Le colonel (avec le Christ) contre son général

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Le colonel (avec le Christ) contre son général

Le cas du colonel (lieutenant-colonel) de l’US Army Matthew Dooley est intéressant, comme nombre de choses qui surviennent aujourd’hui dans les cadres paraissant les plus établis et les plus solides. Le colonel Dooley, officier d’active de l’US Army, menace d’assigner devant la justice son chef d’état-major général, le général Martin Dempsey.

Dooley a été relevé de ses fonctions le 21 avril, pour non conformité des cours qu’il donnait au Joint Forces Staff College, à Norfolk. Le contenu de son enseignement était violemment anti-islamique et allait jusqu’à suggérer, non seulement que les USA faisaient face à une guerre totale menée contre eux par l’Islam, mais que l’extermination de masse pouvait être envisagée pour lutter contre l’Islam. (Références faites aux bombardements de Dresde et d’Hiroshima, cas où les forces armées furent spécifiquement et exclusivement employées contre des objectifs civils, tuant par centaines de milliers des civils non impliqués dans les combats ni dans toute autre forme d’action de guerre.)

Le 21 septembre 2012, Russia Today a donné un résumé et des extraits divers de l’enseignement que donnait le colonel Dooley à Norfolk. Les thèses s’apparentent directement à celles de l’extrême droite évangéliste, et sont directement parentes de celles du fameux pasteur Jones ou bien du très récent et fameux film Innocent Muslims. Cerise sur le gâteau, diverses allusions à la thèse “BHO musulman” bien connue et fort utilisée dans les mêmes milieux.

«During his lectures, Dooley spoke of Islam being reduced to cult status, Mecca and Medina being destroyed, and Saudi Arabia being brought to starvation. Some of the material used in the class suggested that US President Barack Obama is a Muslim. It further instructed that there is no such thing as “moderate Islam.”

»Documents used in the lectures show that Dooley insisted the US must engage in a “total war” against Islam to protect the United States. When speaking about Muslims, Dooley said, “A staggering 140 million people…hate everything you stand for and will never coexist with you, unless you submit [to Islam].” He also cited Hiroshima, Nagasaki and Dresden as examples of “taking war to civilian population wherever necessary.”

»Several of Dooley’s students, who were all military servicemen, brought the material to his superiors at the college. They consequently ended the course and suspended Dooley.»

Le site Danger Room développer largement ce 21 septembre 2012 le cas du colonel Dooley qu’il avait déjà signalé le 24 avril 2012, trois jours après la sanction prise contre Dooley, et assortissant la nouvelle du constat que des orientations très fortement anti-islamistes marquaient bien des aspects de l’enseignement donné à l’US Army. L’initiative de Dooley contre le général Dempsey, dont on ignore encore si elle est concrétisée sous la forme d’une plainte officielle, est développée par un cabinet d'avocats célèbre dans la défense de telles causes puisque c’est lui qui représente le fameux révérend Jones. Cette action, ou projet d’action juridique, devrait être accompagnée d’une offensive de relations publiques formidable de la part des milieux de droite évangéliste et autres, et en général de tous les milieux anti-islamistes aux USA, – dans tous les cas tel qu’on voit la chose se dessiner.

«But Dooley’s lawyers, who have defended one of the most prominent anti-Islam voices in the United States, aren’t just flirting with legal action against the chairman of the Joint Chiefs. They’re launching a PR strike as well. A press release announcing that Dooley has retained them accuses Dempsey of compromising “the final bastion of America’s defense against Islamic jihad and sharia, the Pentagon” to “the enemy.” And it’s language that comes as Americans worry about Islamic radicals targeting U.S. embassies in the Middle East. […]

»Dooley’s attorneys, at the Michigan-based Thomas More Law Center, have been sympathetic to such arguments. They’ve defended the Florida Pastor Terry Jones, whose burning of the Koran prompted violent protests in Afghanistan last year. They didn’t return Danger Room’s calls, but they’re portraying Dooley as another free-speech martyr. “Rather than thinking and acting bravely, PC’er’s [sic] strike at our cherished First Amendment in a vain hope of buying friendship with a force we still do not understand that neither respects us nor appreciates civility,” reads a statement from the Center.

»The press release goes on to blast Dempsey for “personally attack[ing] LTC Dooley, a subordinate Army officer who honorably served our Nation.” That “prejudicial public statement” about the content of Dooley’s course determined the contours of a then-ongoing investigation Dempsey had ordered into the class, the Center argues: “[H]ow then could LTC Dooley ever be given a fair and impartial inquiry following the command influence from the nation’s highest members of the military chain of command?”

»The Law Center also accuses Dempsey of capitulation to radical Islam. Its press release quotes a former CIA agent named Claire Lopez saying: “The final bastion of America’s defense against Islamic jihad and sharia, the Pentagon, fell to the enemy in April 2012, with the issuance of a letter from General Martin E. Dempsey, Chairman of the Joint Chiefs of Staff, re-issuing his earlier order that all Department of Defense (DoD) course content be scrubbed to ensure no lingering remnant of disrespect to Islam.” Dempsey and Defense Secretary Leon Panetta have “acquiesced to a Muslim Brotherhood takeover of U.S. military education,” the press release states.

»It’s worth noting that Dempsey recently asked Pastor Terry Jones to rescind his support for The Innocence of Muslims video. That phone call came after the U.S. embassy in Egypt came under attack last week, ostensibly by people angered by the video. At practically the same time, the U.S. consulate in Benghazi, Libya, was assaulted, killing four U.S. nationals, in what the Obama administration is now calling a terrorist attack. Islamic radicals and their anti-Islamic critics are citing one another as justification for their shared belief that the two cultures are irreconcilable…»

Nous nous attacherons moins, sans aucun doute, aussi bien au contenu de l’enseignement du colonel Dooley qui lui a valu d’être relevé de son poste d’enseignant que des attaques contre le général Dempsey, pour en venir à ce qui nous semble l’essentiel. Une telle occurrence d’un officier d’active manifestant l’intention d’attaquer en justice le général chef d’état-major suprême, pour le motif aussi grave d’une véritable trahison des intérêts de sécurité nationale, sinon de l’intégrité de la nation, est un cas rarissime pour ne pas dire sans précédent. Il s’agit de la mise en cause fondamentale du principe d’autorité autant que de la légitimité de celui, de ceux, par extension, qui en ont la garde et qui ont le pouvoir de son application. Dans une organisation aussi structurée que l’armée, et aussi dépendante à la fois du principe d’autorité et de la légitimité de ses chefs, c’est une affaire d’une gravité extrême, potentielle pour l’instant, effective si la plainte est déposée. La question n’est pas celle d’un rapport de force (savoir ce que représente Dooley, quelles “forces” il représente au sein de l’armée), d’autant moins d’ailleurs que la structure d’une armée comme celle des USA ne saurait évidemment dépendre d’un rapport de forces internes. La question est bien celle de l’attaque de la forme principielle (l’autorité et sa légitimité).

Ainsi voit-on qu’au cœur même du Système surgissent des cas d’affrontement qui, en mettant implicitement en cause la question du principe qui est par essence un domaine privilégié de l’attaque du Système, attaquent l’une des structures essentielles du Système. C’est une situation évidente d’autodestruction avec les contradictions qui s’y rapportent, avec des tendances antiSystème se manifestant dans des situations paradoxales, au cœur de cette “structure essentielle du Système”. C’est un cas également remarquable de la perte du sens des nécessités structurelles et de cohésion au sein du Système.

A ce point de l’analyse, on est conduit à en venir au contenu de cette affaire, parce que ce contenu, avec les passions qui s’y rattachent, les attitudes psychologiques d’inculpabilité qui sont suivies, se révèle comme une formidable charge explosive à l’intérieur du Système. Il s’agit bien entendu de la pression anti-islamique qui s’exerce à partir de segments de la droite extrême, des religieux évangélistes, des radicaux extrémistes type néoconservateurs, et qui alimentent autant qu’ils sont alimentés, depuis des années, par les narrative diverses autour de la Guerre contre la Terreur, le “choc des civilisations“, le terrorisme, la démocratisation du Moyen-Orient, les caractères dénoncés de l’islamisme dit-extrémiste et s’étendant à l’islamisme lui-même, en général ; tout cela, avec des variations de politique conduisant les USA à désigner les extrémistes musulmans comme des ennemis sans retour puis à en faire leurs alliés objectifs selon les circonstances.

L’intérêt n’est pas ici de montrer les contradictions politiques, ou bien les machinations et manipulations diverses, mais bien d’apprécier l’effet d’incohérence sur les psychologies autant que l’effet dissolvant sur les structures du Système. D’un point de vue concret, il s’agit d’en enchaînement classique d’autodestruction, déstructuration-dissolution. Contre cela, la défense du Système, ou des directions politiques qui voudraient protéger une cohésion du Système, est extrêmement faible et continuellement autodestructrice. Le Système et les directions politiques alimentent eux-mêmes la notion de l'islamisme en tant qu’ennemi, très vite transformé par le système de la communication en ennemi absolu, avec des occurrences successives où l’islamisme devient allié, ou encore des occurrences où la défense de la liberté de parole et de critique est un dogme absolu, ou d’autres occurrences encore où il faudrait limiter d’une façon draconienne cette liberté pour éviter des prolongements politiques et d’autres troubles fâcheux, etc. Le système et les directions politiques sont pris, face à ces attaques déstructurantes et dissolvantes de l’intérieur du Système, dans les contradictions entre leurs divers dogmes affirmés impérativement.

…Il faut dire que le cas de la religion, tel qu’il est pratiqué, avec l’extrémisme dans tous les sens et de toutes les façons, l’exacerbation des psychologies, les passions et les manipulations diverses, les effets formidables d’amplification du système de la communication, est un moteur parfait d’installation de “la discorde chez l’ennemi”. Cette fois, nous sommes sur une voie royale, depuis l’affaire du film Innocence of the Muslims et la crise considérable qu'elle a déclenchée… Il est évident que si cette crise n’avait pas éclaté, avec ses multiples effets, il n’y aurait pas eu d’affaire Dooley dans sa phase actuelle, tant on comprend bien que la menace extraordinaire de plainte contre le général Dempsey se place impérativement dans ce contexte où toutes les autorités, – militaires, civiles, religieuses, etc., – se trouvent dans des situation impossibles de contradictions diverses. On en profite donc, ce qui accroît le chaos. L’armée US n’est pas épargnée, certainement chez certains cadres intermédiaires, parce qu’elle pourrait trouver dans cette sorte d’agitation une revanche contre diverses aventures d’infortune. Il est évident que si toute la population irakienne avait été liquidée, selon les prescriptions de Dooley, nul ne pourrait contester que la guerre en Irak est une victoire US… Il est d’ailleurs possible que le cas Dooley fasse des émules, accentuant le sympathique désordre qu’on décrit. (A noter que Dooley donnait ses cours au collège du Joint Forces staff, qui alimente notamment le JSOC qui contrôle les forces spéciales interarmes, grande unité spécifique créée dans la situation post-9/11, et dont la réputation ne se prive pas de références historiques telles que les Chevaliers de Malte ou les Croisades [voir le 19 janvier 2011].)


Mis en ligne le 22 septembre 2012 à 15H56