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209322 septembre 2016 – “En marge des ‘lambeaux de libéraux’”, aurais-je pu également titrer... Ma main gauche ignorant ce que fait ma main droite, et vice-versa, je peux me permettre de développer une note marginale au texte du 21 septembre sur les « Libéraux en lambeaux », en Russie certes. Il s’agit d’un aspect qui paraît intéressant à la main droite et que la main gauche (ou vice-versa) a laissé de côté ; bref, un complément “à la marge”, mais pas inintéressant, je trouve. La question ou les questions est/sont celle(s)-ci : puisque le Carnegie Moscow Center, dont fait partie Volkov, est une antenne incontestable d’un des principaux think tanks washingtoniens, c’est-à-dire complètement partie du Système, comment se fait-il que l’analyse qui est développée par Volkov soit aussi différente que celle du Système ? Comment ces gens sur place, et si bien placés pour juger des choses, développent des analyses si différentes jusqu’à l’extrême opposé de celles qui soutiennent à Washington la politique officielle devenue si complètement folle ?
A noter que la/les même(s) question(s) pouvai(en)t être posée(s), – et comment ! – à propos d’articles de Dimitri Trenine, qui n’est rien moins que le directeur du Carnegie Moscow Center. J’écris cela en référence à trois occurrences où Trenine fut cité dans dedefensa.org, à propos d’articles qu’il écrivit sur de la crise ukrainienne, dans lesquels il disait des choses très censées, à mille lieux de la politique complètement folle de Washington (le 4 mars 2014, le 4 août 2014, le 21 août 2014). C’est un point très spécifique, très particulier, très propre aux USA, ce que des officiers de la CIA avaient nommé à une certaine époque (dans les années 1980 pour mon compte) “le complexe de Langley”, en référence au centre opérationnel et de direction de la CIA, à Langley, en Virginie.
Une anecdote, maintenant... Cela se passait dans la première moitié des années 1980, et j’ai déjà rapporté les circonstances initiales qui permettront de venir au cœur du sujet, d’ailleurs signalé pour l’essentiel dans l’extrait, dans un texte du 20 octobre 2014, dans ce passage :
« La seule fois où j’ai rencontré un officier de la CIA sous sa couverture d’“attaché culturel” (je n’ai su qu’après la rencontre que l’“attaché culturel” était la couverture du chef d’antenne de la CIA) l’a été par l’intermédiaire du chef de USIS à Bruxelles, Jim Hogan, lors d’un déjeuner suscité par Hogan à la demande de l’“attaché culturel”, en présence et sous le contrôle de Hogan, et aucune suite ne fut donnée ni aucune tentative effectuée par la CIA à mon égard. En fait, la CIA travaillait de manière très isolée dans les ambassades, et les antennes locales étaient elles-mêmes le plus souvent ignorées du centre de Langley. J’ai eu souvent des échos précis de la part de sources officielles non-US de la frustration des officiers de la CIA en poste à Bruxelles, devant le désintérêt que la centrale de Langley portait à leurs activités. (De façon très symptomatique de l’esprit de l’américanisme, la même tension existait entre le Pentagone et le commandant en chef suprême [un officier général US] de l’OTAN, le SACEUR, “exilé” en Europe, sur des terres lointaines, hostiles et inconnues...) Enfin et pour résumer, la CIA travaillait sur ses informations propres, sans guère de coopération de USIS et largement ostracisée au sein de l’ambassade. »
La personne qui m’avait signal qu’en fait d’“attaché culturel”, j’avais rencontré le chef de l’antenne de la CIA à Bruxelles, ou un de ses adjoints je ne sais, était un ami, un jeune homme à l’époque, plus jeune que moi c’est dire, qui avait un poste de conseiller au ministère de la défense et qui émargeait plus ou moins au SDR (renseignement militaire belge). Il faisait partie de la “bande à Close”, considérable puissance anticommuniste et antisoviétique bruxelloise d'alors. (*) Il avait copiné avec un autre officier de la CIA en poste à Bruxelles, un vieux de la vieille, qui était resté remarquablement longtemps à Bruxelles, à partir de 1977 jusqu’à son départ à la retraite en 1984, pour couvrir l’affaire des “euromissiles”. Mon jeune ami bruxellois me rapporta l’une de leurs discussions avec le vieil homme de la CIA, lorsque l’autre, un peu pris de boisson et de désenchantement, lui avait rapporté ce qu’on faisait de son travail à Langley...
« ...“Rien, rien, fucking bullshit”, m’a-t-il dit, et sur un ton ! Mon copain se plaignait de travailler uniquement pour la poubelle à papier, même pas la machine à détruire le papier, que personne à Langley ne lisait ses analyses, que tout se décidait à Langley selon ce que Langley pensait, en fonction des derniers échos washingtoniens, des derniers cocktails-en-ville, des équilibres politiques washingtoniens, des désidératas des services impliqués sur place à Langley, ou bien en fonction de la possibilité de baiser la DIA du Pentagone ou le FBI, etc. La situation sur le terrain, ils n’en ont rien à foutre, tout ce qui n’est pas Langley et Washington D.C., c’est le territoire extérieur, les aliens, les barbares, y compris l’officier de la CIA nommé à Bruxelles... Il a très vite sombré dans l’amertume, la dépression, et puis il est parti à la retraite en emportant toute une époque avec lui. »
Mon ami me rapporta enfin, for the record et presque comme un secret d’État qu’Hillary inscrirait sur ses e-mails, que certains, à la CIA, nommaient cela, presque comme une pathologie meurtrière, “le complexe de Langley”. Comme on l’a lu dans l’extrait ci-dessus, ce phénomène touchait, et continue à toucher de pire en pire, tous les domaines de la sécurité nationale, laquelle embrasse toutes les activités extérieures possibles allant de l’espionnage au business, voire un film tourné à l’étranger, et embrassant même un personnage aussi prestigieux et puissant que le SACEUR (successivement, entre 1974 et 1984, Haig et Rogers, SACEUR. successifs, furent soupçonnés à Washington de prendre trop à cœur les intérêts de certains pays européens dans certaines affaires transatlantiques qui concernaient les rapports entre les USA et les pays européens de l’OTAN). On a là une bonne explication de l’une des causes principales, qui renvoie d’ailleurs à la psychologie particulière de l’américanisme, son “isolationnisme” du à l’hybris et à la perception de sa propre exceptionnalité complètement indescriptible, du gâchis et des erreurs de la politique US malgré, – ou à cause dans ce cas, – de l’avalanche d’informations, de renseignements, d’agents d’influence, etc., dont les USA disposent et font usage selon une abondance aussi considérable de préjugés et de soupçons.
Ainsi, pour en revenir au sujet qui justifie cette très rapide réflexion, je pense tout simplement que des gens comme Volkov et Trenine, qui ont évidemment des rapports avec Washington, ne serait-ce que par la Carnegie qui a elle-même des liens multiples avec différents services de sécurité nationale, parlent et écrivent mais ne sont ni écoutés, ni lus, ni entendus en aucune façon. Un McFaul, maître des thèses neocons des révolutions de couleur et autres salades de regime change très à la mode dans les salons washingtoniens, arrivant comme ambassadeur US à Moscou en 2012, disposant de ses propres convictions et de son idéologie, n’a pas dû rencontrer une seule fois un Trenine sinon pour échanger un petit four à l’ambassade. Il a immédiatement contacté les chefs des partis de l’opposition à qui il a ouvert toutes grandes les portes de l’ambassade et la bourse de l’Oncle Sam ; ceux-ci, les “chefs”, qui lui ont aussitôt tracé un portrait apocalyptique de la position de Poutine au bord de l’effondrement et composé la perspective idyllique des possibilités des libéraux contre cette crapule, pour avoir le soutien actif de McFaul, – ce qu’ils eurent, – parce que leur seul but dans cette sorte de contact, pourtant essentiellement motivé par leur idéal, c’est d’obtenir du fric, du fric, du fric... Au fond, la seule chose qui soit sûre et insoupçonnable avec les américanistes, aux USA et hors-USA, c’est la monnaie verte bruissant et froufroutant comme fait une liasse de bons vieux dollars.
(*) Groupe autour du Général Robert “Bob” Close, grande vedette belge naïve et pétulante, et pas sans humour, des années 1970-1980. Close publia en 1976 L’Europe sans défense ? qui en fit la vedette des milieux anticommunistes et antisoviétiques à Bruxelles. Le Wikipédia n’en dit pas beaucoup sur lui mais indique quelques pistes sans trop violenter la vérité... Peut-être y reviendrais-je un jour de ma nostalgie des aventures de ma jeunesse.
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