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41929 mai 2007 — Embarrassant, indeed. Embarrassant pour Tony Blair, pour Merkel et son G-8, pour tous les alliés, éventuellement pour Sarkozy. Depuis samedi dernier, la fuite (venue de Greenpeace) d’un document interne aux pays du G8 qui négocient un accord sur la crise climatique pour le sommet des 6-8 juin en Allemagne met en évidence les désaccords entre les USA et le reste (même si la Russie, la Chine et l’Inde ont une certaine proximité de certaines positions US). Le même jour , samedi, et parmi d’autres (le Daily Telegraph), le Guardian, le Financial Times et le New York Times présentaient le “mémo” du 14 mai, souligné et barré à l’encre rouge, avec un commentaire qui ne s’embarrasse pas de finesse diplomatique…
Selon le Guardian, à propos de ce mémo proposant un “avant-papier” du communiqué du G-8 concocté par les Allemands et revenu bardé de commentaires US: «“This document is called FINAL but we never agreed to any of the climate language present in the document ... We have tried to ‘tread lightly’ but there is only so far we can go given our fundamental opposition to the German position,” it says.
»The tone is blunt, with whole pages of the draft crossed out and even the mildest statements about confirming previous agreements rejected. “The proposals within the sections titled ‘Fighting Climate Change’ and ‘Carbon Markets’ are fundamentally incompatible with the President's approach to climate change,” says another red-ink comment.»
Le pauvre Tony Blair, ou bien Tony Blair toujours satisfait, continuait à improviser autour de l’argument de sa romance favorite et exclusive de son influence fondamentale sur les USA quand la nouvelle de la position US a été connue. La pauvreté intellectuelle et l’arrangement purement virtualiste caractérisant l’aventure politique du futur-ancien Premier ministre, toujours célébré par nos commentateurs pour son brio et son habileté politique, continuent à être régulièrement démontrés dans l’indifférence générale : «Despite Tony Blair's declaration on Thursday that Washington would sign up to “at least the beginnings” of action to cut carbon emissions, a note attached to a draft document circulated by Germany says the US is “fundamentally opposed” to the proposals.»
D’une façon plus générale, Washington pose à ses amis qui sont aussi les amis de la globalisation l’habituel problème de son irresponsabilité et d’une politique erratique conduite en général par la rancœur, la frustration de ses échecs et le kidnapping général de sa politique par les mécanismes systémiques et bureaucratiques. Les amis n’aiment pas cette sorte de problème. La réaction de Washington est une mauvaise surprise, tant Merkel avait pris la précaution de contacts préliminaires pour s’assurer d’un soutien minimal de Washington. Le soutien minimal avait été accordé en principe. C’était compter sans le désordre washingtonien qui donne des accords de principe et les remet en cause lorsqu’on en vient à la substance des problèmes (“The devil is in the detail”), — mais l’accord de principe vient du pouvoir politique et la remise en cause de la toute-puissante bureaucratie. La réaction washingtonienne, qui est un tournant à 180° par rapport aux attentes transatlantiques, est celle d’une politique dont l’élaboration n’est plus contrôlée. Mais, dans le cas qui nous occupe, la substance du problème (voir plus loin) est du plus grand intérêt dans la mesure où cette politique révisée par les pressions bureaucratiques et une fois débarrassée des tentatives tactiques et temporaires d’accommodement avec les alliés, correspond aux tendances américanistes fondamentales. Pour cette raison, il sera difficile de l’écarter.
Voici le résultat immédiat de ce désordre…
• Le Guardian, déjà cité : «This is embarrassing for Mr Blair, who said on Thursday with some confidence that the US was moderating its position on climate change as the summit approached. Before visiting the White House this month, the prime minister suggested that he was close to persuading George Bush to accept the establishment of carbon trading schemes, one of five main proposals drawn up ahead of the G8. But Washington rejected the sections on carbon trading, saying to back trading schemes would imply acceptance of emission caps.
»A diplomatic source said the German EU presidency and the US government appeared now so far apart it was hard to see how negotiators could reach anything other than a meaningless agreement in Heiligendamm in just under two weeks.»
• Le Financial Times de samedi dernier : «Political tensions between the US and Germany over climate change have worsened sharply, with Washington threatening to no longer “tread lightly” in negotiations on global warming ahead of the Group of Eight rich nations' summit next month. […]
»Diplomats said the US outburst confirms that a substantial deal on climate change is no longer possible at the summit, despite the months of diplomatic pressure from Berlin.
»The strains in German-US relations ahead of the June 6-8 summit, to be attended by US President George W. Bush, are also likely to make it tougher for Ms Merkel to achieve progress in other sensitive fields, such as the stalled world trade talks.»
• Le New York Times du même 26 mai : «The United States has rejected Germany’s proposal for deep long-term cuts in greenhouse gas emissions, setting the stage for a battle that will pit President Bush against his European allies at next month’s meeting of the world’s richest countries.
»In unusually harsh language… [...]
»The push back by the Bush administration over the German proposal has left many European diplomats furious. “The United States, on this issue, is virtually isolated,” one European diplomat said on condition of anonymity under diplomatic rules, and then added, “with the exception of other big polluters.”
»Both Ms. Merkel and Prime Minister Tony Blair of Britain have, in private talks with President Bush, pushed for the United States to agree to the European proposal. Mr. Blair, whose approval ratings in Britain have suffered enormously because of his close association with Mr. Bush and the war in Iraq, in particular would like to be able to demonstrate that he was able to extract something from America for his trouble.
»Kristen A. Hellmer, a spokeswoman for the White House on environmental issues, said: “All the G-8 countries are committed to pursuing an agreement. We just come at it from different perspectives.”
»A clearly disappointed Ms. Merkel, speaking to Germany’s lower house of Parliament on Thursday, sought to lower expectations that Mr. Bush would agree to the more ambitious agenda sought by Europe and Japan. “I can say quite openly that, today, I don’t know whether we will succeed in that at Heiligendamm,” she said.»
Dimanche 27 mai, l’appréciation générale de la situation des négociations était bien illustrée par une analyse d’AFP. On y lisait notamment ceci :
«Sources close to negotiations told AFP the US amendments seek to remove any idea of an urgent problem of climate change requiring a firm international response.
»“The preliminary sessions clearly indicate the American desire to minimalise (the draft),” said one European diplomatic source.
»The US was refusing to take account of findings by an Intergovernmental Group of Experts on Climate Change, whose latest conclusions have been used by the Germans in their draft climate statement, the source said.
»“I can't remember any major international climate meeting with that kind of complete divergence of views,” said Phil Clapp, head of the National Environment Trust in Washington.
»“There is a fundamental disagreement between the EU and the Bush administration positions. It's hard to see how governments could sign the sort of statement that Washington wants.”
»Clapp added that “at this point we don't see signs that the (Bush) administration will change its position... and as a matter of fact the signs go in exactly the opposite direction.”»
Le G-8 qui, une fois de plus, se devait d’être un triomphe pour l’organisateur (l’Allemande Merkel), tant aujourd’hui la grandeur politique se mesure aux capacités d’organisation des sommets, menace, une fois de plus, d’être un désastre. Désormais, le monde occidental va se plonger dans l’habituel exercice de “damage control”: comment paraître unis plus que jamais, selon le catéchisme occidental, alors que l’on n’est d’accord sur rien de l’essentiel? L’issue possible (probable?) serait un exercice en communication (séances photos encombrées de sourires et d’accolades) et un communiqué édulcoré jusqu’à l’os. Inutile d’ajouter que, pendant ce temps, les problèmes non traités s’aggravent. C’est une pente connue ; ce n’est pourtant pas une pente assurée.
Mais il y a plus dans le cas qui nous occupe. Jamais n’est autant apparu le clivage entre les conceptions US et les conceptions européennes sur la forme même de l’action envisagée. Ce clivage ne porte plus sur la réalité de la crise climatique, ni même sur la recherche de la cause (activités humaines ou pas? Dans quelles mesures? Etc.), — l’une et l’autre qui sont politiquement des problèmes secondaires, — mais sur la forme de la lutte contre cette crise. La chose est résumée par cette remarque, extraite du même texte d’AFP du 27 mai : «“These latest proposals display a complete absence of reconciliation between the American technological approach and that of the EU,” said the diplomatic source. “And all this despite appeals by major American companies and Republican Party personalities like Arnold Schwarzenegger.”»
Plusieurs années d’obstruction systématique aux efforts de réduction des émissions de CO2 de l’administration GW Bush, sans savoir vraiment pour quelle raison malgré le soutien hautement dialectique d’Exxon et de Total pour l’explication, aboutissent à un étrange résultat. Nous retrouvons les grandes tendances fondatrices, avec les USA suivant comme politique la confiance exclusive faite aux technologies de réduction des émissions. Les Européens (et le reste du monde, mais sans conviction très formée), par contre, tendent à choisir les voies plus classiques du contrôle et de la modification des activités économiques (sans exclure les technologies). La poussée populaire est très forte à cet égard, liée aussi bien au sentiment de l’urgence qu’au sens d’une appréciation générale très spécifique. Il s’agit de bien plus que d’une question de choix tactique des moyens de lutte, il s’agit d’une question de fondement. Pour les USA, la question est purement économique tandis que pour l’Europe, elle tend à être beaucoup plus générale et doit être également considérée dans sa problématique environnementale (destruction de l’environnement, évaluation des nécessités économiques contre les nécessités de l’évolution du cadre de vie et de la protection de l’environnement de la nature).
Dans ce cas, l’administration US se trouve en complet accord avec les conceptions américanistes classiques. Elle s’appuie sur deux conceptions fondamentales : le refus de l’intervention gouvernementale dans l’évolution de l’économie dès lors qu’il s’agit de lui imposer des contraintes; la confiance totale dans le progrès technique sous la forme de la confiance faite aux technologies pour réduire les émissions. La mésentente dépasse largement le seul problème traité et touche effectivement les fondements de la conception du monde : la place centrale et exclusive ou pas de l’économie dans l’évolution générale ; le degré de croyance dans le progrès et le refus des enseignements de la réalité dans la perspective historique au profit de la croyance du triomphe vertueux du progrès. Il n’est pas assuré qu’une future administration, même si elle est désireuse d’accélérer la lutte contre les émissions de CO2, puisse choisir une autre voie que cette perception américaniste du problème. L’exécutif est affaibli par les luttes politiques internes et la voie actuelle reflète le sentiment dominant d’une bureaucratie gouvernée par les grands engagements américanistes. De ce point de vue, la philosophie de la position vis-à-vis du global warning est la même que celle de la “lutte contre la terreur” telle que l’avait définie Donald Rumsfeld le 28 septembre 2001 : la défense de l’American way of life.
Le paradoxe se trouve dans la position “localiste” des pouvoirs des Etats et des grandes villes US, où la poussée est de plus en plus forte pour une réduction par tous les moyens. A ce niveau, l’urgence des situations locales (et la pression populaire qui l’accompagne) est la plus forte. L’essentiel n’est plus dans la façon de lutter contre la crise climatique en préservant l’American way of life, mais dans l’urgence de cette lutte par rapport aux réalités de la situation environnementale. Les Etats et les villes qui ont choisi de s’engager d’eux-mêmes dans cette lutte se trouvent en contradiction directe avec le pouvoir central, comme dans le cas du gouverneur de Californie Schwarzenegger qui menace d’assigner en justice l’Environmental Protection Agency (EPA) le 25 octobre si celle-ci ne lève pas ses restrictions sur l’action à mener contre la dégradation de l’environnement.
Dans tous les cas, on mesure la dimension politique de plus en plus importante de la lutte contre la crise climatique. Cette orientation ne peut que se renforcer et à mesure de la perception de l’aggravation de la situation environnementale.
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