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342Nous revenons sur l’annonce de cette transaction formidable d’armements entre les USA et l’Arabie Saoudite, selon la présentation qu’en fait Tom Engelhardt (voir Ouverture libre de ce 20 septembre 2010). Engelhardt considère ce marché (cette série de marchés) comme une façon de sauver l’industrie US d’armement, comme la Chine sauve le trésor US avec ses bons du trésor, – et Engelhardt aurait dû ajouter : comme le trésor a sauvé Wal Street à coup de $trillions («Fortunately, there was a simpatico country rich enough to bail us out. I’m referring to Saudi Arabia, which is now doing for U.S. arms what the Chinese have long done for U.S. Treasury bills.») L’interprétation d’Engelhardt nous apparaît à la fois juste et intéressante, et c’est à ce propos que nous voudrions développer une réflexion.
@PAYANT Engelhardt, effectivement, ne mentionne pas Wall Street sauvé par le trésor US, et c’est pourtant là que l’analogie est la plus évidente dans sa ligne de raisonnement. L’Arabie se substitue au Pentagone pour “sauver” l’industrie US d’armement, la branche “industrielle” du complexe militaro-industriel (CMI). Qui pourrait croire l’industrie US d’armement en danger, elle qui reçoit autour de $100 milliards de commandes du Pentagone par an, et – mise à part la commande saoudienne, – autour de $50-$70 milliards de commandes étrangères, également par an ? C’est simplement parce que cette industrie souffre du même mal que le Pentagone : plus elle reçoit d’argent, plus elle est en position instable, même si ses actionnaires en profitent à mesure (ou “parce que” pour une part). De ce point de vue aussi, et d’une façon logique puisque l’industrie est génétiquement un appendice du Pentagone, plus l’industrie reçoit d’argent plus son déséquilibre et le risque d’effondrement s’accroissent. On dira alors : la (les) commande(s) saoudienne(s) ne va (vont) rien changer dans le sens de la sauvegarde de l'industrie ? Non seulement cela, mais nous dirions qu’elles vont aggraver les choses ; nous sommes engagés dans une “course en avant”, et il ne fait pas demander à ces industriels au front bas et au regard de bœuf, à l’image de leurs compatriotes bureaucrates du Pentagone, d’essayer de comprendre une situation autrement que par l’hystérie quantitative du toujours plus et encore toujours plus.
Comme le Pentagone, l’industrie d’armement US est engagée dans un processus d’hyper-développement du technologisme le plus avancé. Ce processus, conforme à l’évolution du système du technologisme, est devenu le plus destructeur possible à la fois par la paralysie qu’il impose du passage vers le mode opératoire (et donc la production) sinon à des coûts paranoïaques et pour un fonctionnement complètement aléatoire, et par la recherche forcenée de technologies toujours plus avancées et formidablement coûteuses, remplacées par d’autres encore plus avancées et coûteuses avant même d’être rentabilisées, voire intégrées opérationnellement. Tout cela s’opère dans un cadre incroyablement bureaucratisé, soumis à toutes les corruptions possibles, à commencer par la corruption psychologique impliquant les évaluations faussaires, des coordinations trompeuses, etc., et un cadre où le gaspillage est devenu une règle centrale de travail. Là-dessus, puisqu’on est dans une industrie US, il y a les charges financières des directions et les exigences pharaoniques des actionnaires, qui veulent 15% à 20% de profit par an. Cela signifie que plus ces industries deviennent “too big to fall”, plus la crainte progresse de les voir s’écrouler comme de vulgaire méga-banques de Wall Street.
C’est qu’en plus la panique règne. On parle en effet de réduction de l’augmentation du budget du Pentagone, voire de stabilisation d’un budget qui, bon an mal an, forme une nébuleuse de $1.200 milliards par an. Perspective insoutenable (sans parler des fous du Congrès, type Frank-Paul, qui voudraient de vraies réductions). Pour les industriels de l’armement, ces perspectives représentent une vision de calamité, dès lors qu’il n’est plus question de progresser d’au moins 5%-10% annuellement dans les budgets publics, – c’est-à-dire les subventions du gouvernements pour une bonne part de ces budgets.
Effectivement, à cette lumière, les méga-commandes de l’Arabie, présentées pompeusement comme la mise en place d’un dispositif contre la menace du siècle, – l’Iran, pour ne pas le nommer, – représentent effectivement ce qu’en dit Engelhardt : un “bail out” de l’industrie d’armement US. On pourrait comparer le cas de la situation actuelle, en insistant sur la gravité beaucoup plus grande de la situation, avec menace d’effondrement, avec la commande, alors “méga-commande” aux normes du temps, de $19 milliards transformés (on ne sait plus exactement) en $25-$30 milliards, de l’Arabie aux USA en septembre 1990. A cette époque, la narrative avait un petit fond de crédibilité, puisque l’Irak avait envahi le Koweit, menaçait les champs pétrolifères d’Arabie, et avait provoqué le début d’un engagement effectif des forces US préparant la guerre de janvier 1991. (Aujourd’hui, comparé à ce précédent, la narrative de la menace iranienne est vraiment une fable pour enfants sages et humoristes adultes.) Il y avait une similitude puisqu’on était dans un temps où l’on craignait une réduction massive des commandes du Pentagone avec l’effondrement de l’ennemi soviétique, et les conséquences à prévoir au niveau de budget du Pentagone. (Tout de même, tout cela fut contenu au-delà de toutes espérance puisqu’on annonçait à l’époque un budget du Pentagone autour de $190 milliard en 1999 et qu’on aboutit à $325 milliards en réalité.)
L’Arabe Saoudite tient donc plus que jamais son rôle traditionnel de soutien extérieur de l’industrie d’armement US. Cela est évidemment assorti d’engagements secrets, du type secret de Polichinelle, du renouvellement d’un engagement US de soutenir militairement l’Arabie contre l’invasion, dont tout le monde sait qu’elle menace chaque jour un peu plus, de l’Arabie par l’Iran. Tout cela est consternant de banalité virtualiste, et l’on se demande qui croit encore à quoi, ou bien plus simplement si quelqu’un, dans cette bouillie pour les chats, se préoccupe de croire encore à quelque chose. Il nous semble que nous sommes dans le domaine des décisions-réflexes, par des directions (surtout saoudiennes) terrorisées comme à l’habitude par tout ce qui bouge et même qui ne bouge pas, y compris l'Iran, et des directions (surtout américanistes) dont la diplomatie est totalement phagocytée par le système du technologisme (la quincaillerie faisant office de pensée haute et philosophique, sinon métaphysique). La brillante intelligence de BHO n’a pas résisté à la chose.
Notre conclusion de ce rapide propos sera donc paradoxalement très pessimiste. Le méga-marché, qui dépasse celui des contrats Yamamah de BAE avec l’Arabie et n’a rien à voir avec eux (le montage britannique fondé sur la corruption absolue constituait plutôt une rente viagère pour BAE et l’establishment britannique), indique plutôt une perception et une psychologie absolument paniquées de la part des industries US du CMI. Avec les caractères qu’on a détaillés ci-dessus, et en plus avec l’un ou l’autre chat crevé du type JSF, cette industrie monstrueuse et colossale nous paraît embarquée vers des eaux bien dangereuses, contrairement à ce que croient les cervelles de moineau des traders de Wall Street à l'annonce de la commande saoudienne. C’est pas le haut, par la marée des commandes intenables et qui renforcent les processus auti-prédateurs et auto-suicidaires du système, que l’effondrement progresse et accomplit ses fureurs prévisibles. L’industrie d’armement devrait être partie prenante de ce qu’on nomme le “coming crash” du Pentagone, qui reste plus que jamais d’actualité.
Mis en ligne le 20 février 2010 à 06H40