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26 novembre 2002 — Un jugement assez souvent rencontré était que le sommet de Prague serait, pour le chancelier Schröder, celui du réalignement (sur les USA). Cela n'a pas été le cas.
Jeudi, les Allemands s'étaient montrés extrêmement fermes à l'encontre des Américains. Vendredi, Schröder a fortement adouci cette position et la chose a aussitôt été perçue par la plupart des commentateurs, qui n'ont comme référence que la puissance américaine, comme un pas décisif vers le réalignement. Comme exemple de cette interprétation, on se référera à une analyse d'Associated Press du 22 novembre au soir
« German Chancellor Gerhard Schroeder on Friday softened his opposition to a war on Iraq after patching up with U.S. President George W. Bush at the NATO summit, making plain that Germany would serve as a staging area in any invasion to oust Saddam Hussein.
» Though Schroeder restated his refusal to commit German troops, his remarks contrasted with the strident anti-war stand that helped him win re-election in September and soured relations with Bush.
» As the summit ended, Schroeder spoke of “our American friends” and stopped short of repeating past arguments that attacking Iraq would be “a mistake,” inflaming the Middle East and sparking more terrorism.
» Asked by a reporter whether the United States could count on using crucial bases in Germany and German airspace in a war on Iraq, he said: “Of course we do not intend to limit our friends' freedom of movement.”
» Schroeder sidestepped the question in the past. But the return of U.N. weapons inspectors to Iraq and the Security Council's threat of “serious consequences” if Saddam fails to cooperate has put Germany on the spot. »
Ce type de compte-rendu renvoie aux habituels raisonnements inspirés par la rhétorique américaine, s'appuyant sur des situations anciennes. L'allégeance allemande aux USA, qu'elle soit de droite ou de gauche, était un fait acquis jusqu'alors parce que les Américains prenaient garde de ne pas mettre les dirigeants allemands en contradiction avec les principes qu'eux-mêmes, les Américains, avaient imposés à la république fédérale et à ses habitants depuis 1945-48. Ces principes sont articulés autour d'un point central, qui est la justification du recours aux armes seulement dans le cas ultime d'une agression de l'ennemi désigné. Ce que GW demande à l'Allemagne, depuis 9/11, c'est de soutenir une agression plus ou moins déguisée, voire d'y participer (c'est ainsi que les Allemands voient la guerre possible contre l'Irak). Confronté à la réalité de ce choix impossible lors d'élections qu'il allait perdre s'il n'y répondait pas, Schröder a été dans le sens qu'on sait. Depuis, lui-même n'étant pas revenu sur ses pas, le parti choisi s'est renforcé.
[L'Allemagne a également rechigné à envisager une participation à la Rapid Reaction Force, lors du sommet de Prague : « Defense Minister Peter Struck said Friday that Germany was reviewing its budget to see how it can contribute to a new 21,000-strong NATO rapid reaction force approved at the Prague summit. But Schroeder insisted that Germany, currently facing a budget crunch, has “limited resources” for the military. » Cette réticence est un autre signe de la distance actuelle de l'Allemagne vis-à-vis de Washington. Les Américains avaient exigé que Berlin s'engage à fond dans la force, comme une des conditions d'un rapprochement.]
Lorsque le chrétien-démocrate Edmund Stoiber accuse Schröder de se renier une fois de plus (Stoiber envisageant un peu vite que Schröder soutienne GW), lorsqu'il déclare sarcastiquement : « Now, he has to decide whom to cheat — his voters or (Germany's) allies, », — il fait un commentaire teintée d'irresponsable démagogique ou bien, peut-être, un commentaire pré-électoral (Stoiber ne cache pas son intention de faire rapidement tomber Schröder et de susciter de nouvelles élections). La question irakienne est devenue si sensible aujourd'hui en Allemagne que même Stoiber hésiterait à prendre une attitude radicalement différente de celle de Schröder, et radicalement favorable à la guerre. La nuance qu'il apporterait sans doute serait un complet alignement sur la position française (envisager de participer à la guerre si l'ONU décide la guerre).
Aujourd'hui, les Allemands sont de plus en plus en difficultés pour envisager leur habituelle politique pro-américaine. L'incident électoral de Schröder, c'est-à-dire sa décision anti-guerre pour se faire réélire, a déclenché un processus qui tend à inscrire dans la politique générale du pays, que la direction soit à droite ou à gauche, une position réellement d'hostilité à un conflit, tout comme, inversement, la nécessité de ce conflit s'inscrit de plus en plus structurellement dans la politique US. Peu nous importe ici qu'il y ait guerre ou pas, nous importe surtout qu'une opposition structurelle est en train de naître entre l'Allemagne et les USA. Le résultat complémentaire est un rapprochement allemand de la France, qui a une politique acceptable pour l'Allemagne, et parce que la France a toujours été l'alternative à l'alignement sur les USA de la politique de sécurité de l'Allemagne. (Mais cette alternative était surtout théorique. L'intéressant est qu'elle ne l'est plus.) Le rapprochement est très intéressant pour la France puisque celle-ci a, du fait des circonstances, une position prépondérante dans le couple.
Selon cette évolution, on ne doit pas s'étonner que Français et Allemands aient publié, le 21 novembre en marge du sommet de Prague, une déclaration commune sur la défense européenne, impliquant notamment des propositions dans ce domaine pour la Convention européenne. L'affaire est, notamment, clairement destinée à pousser les Britanniques vers leurs responsabilités en la matière (sont-ils européens ou non ?), notamment avec la proposition franco-allemande de l'extension du principe de la coopération renforcée à la PESD/Défense. Les Britanniques voient leur crédit européen, qui passe par la défense, continuer à se réduire à cause de leur engagement pro-US.