Le chaos au galop

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Le chaos au galop

• La riposte iranienne a vu la mise en œuvre de missiles hypersoniques contre des cibles militaires essentiellement, et par conséquent elle a montré la fragilité et l’inefficacité du “dôme de fer” israélien contre ce type d’engins. • Surtout, elle a semblé montrer que les deux alliés (Iran et Hezbollah) pouvaient se remettre des coups portés contre eux et, par conséquent, entamer un conflit qui peut s’avérer très long et catastrophique. • En attendant, cette question de la crise israélienne intervient d’une façon assez contradictoire dans les présidentielles US.

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Tout le monde observait l’avancée des troupes israéliennes au Sud-Liban, ayant conclu que l’Iran était aussi KO que le Hezbollah. Des journalistes avaient déjà composé sa nécrologie, comme le note sarcastiquement Larry S. Johnson. Sans plaisanterie aucune, il s’avérait que la messe était dite, que la cause était attendue. C’est alors que l’Iran commença la nuit la plus longue : quelque chose comme quelque part entre les 182 missiles minutieusement comptabilités par Israël et les 300-400 missiles selon d’autres sources.

Les Iraniens précisèrent aussitôt qu’ils avaient notamment employé des missiles terre-terre hypersoniques ‘Fatteh-2 :

« L’Iran a déclaré avoir déployé son missile hypersonique Fatteh-2 lors de l’attaque de mardi, qui peut manœuvrer à une vitesse d’environ 16 000 kilomètres par heure. Les analystes affirment que les États-Unis auraient également du mal à réapprovisionner fréquemment le Dôme de fer d’Israël pendant un conflit prolongé. »

Larry Johnson a rassemblé quelques détails sur les circonstances de cette attaque, notamment sur la cause de ce qui paraît avoir été un cafouillage dans la décision de tirer. D’où l’on verrait alors que le nouveau président iranien Pezeshkian est en ce moment en train de faire son “apprentissage”, passant notamment par cette phase charmante où l’on croit encore aux affirmations et aux promesses que vous fait Washington.

« Les États-Unis ont involontairement orchestré cette attaque. Selon le président iranien Masoud Pezeshkian, on lui avait promis un cessez-le-feu en Palestine et des progrès vers une solution à deux États si l’Iran cessait ses tirs et ne punissait pas Israël pour avoir tué Haniyeh. Pezeshkian, qui s’est avéré incroyablement naïf, a gobé ces conneries et l’Iran n’a rien fait jusqu’à l’attaque terroriste israélienne et l’assassinat d’Hassan Nasrallah. Au moins Pezeshkian a eu le courage d’admettre qu’il s’était fait avoir et il s’avère qu’il apprend vite. Alors que la nuit tombait en Israël, l’Iran a lancé une attaque massive de missiles balistiques. »

Toutes les précautions avaient été prises au niveau de la communication, d’autant que l’Iran aurait averti Washington et Moscou de son attaque. Effectivement, les Israéliens ont évacué le personnel de certaines bases qui ont été attaquées. Il y aurait notamment la destruction d’un certain nombre de F-35 sur une base israélienne. Malgré cela, le porte-parole de l’IDF a affirmé que la plupart des missiles avaient été intercepté, tandis qu’une vidéo montre de façon évidente, par des explosions successives au point d’impact de missiles, qu’il n’en était rien. Effectivement, s’il y a eu des missiles hypersoniques, il se confirme évidemment que la défense antiaérienne israélienne est impuissante contre eux.

Différentes hypothèses sont avancées pour expliquer le comportement des USA et d’Israël dans cette occurrence. Nombre d’entre elles vont dans le sens d’une entente pour obliger l’Iran à créer des conditions qu’on présenterait ensuite comme des provocations “obligeant” les USA à entrer dans un conflit avec l’Iran.

D’autres sont d’un avis différent, sinon opposé, comme Johnson :

« Je pense que l’administration Biden cherche désespérément à éviter une guerre plus large entre Israël et l’Iran, de peur que le conflit ne torpille la campagne présidentielle de Kamala Harris. Je pense que nous avons atteint un point où Washington n’a plus aucun contrôle, à moins de couper toute aide à Israël. Je ne vois pas cela se produire. »

Nous pensons, pour notre part, que rien d’assuré ne peut être avancé et que seule la précision de Johnson selon laquelle Washington ne “contrôle” plus Israël est tout à fait acceptable sinon évidente. En contrepartie (!), on doit observer que la situation à Washington joue un très grand rôle dans la confusion du jugement où nous sommes, les États-Unis n’ayant plus de centre de commandement et chaque pouvoir au sein du système de la sécurité nationale jouant son propre jeu. Signature classique de la chose sur tweeterX :

« A GAUCHE (HIER) : Biden répond “non” lorsqu'on lui demande s'il déploiera davantage de troupes au Moyen-Orient.

» À DROITE (AUJOURD'HUI) : Le Pentagone annonce le déploiement de davantage de troupes au Moyen-Orient.

» Qui dirige le pays ? »

Quant à “l’incursion terrestre” des Israéliens au Liban, nous sommes fortement rassurés d’apprendre qu’elle soulève beaucoup moins d’indignation que celle de la Russie en Ukraine. La position des pays du bloc américaniste-occidentaliste est impeccablement aligné sur une narrative implacable et sans aucun pli,  qui pratique une sélectivité très efficace et sans le moindre embarras. Pour autant et pour ce qu’on peut savoir des réalités du brouillard de la guerre (‘fog of the war’), il semble que les combattants du Hezzbolah ont conservé leur discipline et leur âpreté au combat.

Oui, « Qui dirige le pays ? »

Bonne question, « Qui dirige le pays ? », car la crise israélo-n’importe qui (beaucoup de candidats à cette position), outre les dangers évidents de conflit extensif jusqu’au pire du pire, survient avec fracas au milieu de la campagne électorale américaniste et peut s’avérer décisive dans l’élection. Larry Johnson a observé que son aggravation pourrait mettre en péril le destin politique de Kamala Harris, si tant est qu’on puisse parler de “destin” à son propos. Ce n’est pas la seule question qui mérite d’être posée. Du côté de Trump, la situation est également très complexe et particulièrement intéressante par les différentes contradictions qu’elle met en évidence.

On sait que, pour beaucoup de ses partisans, surtout ceux, nombreux, qui le sont par défaut, par l’absence d’un meilleur candidat que lui et la nécessité absolue d’écarter le parti démocrate, Trump représente une occasion unique, – vraiment, la seule occasion pour l’instant, – de tenter de développer dans les actes une logique ennemie de la politiqueSystème et du DeepState... Pourtant, qu’y a-t-il de plus associé à la politiqueSystème et au DeepState qu’Israël et ses folles ambitions bibliques ?

Comme on l’a vu il y a deux jours, le vice-président J.D. Vance est un farouche partisan d’Israël, y compris de son actuelle politique de rechercher un affrontement avec l’Iran, si Netanyahou juge nécessaire de la suivre. Pour citer d’autres personnalités anti-interventionnistes fameuses réunies autour de Trump, Robert Kennedy Jr. et Tulsi Gabbard sont de fermes partisans d’Israël.

On voit que le problème est complexe et qu’il nous plonge dans un océan de contradictions. En effet, Kamala, avec toute son équipe de coaches et de montreurs de marionnettes, avec Biden, avec les démocrates, est nécessairement une fervente amie d’Israël, – du moins, elle est dans l’obligation de sembler l’être et de le paraître dans toutes les occasions possibles, surtout sans froisser la susceptibilité des Arabo-Américanistes, nombreux par exemple dans le Michigan. Elle ne peut donc attaquer le camp trumpiste de ce point de vue, et même elle doit se défendre contre des accusations de mollesse tant la nécessité d’être un fervent partisan d’Israël écrase de son impérative nécessité la situation politique aux USA, – pour quelle(s) raison(s) d’ailleurs, – il n’en manque pas autant que de thèses de la méthode qu’on nomme aujourd’hui “complotisme”.

En ce sens et tenant compte de ce faisceau d’obligations, il est vrai qu’on doit admettre que, du point de vue froidement cynique de la logique électoraliste, Trump manœuvre assez bien, et bien mieux que son vice-président dans tous les cas. Il a décidé de prendre la question israélienne au travers du prisme de la critique des démocrates au nom de la nécessité du maintien de la paix, notamment dans cette région du monde, pour éviter le pire pour tous. Trump est toujours égal à lui-même : sans réel intérêt pour quelques idéologie que ce soit, attaché aux seules réalités de l’intérêt immédiat et des restrictions de dépenses jugées à fonds perdus. Ce qu’il veut donc éviter, c’est à la fois un effet négatif sur certains de ses électeurs et une situation qui obligerait les USA à intervenir.

Ainsi a-t-il dit, lors de sa dernière sortie publique, puis repris sur un de ses comptes des réseaux sociaux, et cela sans vraiment se préoccuper de la réalité de ses diverses accusations :

« Il a accusé l’administration Biden de ne pas avoir réussi à contrôler l’Iran et a affirmé qu’il aurait fait un meilleur travail.

» Trump a affirmé que, sous sa présidence, Téhéran était “à court d’argent, totalement contenu et désespéré de conclure un accord”.

» “Kamala les a inondés d’argent américain et, depuis, ils exportent la terreur partout”, a-t-il ajouté.

» “La guerre ou la menace de guerre fait rage partout, et les deux incompétents qui dirigent ce pays nous conduisent au bord de la troisième guerre mondiale”, a déclaré Trump. Si les démocrates remportent les élections du mois prochain, “le monde partira en fumée”, a-t-il averti. »

La tactique de Trump, comme dans le cas de l’Ukraine, est la recherche de la paix, quels que soient les arguments. Dans les deux cas, il évite les questions délicates en se présentant comme le “faiseur de paix”, le maître du compromis et des accords délicats à élaborer entre deux adversaires. De cette façon et sous la pression terrible de la possibilité d’un affrontement nucléaire, Trump écarte l’immédiat qu’est le problème que pose sa position et celle de ses proches soutiens vis-à-vis d’Israël à une partie importante de son électorat potentiel. Par contre, il n’écarte pas, bien au contraire, la montée du chaos qu’entretiennent toutes ces contradictions. Mais pour Trump, certes, ce n’est pas un problème essentiel ; et pour nous, c’est l’avantage essentiel de Trump puisqu’il instrumente et alimente ce chaos au cœur du Système.


Mis en ligne le 2 octobre 2024 à 18H30