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678Effectivement, on en prend à son aise… C'est le cas lorsque des experts allemands et russes discutent, sans doute avec un laisser-faire officiel et intéressé, et tombent d’accord pour suggérer que la Russie et l’Allemagne pourraient faire équipe commune et proposer une médiation pour faire la paix en Libye. L’idée est rapportée le 5 avril 2011 par Novosti, qui rappelle, comme en passant, que l’Allemagne s’est abstenue de voter la résolution 1973 de l’ONU (celle sur laquelle s’est goulûment précipitée la France de Sarko pour lancer ses Rafale en Libye), aux côtés de la Russie, de la Chine et du Brésil, – trois pays du bloc BRIC.
«La Russie et l'Allemagne pourraient jouer le rôle des médiateurs entre les partisans du régime libyen de Mouammar Kadhafi et l'opposition, a déclaré mardi à Moscou Veniamin Popov, directeur du Centre russe pour le partenariat des civilisations. “Je considère que nous et nos collègues allemands avons des positions proches et que nous pourrions jouer le rôle de médiateurs”, a indiqué M.Popov lors d'un duplex Moscou-Berlin “Opération militaire en Libye”. […] “Il faut être logique, 10 ans de négociations valent mieux qu'un jour de guerre”, a souligné l'expert. Seule une discussion entre les parties en conflit peut préserver l'intégrité territoriale de la Libye, à son avis.
»“Nous ne souhaitons pas la désintégration de la Libye. Nous ne pouvons renoncer aux négociations dans une telle situation”, a pour sa part indiqué Harald Bock, secrétaire général de la Société germano-arabe. Selon Clemens Ronnefeldt, expert de l'antenne allemande du Mouvement international de la Réconciliation, la Russie et l'Allemagne pourraient œuvrer pour la réconciliation entre les parties en conflit et “empêcher l'application des doubles standards, consistant à soutenir une dictature à Bahreïn et à réaliser une opération militaire en Libye”.»
Ces déclarations sont intéressantes, d’autant qu’on peut être assuré qu’elles ne sont pas contradictoires des pensées et analyses de certains dirigeants allemands et des dirigeants russes en général. (L’hypothèse qu’Angela Merkel, par exemple, ne serait pas si mécontente de jouer à “son ami Sarko” un tour de cette façon, en préparant une entreprise de médiation en Libye, sorte de réponse de la bergère au berger après l’offensive sarkozyste du sommet européen, – cette hypothèse-là n’est pas sotte.) Selon l’expression consacrée, on pourrait avancer l’idée que ce compte-rendu d’entretiens entre experts donné par Novosti pourrait aussi bien ressembler à une sorte de ballon d’essai, essentiellement d’origine russe.
Par ailleurs, on observera son incontestable originalité, dans le schéma qu’il suggère par rapport aux positions et relations diverses des uns et des autres : un des grands pays de l’OTAN, incontestable membre du bloc américaniste-occidentaliste (BAO), à l’atlantisme sans reproche, s’acoquinant avec l’ex-ennemi russe devenu ami en période de probation, pour proposer une médiation dans une sorte de simili guerre humanitariste déclenchée par la coalition BHL-France-UK, avec les USA en soutien prudent, avec l’OTAN dirigeant désormais cette coalition du Bien, contre un colonel largement qualifié par divers grands alliés de l’OTAN de “dictateur sanguinaire” avec lequel on ne traite pas après qu’on ait beaucoup commercé avec lui. Par ailleurs (suite), on observera que les Turcs, également membres très puissants de l’OTAN, travaillent également dans ce sens d’une médiation de paix, au point où la suggestion des experts germano-russes pourrait être prolongée dans la suggestion d’un trio de médiateurs de poids, – Allemagne-Russie-Turquie, – appuyé par le Brésil pendant qu’on y est, éventuellement avec Chavez (le premier à proposer une médiation) en bandoulière… Pendant ce temps, les USA continuent à retirer leurs billes, de plus en plus lointains vis-à-vis du conflit ; le chat est fatigué, au point où l’on se demanderait s’il est encore un chat.
Derrière les diverses manœuvres géopolitiques et arrière-pensées politiques qu’on pourrait trouver à la formule, formant ainsi le quotidien de l’enquête sans fin sur la transversale du machiavélisme, on trouve une excellente illustration du désordre et de la confusion caractérisant l’éclatement des divers rassemblements internationaux, y compris à l’intérieur du bloc BAO. Les jugements officieux des diplomates français de l’école Sarkozy avaient considéré avec la plus grande satisfaction l’abstention des Russes (et des Chinois) à l’ONU, et avec la plus grande sévérité celle de l’Allemagne, soupçonnée de “trahison” et aussitôt identifiée comme complètement isolée dans la sacro sainte “communauté internationale”. (Dans une interview à Spiegel, BHL avait réglé son sort à l’Allemagne en donnant quelques consignes à Merkel : «Vous, [Allemands,] avez un mauvais ministre des affaires étrangères et il vous faut vous en débarrasser... Et l'Allemagne aura beaucoup de mal à satisfaire son ambition légitime d'avoir un siège permanent au conseil de sécurité de l'ONU.») Cette leçon de conduite de l’establishment des salons parisiens ne découragerait donc pas certains milieux en Allemagne de poursuivre dans cette voie, et, pas plus, de faire envisager par des canaux latéraux des initiatives qui s’inscriraient parfaitement dans le désordre ambiant, beaucoup plus que dans une interprétation de complot général.
…Cela permet de considérer avec surprise ces positions respectives des conjoints du “couple” franco-allemand, telles que cette hypothèse nous les restitue. C’est la France qui, conforme à sa tradition, devrait être à la place de l’Allemagne dans l’hypothèse envisagée, et éventuellement vice versa pour l’Allemagne, au moins pour le durcissement atlantiste et occidentaliste de la position occupée par la France. Bien que réputée être redevenue atlantiste avec Merkel, après l’“épisode” Schroeder deuxième mandat (2002-2005), l’Allemagne se retrouverait dans cette hypothèse dans une situation “à la française” que n’auraient désavoué ni Schroeder ni Chirac dans ses bons jours. D’une façon assez caractéristique du climat général, il n’a pas manqué de commentateurs français pour accuser l’Allemagne de “trahison” à cette occasion, une “trahison” qui aurait été étrangement celle de l’idée d’une Europe indépendante. Là encore, tout cela relève de la confusion et du désordre plus que de soi-disant complots, la médiocrité et le sens stratégique réduit aux sondages électoraux de Sarkozy, avec BHL en bandoulière, participant amplement de cette confusion et de ce désordre.
Un argument plus général, des pro-américanistes évidemment, est que la cause de ce désordre et de cette confusion doit être trouvée dans la réserve, voire le retrait US, qui prive l’Occident de son “parrain” seul capable d’ordonner la puissance américaniste-occidentaliste. L’argument est grotesque puisque, ces dernières années, c’est justement la présence US qui fut la cause principale de désarroi et de désordre. Il faut renverser la proposition. Le désarroi et le désordre sont aussi la cause de la réserve et du retrait US, dont les forces sont d’ailleurs épuisées après tant d’années de désarroi et de désordre alimentés par elles-mêmes. La conclusion est évidente : confusion et désordre sont aujourd’hui une donnée objective de la situation, conséquence de l’activisme déstructurant du bloc BAO qui a été retourné contre ce bloc BAO par les forces métahistoriques de plus en plus à l’œuvre.
Certes, “Le chat est fatigué, les souris swinguent”… Mais c’est la fatigue d’une psychologie épuisée et au bord de la dépression, et c’est un swing qui ressemble plutôt à une danse des fous.
Mis en ligne le 6 avril 2011 à 14H29