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361Un aspect intéressant de l’évolution du Complexe, dont on fête le cinquantenaire de l’intronisation (discours du 17 janvier 1961 du président Eisenhower), est l’entreprise de reclassement des chefs militaires (généraux et amiraux) dans la vie “civile” après leur mise à la retraite. Janine R. Wedel et Linda Keenan viennent de publier un livre (Shadow Elite) qui présente une enquête sur cette évolution. Elles ont publié le 13 janvier 2011, sur le site HuffingtonPost, un article traitant de ce problème.
«A real culture shift seems to have occurred among some in the military elite, and it mirrors my (Janine's) findings in Shadow Elite, which show a decline in loyalty to institutions such as government. Even in a place like the military, where devotion to the institution is paramount, many of the top players are focused on turning themselves into one-man defense industry moguls, some of them angling for personal rewards even before official retirement. Senator Jack Reed of Rhode Island – a West Point grad – said this to Bryan Bender of the Boston Globe: “When I was an officer in the 1970s, most general officers went off to some sunny place and retired....Now the definition of success ... is to move on and become successful in the business world.”
»Bender's must-read investigation just after Christmas examines the activities of the staggering numbers of top generals who “retire” to highly lucrative consulting or defense industry work. (This tracks alongside the trend in which more and more governing is outside of formal government and, where, for instance, three-quarters of people working for federal government are private contractors.) Lest one think the "rent-a-general" phenomenon is old news, Bender shows that this longtime trend seems to be accelerating:
»“From 2004 through 2008, 80 percent of retiring three- and four-star officers went to work as consultants or defense executives...[also known as] the 'rent-a-general' business...That compares with less than 50 percent who followed that path a decade earlier, from 1994 to 1998. [In 2007,] thirty-four out of 39 three- and four-star generals and admirals who retired...are now working in defense roles – nearly 90 percent.”
»Not only do these generals and admirals profit from their years of privileged access to vital information and connections, but they also receive the deference accorded to them because of their service and those stars. Bender says this automatic deference continues after retirement, with generals often treated in advisory meetings as if they are still holding official roles.»
L’article met également en évidence l’“extension du domaine de la lutte” (ou de l’influence) des chefs militaires retraités, vers le monde du système de la communication, avec l’influence qui va avec. Ce point vaut à certains de rebaptiser le Complexe en y ajoutant aux dimension militaire et industrielle celle de la communication.
«Amplifying their power, these generals are also in hot demand as media analysts. And according to a 2008 New York Times report, “[m]ost of the analysts have ties to military contractors vested in the very war policies they are asked to assess on air.” Journalist David Barstow later that year painted an indelible portrait in the Times of retired four-star Army General Barry McCaffrey, his swirl of defense consulting activities, and his success in promoting his interests on television: Barstow called it “One Man's Military-Industrial-Media Complex.”
»The influence of McCaffrey and his peers derives from their overlapping, mutually influencing, and perhaps not fully disclosed, roles in pursuit of their own agendas. As they carve out “coincidences of interest,” their roles morph and blur into one another and ambiguity swirls around their activities.»
@PAYANT Toutes ces informations ne sont aucunement des révélations mais, rassemblées et synthétisées, elles donnent effectivement un constat général d’un changement fondamental dans le rôle, la structure et l’extension du Complexe, – “A real culture shift”, comme il est écrit. Les chiffres statistiques mentionnés rendent compte sans aucune ambiguïté possible de cet énorme déplacement d’orientation et d’activité, lorsqu’on constate qu’en dix ans le nombre d’officiers généraux à la retraite se “reclassant” dans des activités “civiles” de pouvoir et d’influence est passé de 50% à 80%, avec 90% dans la seule année 2007, qui est la dernière année de référence.
D’autre part, la double orientation maintenant évidente de ce reclassement (la communication s’étant ajoutée à l’industrie pure) a également une profonde signification et un puissant impact. On ne peut plus simplement apprécier ce “reclassement”, ou ce “blanchiment” des militaires dans le civil, comme une simple opération d’intérêt pour ceux qui la font, mais comme une opération idéologique de renforcement du pouvoir et de l’influence du Complexe dans le système de l’américanisme en tant que tel, et, partant, dans le Système en général. (Cette opération n’est pas le résultat d’une organisation, d’un dessein, d’un “complot”, mais le simple effet de la dynamique de la puissance et de l’influence psychologique d’un système anthropotechnocratique incomparablement homogène.) Les militaires à la retraite ne s’intègrent pas dans le Système, ils changent le Système au profit du Complexe ; eux-mêmes ne sont plus “militaires” (au sens de “soldat”) que de nom, étant devenus des carriéristes uniquement préoccupés de faire coïncider leurs intérêts avec les intérêts du Complexe…
Il s’agit moins d’une “militarisation” du Système que d’une adaptation des militaires à l’évolution de la définition de la puissance. A cet égard, c’est surtout la pénétration des structures du système de la communication qui est intéressante et importante. Cela correspond au passage à ce que nous avons désigné comme le passage à “l’ère psychopolitique”, avec un changement complet de la définition de la puissance où la communication (information, influence, virtualisme, etc.) joue désormais un rôle quasiment aussi important que le système du technologisme. De ce point de vue, les militaires ont assimilé la diminution radicale de l’importance de la géopolitique au profit de la psychopolitique, – et, ce faisant, ils ont tourné l’essentiel de leur poussée vers la situation intérieure washingtonienne et le pouvoir, tandis que leur prépondérance géopolitique globale est devenue un fait figé et presque paralysé marqué par un gigantisme de plus en plus lourd et coûteux.
C’est effectivement ce point qui est le plus important. Les serviteurs du Complexe, les officiers généraux en l’occurrence, ont d’une part évolué dans le sens d’un fractionnement du pouvoir de l’américanisme en assurant de plus en plus leur allégeance à leur centre de pouvoir (le Complexe) au détriment des notions de patriotisme, de nationalisme, etc. ; ils ont d’autre part si bien réussi cette opération qu’ils assurent à cette fraction du pouvoir une place de plus en plus prééminente, de plus en plus écrasante, au point où, de plus en plus, selon les circonstances et les avatars, le Complexe tend à se substituer au Système lui-même. Les postes et les positions tenus désormais par les chefs militaires ayant subi le “blanchissage” du passage dans le civil assurent au Complexe, par le biais de la solidarité et de l’unité d’action de tous ces reclassés, une cohésion et une puissance qui dépassent largement le seul cadre militaire, stratégique et de la sécurité nationale. Aucun autre groupe, fût-ce Wall Street ou ce qu’on nomme le corporate power, ne dispose d’une telle cohésion et d’une telle unité d’action, donc d’une telle puissance. On peut avancer l’hypothèse que l’influence du Complexe tend de plus en plus, désormais, à peser d’une manière directive et impérative sur les autres centres de pouvoir, qui lui sont de plus en plus subordonnés de facto, – compris Wall Street et le corporate power, – qui devient, pour ce dernier cas du corporate power, une notion de plus en plus vague et de plus en plus éclatée elle-même.
Du point de vue du Complexe, il s’agit d’un formidable succès. Par contre, on sera beaucoup plus réticent si l’on veut parler du Système lui-même. En investissant le Système, le Complexe le charge de tous ses caractères, notamment le poids énorme de sa bureaucratie, les pratiques de ses gaspillages, de sa corruption improductive, de son impuissance gestionnaire, de son aveuglement et de l’absence de nuances de sa puissance, bref de tout ce qui fait qu’on peut envisager aujourd’hui, au travers de l’impuissance et de la paralysie du Pentagone, un “coming crash” du Pentagone… On comprend alors, si le Complexe est devenu la substance principale du Système, qu’un “coming crash” menace également le Système.
Dans une telle situation de puissance et d’influence, comment peut-on espérer peser sur une politique extérieure complètement militarisée, sur des conflits sans fin et entretenus par l’impuissance militaire, sur des dépenses qui nourrissent un déficit colossal et minent littéralement la puissance des USA ? Comment le Congrès pourrait-il parvenir à imposer des réductions budgétaires importantes au Pentagone, alors qu’il existe un constat de plus en plus général est que de telles réductions sont devenues impératives pour sauver le gouvernement fédéral de l’effondrement ? Il le faudrait pourtant, sinon la Chute menace... L’évolution du Complexe est sans aucun douter un tribut rendu à sa puissance extraordinaire, – mais qu’importe, si cette puissance est celle de la Chute ? Mieux encore… Que le Complexe triomphe encore plus complètement, rendant la Chute effectivement irrémédiable.
Mis en ligne le 18 janvier 2011 à 05H56