous nous en sommes déjà réjoui comme une façon très postmoderniste de la part de la “colère populaire” de se révolter efficacement contre le système, avec éventuellement l’aide de Dieu dirigeant le choix de l’électeur. C’est là que la remarque de Woodward a toute sa place et sa pertinence. Puisque ce désordre a forcé à une coalition qui s’est engagée contractuellement pour un gouvernement de cinq ans, cela signifie de nombreux conflits à venir et qu’il faudra régler, ou au moins de nombreux conflits potentiels qu’il faudra désamorcer, avec deux “équipes de communication” ayant effectivement des intérêts différentes ; par conséquent, certes, l’impossibilité de remettre tous les pouvoirs à un “spin master”, comme Blair le fit avec Alastair Campbell. D’où, juge Woodward, un coup d’arrêt donné à la dictature de la communication.

La remarque vaut effectivement qu’on s’y arrête. D’abord, pour observer que la rupture du système britannique si souvent acclamé comme “modèle” de stabilité et de cohésion (un seul parti, une majorité absolue) n’est pas en soi une mauvaise chose. Les directions politiques étant réduites par leur consentement empressée à l’impuissance la plus complète, à une sorte de vœu absolu de vassalité au système anthropotechnique qui nous dévore et nous annihile, les moyens puissants d’une action politique n’ont plus aucun intérêt et deviennent même complètement négatifs et contre-productifs, puisqu'utilisés au profit du système. Ils accentuent l’impuissance politique et la vassalité au système, notamment, – et c’est là qu’on rejoint la remarque de Woodward, – en donnant les pleins pouvoirs aux représentants du système de la communication, l’une des deux branches majeures (avec le système du technologisme) du système général, et elle-même chargée dans ce cas de la construction d’une représentation virtualiste de la direction politique et de son action. La chose est devenue impossible à cause du “désordre divin” (merci à Matthew Parris) qui a conduit à la nécessité d’une alliance entre deux fortes personnalités et leurs partis.

Effectivement, ces deux personnalités vont gouverner ensemble et ne manqueront pas de marquer leurs territoires, de défendre leurs intérêts, de se “marquer à la culotte” comme on dit en termes de rugby. Cela signifie que les équipes de communication ne s’occuperont plus de construire une image virtualiste de l’action de la direction politique pour le public mais plutôt de se surveiller l’une l’autre, éventuellement de se rectifier l’une l’autre, voire de s’affronter. Au mieux, nous pourrions avoir, notamment avec l’aide puissante du système de la communication, une version gouvernementale de “la discorde chez l’ennemi” avec deux partenaires éventuellement et épisodiquement adversaires mais obligés de continuer à travailler ensemble. (En marge de ce dernier point, nous préciserons que nous ne suivons pas Parris jusqu’à croire que Cameron et Clegg, même avec Dieu en flanc-garde, vont se révéler comme de superbes “Gorbatchev à la britannique” pour foutre le système cul par dessus tête. Nous ne leur faisons nul procès d’intention mais nous savons très bien ce qu’un homme politique peut faire et ce qu’il ne peut pas faire tant qu’il est dans les normes du système, ce qui reste le cas de Cameron et de Clegg.)

Cela est bien… Le “désordre”, divin ou électoral, ou les deux ensemble, a brisé la dictature du système de la communication dans le système britannique. La chose peut nous amener de plaisantes surprises et elle nous permet d’être fair-play et de proclamer : sacrés Britanniques ! Il faut leur reconnaître qu’ils s’arrangent toujours pour être le “modèle” de quelque chose, y compris de l’effondrement du système qu’ils ont tant et si longtemps aimé.


Mis en ligne le 14 mai 2010 à 11H57