Le choix du KC-45 de l'USAF et la base industrielle US

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La critique contre le choix (Northrop Grumman et EADS) de l’USAF pour son programme KC-45 se précise et devient plus sophistiquée. Un exemple de cette évolution se trouve dans l’analyse de Martin Sieff pour UPI, du 24 mars.

L’intérêt de cette analyse est qu’elle déborde largement la question du programme KC-45, voire de Boeing versus Northrtop Grumman/EADS, pour embrasser la question plus fondamentale de la base industrielle US.

Sieff démarre d’un argument favorable au choix fait par l’USAF, selon lequel il ne serait pas mauvais que les Européens, ces grands alliés naturels des USA, aient eux aussi des capacités de production de systèmes stratégiques globaux. Dans ce cadre, pourquoi les USA ne s’y équiperaient-ils pas? Réponse immédiate: pas question...

«...at a time when the U.S. manufacturing base has been so heavily eroded in recent decades, first by Japan and the smaller East Asian industrial tigers, and then by China, losing such an important area of continuing U.S. high-tech global supremacy would have grave national repercussions.

»Also, supporters of the KC-45A deal with Northrop Grumman and the European Aeronautics Defence and Space Co. have neglected to note what the effects the gravitational power of $100 billion in added investment and revenues in aerospace will be on the U.S. and European aerospace industries.

»Boeing and its industry teammates may well be forced to lay off scores of thousands of their most valuable engineers, designers and technicians. Once lost, that kind of experience and expertise is almost impossible to reassemble again. And as we have repeatedly noted in previous columns, it is the accumulation of expertise concentrated in tens of thousands of scientists, engineers, technicians and skilled workers that is essential in ensuring efficient completion of ambitious high-tech programs on time and within budget.

»Boeing's own negative experience with the Future Intelligence Architecture program of next-generation intelligence, surveillance and reconnaissance satellites demonstrated the dangers of taking such work away from a company – in that case Lockheed Martin – that had decades of successful institutionalized experience with such systems, and giving it to another corporation that, however impressive and reliable its work was in its own areas of expertise, would have to develop that kind of institutionalized experience from scratch.

»In the case of the competing air tankers programs, it is Boeing that has now more than 50 years of successful maintenance and operating experience of such aircraft, and it is EADS that will have to learn these skills from scratch.

»Currently, the U.S. aerospace industry has only one-seventh of the employees it had a quarter century ago under President Ronald Reagan. By contrast, EADS will receive the resources to hire and train thousands more engineers and technicians. This one decision therefore would threaten to undermine the Bush administration's long-promised efforts to maintain and expand the traditional U.S. lead in global aerospace and high-tech industries.»

Considérée objectivement, du point de vue stratégique et des structures de la puissance, et sans appréciation politique fondamentale, l’argument de Martin Sieff a la logique pour lui. Il s'appuie même sur des faits concrets solides, comme le constat d'une perte de capacités technologiques de Boeing dans une compétition interne US.

L'argument concerne l’essentiel de la puissance industrielle, le coeur de ce qu’est une base industrielle et une “base technologique”. Il constitue évidemment un argument pour un marché de défense/haute technologie auto-suffisant, avec les capacités souveraines de produire tous les systèmes essentiels à la sécurité stratégique. Il forme la logique même d’une fin de non-recevoir de toute idée de coopération (transatlantique ou autre), d’une façon sans aucun doute séduisante pour nombre de parlementaires US. Sieff parle là du fondement de la puissance des USA, par ailleurs assez diminué dans nombre de domaines pour également envisager de laisser le domaine de la base industrielle s’éroder encore plus qu’il n’a fait. (Sieff ajoute également l’argument des emplois à créer aux USA à l’occasion de ce contrat, argument qui va devenir de plus en plus fort à mesure que la crise économique va s’amplifier.)

Bien entendu, cet argument est, à l’inverse, un argument évident pour une autonomie européenne en matière industrielle et de défense. Il propose tous les arguments fondamentaux pour un Buy American Act renforcé et, de l'autre côté, pour un Buy European Act (“préférence européenne”) à créer de toutes pièces en Europe. C’est autour de cette question générale que le débat ouvert par le choix du programme KC-45 va se développer aux USA. Cela pourrait être l’occasion d’une démarche similaire en Europe.

S'ils n'ont pas froid aux yeux, ce qui reste encore à démontrer, les Français devraient s'emparer de la question de “la préférence européenne” durant leur présidence de l'UE. Ils pourraient ainsi jouer avec deux fers au feu: en faire aussi bien un argument pour une intégration industrielle et technologique européenne qu'un moyen de riposte contre les USA si, comme c'est bien probable, le contrat des KC-45 est attaqué et remis en cause à Washington. Dans ce genre de situation, il ne faut surtout pas espérer pour entreprendre. Le fait même de poser officiellement le problème au moment d'une telle polémique (le programme KC-45) ne peut avoir que de bons résultats puisque cela sémerait le trouble chez ceux qui veulent protéger le statu quo (c'est-à-dire une coopération transatlantique affirmée et jamais réalisée).


Mis en ligne le 26 mars 2008 à 13H40