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2152Cet article de Philippe Grasset a été publié pour la première fois dans la Revue Française d'Études Américaines, février 1995, n°63.
La crise de l'armement, thème connu de l'après-guerre froide, est en général présentée comme une conséquence directe de la fin de l'affrontement est-ouest. Celui-ci ayant été marqué par une course aux armements sans restriction, son achèvement a amené la fin de cette compétition et la réduction radicale de la production d'armes. L'importance du phénomène, en tout cas en apparence, sa présentation spectaculaire au niveau médiatique, les arguments électoraux qui en ont été tirés (les “dividendes de la paix”), lui ont donné cet aspect monolithique et quasiment universel. La crise de l'armement est devenue un lieu commun qui suppose qu'elle est partout agissante, partout profonde, et par conséquent, à peu près partout semblable quant à ses causes et ses conséquences. Ce diagnostic se révèle rapide et superficiel. La réalité montre vite que la crise de l'armement est différente aux États-Unis et en Europe (pour ne pas parler de l'ex-URSS dont l'industrie s'est effondrée, qui fonctionnait différemment et selon d'autres principes) ; plus encore, qu'elle est fondamentale et relève d'un fait structurel de société ici (aux États-Unis) tandis qu'elle n'est là (en Europe) qu'un accident industriel dont il reste à déterminer la gravité. Bien évidemment, c'est la crise de l'armement aux États-Unis qui nous intéresse dans le cadre de cette analyse.
Outre les aspects quantitatifs des facteurs industriels, technologiques et économiques de la crise, il y a une différence de substance entre les États-Unis et l'Europe. Le “Complexe Militaro-Industriel” est en Amérique une réalité sans guère de comparaison avec ce qu'on trouve en Europe. Si la crise du Complexe est aux États-Unis, au-delà de l'accident industriel, un fait structurel de société, on acceptera l'hypothèse que le Complexe lui-même est un phénomène structurel de la société américaine dépassant très largement son implication industrielle. Fait structurel de société, donc avec des conséquences profondes dans nombre de domaines, il invite également à rechercher des racines et des causes diverses, d'une profondeur tout aussi grande. On ne sera pas surpris de découvrir des dimensions mythiques au Complexe. Leur importance est souvent ignorée. Elles expliquent, chronologiquement mais aussi substantiellement, la gravité de la crise.
Le Complexe américain a des origines lointaines. On pourrait en trouver quelques-unes, non des moindres, dans la structure du pouvoir américain tel qu'il s'organisa à l'occasion de la Guerre de Sécession (la Guerre Civile). Le business américain, essentiellement la finance et l'industrie du Nord-Est, y joua un rôle essentiel, en même temps qu'il rencontrait les buts du gouvernement de Lincoln. Son intérêt économique était de disposer du marché le plus grand possible, mais débarrassé de la concurrence du système sudiste, — libre-échangiste alors que le Nord était protectionniste, décentralisé, agricole, etc. Une issue du conflit maintenant le Sud dans l'Union dans les conditions les plus dures possibles, impliquant notamment une restructuration économique, constituait un but évident du business. Cela explique aisément son intérêt à embrasser la cause de Lincoln. Pour prix de son soutien, le business eut droit à des faveurs. Les ''tarifs'' furent relevés jusqu'à 40%, établissant une barrière protectionniste à l'intérieur de laquelle il poursuivait son expansion en augmentant ses bénéfices. Il ne fut nullement mobilisé par le gouvernement fédéral au nom de l'urgence de la situation, au sens européen qu'implique celle-ci lorsque l'économie est mise au service de la Nation. On dira plutôt qu'il fut sollicité de participer à la guerre comme un partenaire à part entière. Il garda ses méthodes et gonfla ses bénéfices. La guerre de Sécession fut une période triomphante pour les coutumes du business américain, la corruption, les bénéfices abusifs, etc. Dans son Lincoln's War Cabinet, l'historien Burton Hendrick nota qu'on admirait les capacités du vice-ministre de la guerre Thomas Scott mais qu'on s'inquiétait de le voir conserver sa vice-présidence de la Pennsylvania Railways avec laquelle « il établissait constamment des contrats pour le transport des troupes. (...) Le prix demandé pour transporter les soldats — deux cents par mile par soldat dans un wagon — semblait fort excessif » (1). L'économiste Eliot Janeway (2) note à propos du comportement de Scott : « La moralité était foulée aux pieds. Les coûts de la guerre étaient accrus. Mais l'affaire correspondait trop à la vision des choses de Lincoln: il avait besoin d'enrôler dans la guerre le savoir-faire du business, et c'étaient alors les règles qui y prévalaient ».
Après la guerre, l'Amérique connut une période d'expansion sauvage. Ceci n'était pas sans rapport avec cela. La situation américaine présenta cette particularité de ne pas connaître de rupture dépressive entre l'activité industrielle de guerre et celle de l'après-guerre, sinon des accidents qui furent vite résorbés. L'Amérique d'après-1865 ne fit que suivre le chemin ouvert pendant la guerre et poursuivit son expansion économique par la surproduction lancée lors du conflit.
D'ores et déjà, on voyait combien la production d'armements ne constituait en aucun cas une activité exceptionnelle pour l'économie américaine, mais au contraire, que le business retenait de cette équation le moteur économique établissant la continuité avec le temps de paix. Un demi-siècle plus tard, le conflit de 1914 fut d'abord une aubaine économique. L'Amérique suppléa aux faiblesses des économies française et britannique dues aux contraintes des mobilisations nationales (différence des systèmes européens et du système américain dans la situation de guerre), et elle se conduisit conformément à ses principes. Elle produisit, et même surproduisit pour fournir aux démocraties belligérantes les produits que celles-ci ne pouvaient fabriquer. Attentive à ses intérêts, elle remplaça la France et l'Angleterre (surtout cette dernière) sur les marchés extérieurs que ces deux pays ne pouvaient plus alimenter. Mais jusqu'à son entrée dans les hostilités, elle se trouvait encore éloignée du schéma de la Guerre Civile dans la mesure où la production de l'armement restait faible (Wilson avait eu comme politique de ne pas armer le pays pour ne pas sembler rechercher une implication dans le conflit).
La guerre déclarée, l'Amérique s'y jeta avec ardeur. La surproduction toucha le domaine des armements, le plus souvent en fabriquant sous licence des produits européens (dans le domaine de l'aéronautique par exemple, l'Amérique ne produisit qu'un seul modèle américain, le Curtiss Jenny d'entraînement, produisant sous licence les Nieuport, SPAD, de Havilland et Bristol européens). L'administration fédérale dut intervenir pour arbitrer, coordonner, répartir la production, etc, bref mettre en place une centralisation qui éviterait le désordre du processus. Toutes ces activités furent prises en charge par une organisation créée spécialement, le NRC (National Research Council). L'historien Mike Davis la qualifie d'« embryon du complexe militaro-industriel » (3). L'organisation de la surproduction liée directement à la guerre appelait l'intervention de l'état. Il s'agissait d'une régulation de circonstance, pas d'un interventionnisme fondamental, mais on pouvait s'y tromper.
Ceux qui étaient idéologiquement partisans de l'interventionnisme dans l'économie parce qu'ils y voyaient un facteur régulateur écartant les effets prédateurs du capitalisme sauvage jugèrent la formule de l'Amérique de 1917-18 intéressante. Il s'agissait pour l'essentiel d'économistes libéraux (dans le sens américain : progressistes) qui eussent pu seuls s'opposer par idéologie politique au développement du Complexe naissant ; ils trouvaient au contraire dans cette période l'exemple réussi d'une planification d'état contenant les excès du business privé et organisant l'expansion sans trop sacrifier la justice sociale. Arthur Schlesinger cite Ruxford Tugwell qui pensait que « seule l'armistice avait empêché une grande expérience de contrôle de la production, de contrôle des prix et de contrôle de la consommation » (4).
La gauche américaine se souvint de cette période et, durant la Deuxième Guerre mondiale, en vint à assimiler cet aspect régulateur apparemment anti-business de l'intervention étatique du temps de guerre à la situation plus générale de la production d'armement et des militaires eux-mêmes. En 1943, John Kenneth Galbraith notait dans son journal : « Entretemps, l'armée avait fait son apparition. En 1940, sur les questions d'économie, d'industrie et d'approvisionnement, son influence était dérisoire. A présent, elle pesait lourd dans les décisions. (...) A mesure que les militaires gagnaient en influence, bon nombre de libéraux, séduits par leur style ou convaincus que les soldats ne manifesteraient envers la politique intérieure qu'indifférence ou neutralité pour se consacrer seulement à la guerre, rallièrent leur cause. Ce fut le début d'une association qui devait revêtir une si lourde signification pendant la guerre froide et la guerre du Viêt-nam. Nous devions payer la victoire sur Hitler d'une militarisation durable de l'État » (5). Le Complexe avait sa place idéologiquement préparée : dans des conditions ambiguës et diverses qui lui apportaient à ses débuts des alliés plus ou moins déclarés autant à droite qu'à gauche, dans le business comme chez les économistes progressistes, et en fait interdisaient toute réelle opposition à son développement.
Mais le phénomène est d'une bien plus grande profondeur que le seul domaine économique. Dans les deux décennies qui avaient suivi la démobilisation de 1918, avant de s'installer dans les structures économiquee et industrielles du pays, le Complexe s'était approprié les dimensions exceptionnelles du mythe. Les bases essentielles de son apparition et de son expansion avaient été installées en Californie, qui est l'Ouest extrême, la Frontière définitive, l'“Amérique de l'Amérique” enfin (« L'expansion de l'État de Californie a été très grand, particulièrement à partir des années quarante, et il continue, notait l'ancien gouverneur Edmund Brown en 1984. Je crois que la croissance a été stimulée, paradoxalement, par la Seconde Guerre mondiale, par la guerre de Corée et la guerre du Viet-nâm. Les usines et les entreprises mobilisées pour ces efforts étaient très largement concentrées en Californie. L'état recevait, et reçoit toujours à peu près un quart de tous les contrats de défense des États-Unis. Il a reçu pendant de nombreuses années approximativement 40 à 50% de tous les contrats pour le programme spatial national ... ») (6).
En 1941, quand la guerre se précipita pour l'Amérique, tout était en place pour que le Complexe y posa son empreinte, dessinant le progrès industriel et marquant durablement la société américaine. Cette émergence de l'entre-deux guerres fut liée à celle d'une industrie : l'aviation, caractérisée elle aussi par des mythes américains essentiels, elle aussi nourrie aux racines californiennes, principalement de Los Angeles à San Diego.
L'Amérique avait raté complètement les débuts de l'aviation, dont le business ne voyait pas a priori le profit qu'il en pouvait tirer. Les frères Wright avait du partir en France en 1907 pour trouver des conditions favorables à leurs expérimentations. L'Amérique ne découvrit l'aviation qu'à l'issue du premier conflit mondial, une fois réalisée l'expérimentation par le business d'une production industrielle intensive. A partir de là, les choses allèrent très vite. Les exploits des aviateurs, largement “sponsorisés” par les grandes sociétés (7), devinrent un des symboles des Roaring Twenties. L'aviation fut la marque des “années folles”, les années où prospérité, spéculation et rythme effréné firent croire à l'Amérique qu'elle tenait la recette du Bonheur.
Paradoxalement, par la grâce du plus grand héros de cette époque, elle fut aussi le symbole de son contraire, comme Arthur Schlesinger l'exprime bien : « Charles Lindbergh était le symbole de la rédemption. Il incarnait tout ce que l'Amérique des années 20 souhaitait passionnément admirer: l'aventure dans un monde voué au calcul, la foi dans une époque d'opportunisme, la jeunesse dans une société d'hommes mûrs. Il arrachait les gens aux démons qui les dévoraient pour les orienter vers des mobiles plus nobles que la poursuite du profit personnel. Pendant un bref moment, les Américains cessèrent d'être des marchands » (8).
Cet engouement, grossi par ce qu'on peut désigner comme le premier phénomène médiatique de l'histoire (9), fut d'une grande fécondité industrielle. En l'espace d'une dizaine d'années, jusqu'à l'orée du conflit mondial, les entreprises qui firent plus tard de l'industrie aérospatiale américaine la première du monde se créèrent ou vinrent à maturité. Des noms nouveaux apparurent, qui ont tous pris depuis leur part de gloire dans l'histoire de l'aviation : Alan Lockheed, Chance Vought, Donald Douglas, LeRoy Grumman, Dutch Kinkelberger (North American), John McDonnell, John Northrop. L'aviation réunissait même, — autre mythe de l'Amérique, — des grands ingénieurs et des aventuriers étrangers qui s'américanisaient parfaitement en s'intégrant dans son mouvement d'expansion technologique et industriel (les Slaves Igor Sikorsky, Alexandre Sascha de Seversky, Alexandre Kartvelli, Alexandre Piasecki, qui fuyaient la révolution bolchévique).
Comme Schlesinger l'avait noté avec Lindbergh, en plus d'apparaître comme le progrès industriel le plus avancé l'aviation apportait une nouvelle pureté, une nouvelle espérance, une nouvelle aventure, peut-être la dernière Frontière ouverte sur l'infini (“The Sky, The Limit”, disaient les pilotes). Elle acquérait même les caractéristiques du militantisme politique, là encore liées à la fascination d'une carrière exemplaire d'héroïsme, avec le double féminin de Lindbergh, Amelia Earhart, amie d'Eleanor Roosevelt et de Katherine Hepburn et pionnière du féminisme, aviatrice incomparable, disparue mystérieusement en 1937 (10). La Vertu universelle de l'aviation, à la fois héroïque et moderniste, traditionnelle et progressiste, semblait avoir été créée pour sortir l'Amérique de l'affreuse Dépression des années trente.
La réalité des chiffres et des situations confirme ce caractère exceptionnel. En pleine Dépression, alors que l'Amérique se débattait dans des difficultés sans précédent historique, alors que la Nation semblait sur le point de voir se désagréger son tissu social, l'aviation était la seule activité d'importance à connaître une expansion qui eût été déjà qualifiée d'exceptionnelle en temps normal. Ses effectifs grandirent, de 15.000 personnes en 1933, à 35.000 en 1938, à 85.000 en 1940, puis à plus de 4 millions en 1943 (car l'aviation se révéla ensuite, pendant la guerre, comme l'effort industriel essentiel de la victoire). Pendant l'année 1939, l'industrie aéronautique américaine avait produit 921 avions pour les forces armées (USAAF, U.S. Army, Marine Corps, U.S. Navy) ; de fin 1940 à 1945, elle produisit 303.218 avions pour les forces armées ou sous-traités par elles.
L'aviation était devenue l'Amérique elle-même. Elle fut le pilier du Complexe après la guerre. Elle devint une interprétation moderne du rêve américain. Elle portait en elle la modernité la plus avancée, toujours renouvelée et toujours mise en question. Elle donnait le moyen de la richesse, de la puissance, de la sécurité, et même de la réalisation des rêves les plus audacieux. Elle constituait l'instrument nécessaire pour perpétuer la puissance de l'industrie, pour charger d'ors étrangers (les devises de l'exportation !) l'industrieuse Amérique. Elle était à la fois l'habileté, l'intelligence, l'audace, le romantisme de la grande République. Elle portait en son sein des enfants prometteurs, dont la puissance allait encore renforcer la gloire de l'Amérique (l'industrie spatiale et l'électronique naquirent essentiellement de l'aviation militaire, dans les années 45-60).
Dans les années cinquante et soixante, la dot se confirma de façon convaincante : puissance militaire aérienne, domination du marché civil et l'aventure spatiale. L'Amérique confirmait ses épousailles avec l'aviation et sa Technologie, avec un enthousiasme d'autant plus fervent que l'effort patriotique contre l'Ennemi Bolchevique, également interprété du point de vue mythique, semblait rejoindre jusqu'à s'y mêler étroitement, pour la rassurer quand elle hésitait, pour la renforcer quand elle s'essoufflait, la poussée industrielle sans fin vers le Progrès. L'effort spatial menant aux premiers satellites et bientôt aux programmes Mercury et Apollo, fut décrit par la revue Aviation Week & Space Technology (11) comme « très proche de l'utilisation de toutes les capacités de la nation. La NASA menait un effort de mobilisation jugé impossible sauf en temps de guerre ». Lorsque le président Kennedy proposa une coopération spatiale à l'URSS, en septembre 1963, l'initiative fut condamnée dans ces mêmes milieux proches de la mobilisation non par opposition politique au fait même de la coopération, ni même par hostilité à l'encontre de l'URSS, mais parce qu'une telle possibilité « frustrerait des millions de travailleurs du sens patriotique de l'extrême urgence ».
Une autre dimension s'était développée dans les années trente, qui achevait la fondation du mythe. Dans la décennie précédente avait été installé le California Institute of Technology, ou CalTech, sous l'impulsion de George Ellery Hale. Astrophysicien, fondateur de l'observatoire de Pasadena (mont Wilson), Hale était un organisateur de première force. Il avait dirigé l'effort industriel de guerre du NRC à partir de 1917. Il reprit ce schéma pour la Californie, s'appuyant sur un “triangle scientifico-culturel” comprenant l'Observatoire, Cal Tech et la Huntington Library. Il demanda au physicien Robert Millikan, président de l'université de Chicago et ancien du NRC, de prendre la présidence de Cal Tech. Hale et Millikan partageaient la même foi dans l'alliance de la science et du business (ainsi « protégés ''de ces touche-à-tout de parlementaires et autres représentants du peuple'' ») (12).
Avec l'aide du président de la First National Bank Henry Robinson et le soutien de conservateurs républicains de la tendance Taft-Hoover, Millikan réunit au milieu des années trente une association de soutien à CalTech, le California Institute Associates regroupant quelques dizaines de millionnaires californiens. L'expansion financière était assurée par ce sponsoring astucieux. CalTech recruta les plus grands parmi les physiciens (Einstein, Openheimer, von Kàrmàn, etc). Le but avoué du complexe scientifique de recherche ainsi mis en place était le soutien à l'expansion de l'industrie aéronautique concentrée àLos Angeles et dans sa région (13). Pendant et après la guerre, il amena la création d'instituts et de centres de recherches appliquées à l'aéronautique (le Jet Propulsion Laboratory, Aerojet General, RAND Institute, etc), avec le soutien actif du Pentagone dès 1941. Un état d'esprit très particulier baignait cette entreprise. « La Californie du Sud est devenue, comme la Grande-Bretagne il y a deux siècles, expliquait Millikan, l'avancée occidentale de la civilisation nordique, avec l'exceptionnelle opportunité d'avoir une population qui est à souche anglo-saxonne dans un rapport double de celui qu'on rencontre à New York, à Chicago et dans les autres grandes villes du pays » (14). Il s'agissait, selon Mike Davis, « d'une entreprise de la science et du business renouvelant la suprématie aryenne sur les rives du Pacifique ».
Le complexe californien de Millikan (« Je suis un savant chrétien », proclamait-il) développa des contacts nombreux, parfois très élaborés, avec diverses activités pseudo-religieuses qui fleurissaient en Californie (ce fut notamment le cas de la scientologie). Son influence sur l'usine à rêves hollywoodienne, fondatrice des mythes américains, était considérable ; on le vit par le nombre de films consacrés à l'aviation et par les rapports privilégiés entre le général Arnold, chef d'état-major de l'U.S. Army Air Force, et Jack Warner pendant la guerre (15). Ainsi l'aspect mythique de la fondation du Complexe est-il clairement complété. L'Amérique est friande de ces mélanges, elle qui considère le business comme une activité quasi-religieuse bénéficiant de l'onction divine.
Dans le cas du Complexe, l'amalgame était évident, il constituait même un des arguments fondateurs du phénomène. L'aviation et l'armement, la science et le business, étaient dès l'origine des activités mythiques et évidemment conformes à la morale “américaniste”, autant qu'industrielles et technologiques. Leur triomphe, l'aide décisive apportée à l'effort de guerre qui avait sorti l'Amérique de sa malédiction (la Grande Dépression) renforcèrent cette image. Elles devenaient les manifestations modernes du “rêve américain”, et la connotation biologique et raciste ne doit certainement pas surprendre (16), surtout lorsqu'elle est habilement dissimulée par le discours démocratique de l'“américanisation”.
La guerre acheva la mise en place du Complexe grâce à l'intervention des militaires, c'est-à-dire, là encore, l'aviation pour l'essentiel. Celle-ci fut l'un des principaux outils de la victoire, et plus que les autres armes elle sut prévoir l'après-guerre. A la fin 1944, le général Arnold expliquait que « la supériorité aérienne (américaine) dans la guerre a résulté dans une large mesure de la mobilisation et de la constante application de nos ressources scientifiques ». Il formulait également un enseignement où ce constat se trouvait éclairé par la conception démocratique de l'Amérique : « Le caractère inacceptable des pertes humaines est un principe fondamental de la démocratie américaine. Nous continuerons à faire des guerres mécaniques plus que des guerres humaines ». Ces paroles formaient le dernier chapitre de la mise en place d'une structure, d'une philosophie industrielle et militaire, d'une conception qui achevèrent de donner à l'Amérique d'après-guerre une orientation stratégique et politique très particulière, régulièrement affûtée au rythme de la progression de la technologie et conservée pour l'essentiel un demi-siècle plus tard.
Arnold confia une étude fondamentale à Théodore von Kàrmàn, physicien de CalTech bien entendu. Von Kàrmàn et son équipe pondirent 33 volumes, sous le titre générique et révélateur de Toward the Horizons. L'étude fut remise à Arnold en décembre 1945. L'historien américain Herman Wolke la définit comme « un plan d'action technologique (qui) conduisit l'U.S. Air Force pendant de nombreuses années » (17).
Il ne s'agissait pas d'une directive stratégique ou d'un manuel tactique. Toward the Horizons traçait l'évolution scientifique et technologique de l'industrie aéronautique, au sein desquelles naîtraient également les industries électronique et spatiale. Elle définissait le cadre technologique essentiel du complexe militaro-industriel. Dès lors, le Complexe prospéra. L'idéologie (le mythe là encore) lui offrait sa raison d'être, avec le Diable soviétique qui fournissait à l'effort d'armement une cause idéale. Les nécessités stratégiques faisaient le reste. Son importance devint telle qu'un Président, lui-même ancien militaire, s'en inquiéta. Le discours d'adieu du 17 janvier 1961 de Eisenhower est resté fameux. Le président y décrivait « cette conjonction d'une immense communauté militaire et d'une puissante industrie d'armement ... (dont) l'influence totale — économique, politique, et même spirituelle — est ressentie dans chaque ville, chaque État, chaque bureau du gouvernement fédéral ». S'il faut retenir un mot dans cette description pour appuyer notre réflexion, ce sera le qualificatif “spirituel” employé pour décrire son “influence totale” ; il s'agit bien de mythe, à côté des réalités politiques, stratégiques et industrielles.
Quelques situations chiffrées, au coeur des années soixante, lors de l'expansion maximale du système, mesurent son fonctionnement et la façon dont il s'était mélangé à la vie intellectuelle et culturelle du pays. En 1967, l'intervention fédérale pour la recherche universitaire atteignait 1,3 milliard de dollars, dont 47% venaient du Pentagone et des agences associées. Cette pénétration de l'université par le Pentagone amenait des situations étranges. Durant la période 1963-66, des recherches sur la guerre chimique et biologique étaient poursuivies dans 38 universités, et à l'université du Michigan les professeurs « travaillaient comme conseillers du Pentagone à tous les niveaux, de la technique de prise d'empreintes à la rédaction de la constitution du Viet-nâm du Sud ; ils ont même joué un rôle capital dans le choix du président du Viet-nâm du Sud » (18). A l'université du Minnesota, on travaillait sur un projet du gouvernement «
La pénétration de l'industrie était également considérable. Par exemple, la société North American Aviation siégeait dans les années soixante dans plus de 30 conseils de collèges et d'universités. « Par cette sorte de moyens, écrit Seymour Melman (20), l'industrie aérospatiale communiquait la nature de ses problèmes, les questions de technologie et d'administration qui l'intéressaient, et espéraient des universités qu'elles formeraient du personnel compétents pour ces domaines ». Eisenhower avait raison : le Complexe avait une dimension culturelle, sinon mystique. Il tendait à se développer comme un monde per se, et sa finalité était de se substituer à l'Amérique.
Ce n'est pas pour autant qu'on suivra la critique radicale de l'époque, qui s'exprimait chez les tenants de la “contre-culture” et les étudiants contestataires. Selon elle, l'expansion du Complexe jusqu'aux domaines les plus avancés de la science et de l'université, amenait une “militarisation” du pays. L'Amérique se transformait en un état militaro-fasciste. Le Complexe formait en soi un “coup d'État rampant”, une entreprise subreptice de subversion. Apparence seulement, et schématisme idéologique selon nous. Le point essentiel est que le Complexe, dans son extension la plus extrême qu'on a vue, au coeur des années soixante, ne constituait pas un phénomène de subversion de l'Amérique, en tout cas de l'establishment qui y tient le pouvoir depuis le début. Au contraire, il constituait un outil d'affirmation de la puissance industrielle et technologique américaine, avec des prolongements commerciaux évidents, justifiant à cet égard les pressions géopolitiques ou militaires, et avec l'essentiel arrière-plan mythique qui mettait tout cela sous le patronage d'une bannière étoilée vigoureusement interprétée (la morale, la “la civilisation nordique”, etc).
Le Complexe avait sauvé l'Amérique en 1941-45, en battant l'Allemagne certes, mais surtout en fournissant au pays une nouvelle recette de puissance industrielle et économique, de prospérité commerciale, de domination politique et ainsi de suite (et qu'importe qu'on puisse poser aujourd'hui la question de son éventuel caractère artificiel, il fallait parer au plus pressé sous peine de retomber dans la Grande Crise que n'avait pu résoudre le New Deal de Roosevelt). C'est ce nouvel acteur de la puissance américaine qui avait été confirmé dans son rôle en 1945. Il avait le “style”, selon le mot de Galbraith à propos des militaires américains.
L'État s'était aligné sur lui en développant ses structures de sécurité nationale, confirmant cette constante américaine que la politique reste un instrument de la puissance économique, et se détermine, et se structure en fonction d'elle et de son orientation dynamique. L'état de sécurité nationale était né en 1947, avec le National Security Act, sous l'impulsion d'un homme, le ministre de la marine James Forrestal. L'économiste Janemay, déjà cité, remarquait : « Il (Forrestal) fut l'un des rares à réaliser que les leçons de la seconde guerre mondiale devraient être institutionnalisées si l'on voulait en tirer un enseignement utile. Il agissait donc de façon à donner à l'Amérique le cadre institutionnel dont elle avait besoin pour vivre dans un âge de crise permanente. Sa réalisation la plus éclatante — car ce fut son oeuvre plus que d'aucun autre — fut le National Security Act de 1947 ». La loi mettait en place l'appareil de la sécurité nationale américaine en l'insérant dans la structure d'un “gouvernement dans le gouvernement”, le National Security Council ; en le faisant dépendre directement du président par la supervision des principaux composants de l'appareil de la sécurité nationale ; en créant la fonction de ministre de la défense qui impliquait la centralisation des trois armes (la force aérienne ayant acquis son autonomie parallèlement, pour devenir la United States Air Force) ; en créant la Central Intelligence Agency et en centralisant les différents services de renseignements sous l'autorité d'un DCI (Director Central Intelligence).
La description est complétée par cette autre remarque de Janeway, marquant combien Forrestal avait bien embrassé la nouvelle structure militaro-économique de la puissance américaine : « Anticipant comme il le fit que l'engagement stratégique avec le soutien du secteur de la défense impliquerait l'économie en général et les liens fiscaux entre le gouvernement et les marchés de l'argent en particulier, il suggéra que le Président invite le secrétaire au Trésor à participer aux délibérations régulières du National Security Council ». Le Complexe assurait la puissance militaire américaine, par quoi avait été affirmé l'empire de la grande République sur le monde. Il permettait à l'Amérique d'alimenter d'argent public les grandes industries naissantes chargées de développer les technologies modernes sans sacrifier la vertu non-interventionniste que les Américains réclamaient des autres ; dans l'autre sens, il armait l'Occident, c'est-à-dire vendait ferme et verrouillait des marchés. On ne fait que décrire cette évidence : l'apparition du Complexe à l'occasion de la guerre confirma pour l'Amérique ce fait fondamental que l'armement pouvait être un formidable moteur économique, et qu'également il était, grâce au rôle régulateur de l'état, le seul moteur économique sûr, permettant d'écarter un retour à des conditions incertaines comme celles qui avaient conduit à la Grande Dépression.
Mais la formule s'est usée. Enfermé dans son cocon des impératifs de sécurité nationale et de l'argent public, pourtant avec tous les avantages du soi-disant “marché libre”, le Complexe prit ses aises. Durant les années du réarmement Reagan (1981-85), il suivit des pratiques encore plus juteuses qu'à l'ordinaire (21). Il suscita des séries de scandales extraordinaires, dignes des républiques bananières (l'enquête Ill Wind, entre 1986 et 1988, aboutit à l'inculpation de 150 fonctionnaires et consultants du Pentagone, en plus des inculpations de grands trusts de l'armement). Les coûts explosèrent, jusqu'à l'absurde. On reste aujourd'hui confondu devant un bombardier B-2 construit à 20 exemplaires pour 44 milliards de dollars (cela fait le bombardier à un peu plus de 2 milliards de dollars), pour une mission (l'attaque nucléaire de l'URSS) qui n'existe plus. On ne trouve nulle part ailleurs une évolution semblable et si importante de l'industrie de l'armement (l'exemple soviétique a montré ses limites par l'absurde, en s'effondrant avec l'empire, apparaissant lié à la gabegie communiste et à sa finalité militaro-idéologique). Ce n'est pas une spécificité industrielle et militaire de la guerre froide, c'est une spécificité économique et mythique de l'Amérique. Après le coup terrible qui avait frappé le capitalisme et l'américanisme en 1929-33, et qui avait disqualifié la finance dans son rôle moteur, le Pentagone (et, avec lui, l'industrie qui lui était liée) fournissait un nouvel outil pour leur développement. L' “Empire du Mal” (soviétique) jouait son rôle de justification morale de l'armement et du Complexe, avec d'autant plus de bonheur qu'il semblait répondre depuis 1919 à toutes les anxiétés et les phantasmes d'une société extraordinairement marquée par ses racines religieuses (22).
La crise du Complexe est aujourd'hui aiguë. La poursuite du développement dui Complexe, bientôt son existence même apparaissent incompréhensibles alors que l'“Empire du Mal” a disparu. Depuis 1990-91, on a vaguement acquiescé à la nécessité de le réformer. Des plans se sont succédés, qui tentent de prendre en compte des impératifs de plus en plus inconciliables : garder les forces armées à un niveau qui satisfasse les militaires ; conserver l'essentiel du tissu industriel de la défense et de l'aéronautique ; réduire de façon drastique la production ; réduire le budget à des niveaux compatibles avec les nécessités intérieures d'infrastructure et avec l'objectif de réduction du déficit ... La réforme du Complexe ressemble à la fable de la couverture trop courte : quand l'on tire ici pour couvrir une partie du corps, l'on se découvre là. Quelques chiffres, pêle-mêle de prévisions et de réalités, mesureront au seul plan comptable la difficulté du problème.
Le freinage de l'augmentation du budget de la défense a commencé en 1985, non à cause du changement de politique de l'URSS (qui était alors presque unanimement contesté), mais à cause du changement de priorité du Congrès qui voulut mettre l'accent sur la réduction du déficit. Les projections quinquennales de 1984 prévoyaient, pour maintenir les forces au niveau d'alors, un budget de 476 milliards USD en 1989 à partir du budget de 275 milliards USD de 1984. Il fut en réalité, à cause de l'action du Congrès, de 284 milliards USD pour cette même année 1989. En 1988, alors que les initiatives Gorbatchev étaient déjà bien en route, l'administration Reagan prévoyait encore le budget 1989 à 299 milliards (en réalité 284), et le budget 1994 (plan quinquennal) à 384 milliards USD (en réalité 264 milliards USD).
Actuellement, le budget est encore à 264 milliards USD et les projections officielles envisagent 245 milliards USD pour 2000, alors que des critiques ne cessent de se renforcer pour estimer qu'un véritable budget d'après-Guerre Froide devrait se situer à moins de 200 milliards USD à cette époque. Malgré ce niveau relativement élevé, la structure des forces a subi une érosion régulière qui, lorsqu'elle est appréciée en perspective, confine à l'effondrement. Par exemple, de la fin 1987 à la fin 1993, l'inventaire total de l'USAF est passé de 8.115 à 6.175 avions sans qu'aucun apport qualitatif ne justifie en la compensant cette réduction. Selon le général Loh, chef de l'Air Combat Command, «
Ces quelques faits montrent l'état de tension où se trouve aujourd'hui le budget du Pentagone, dont dépend la bonne santé du Complexe. D'ores et déjà, il se trouve en pleine crise, alors qu'aucune réforme structurelle réelle n'a encore eu lieu. L'industrie entame une deuxième phase de restructuration qui passe par des fusions, des liquidations et des absorptions ; elle a déjà perdu près d'un million d'emplois et devrait encore en perdre autant. La “crise aigüe” est bien là ; pourtant, elle n'a pas encore vraiment éclaté ... Devant le Complexe, et le Pentagone, les autorités hésitent. Chaque nouvelle équipe épingle à son programme la réforme du Pentagone. Sans succès. Le Pentagone est un monstre bureaucratique, insaisissable et formidable. Mais il reste la question principale de déterminer ce qu'une réforme en profondeur, une réforme radicale du Complexe aurait comme effet pour l'Amérique elle-même. Devant ce Complexe dont elle ne sait plus que faire, l'Amérique hésite. Bien que dissimulé, elle a à l’esprit le spectre de la Grande Dépression des années trente jamais vraiment résolue mais temporairement écarté par les artifices inouïs du Complexe.
Philippe Grasset
L'Amérique face au Complexe
(1) Cité dans Eliot Janeway, ''The Economics of Crisis, War, Politics & the Dollar'', Weybright & Talley, New York, 1968.
(2) Janeway, op. cité.
(3) Mike Davis, ''City of Quartz'', Vintage, Londres 1992.
(4) Voir Arthur Schlesinger, Jr., ''L'ère de Roosevelt'', Denoël 1971.
(5) John Kenneth Galbraith, ''Le Temps des Incertitudes'', Gallimard, Paris 1978.
(6) Intervention d'Edmund Brown, Colloque international de l'Institut International de Géopolitique, « Un défi nommé Pacifique », Paris, les 6-7-8 avril 1984 (p.101).
(7) Par exemple, Jimmy Doolittle, futur héros du raid sur Tokyo de mars 1942, puis l'un des chefs de l'USAF avant de devenir ardent lobbyiste du Complexe, était un des grands pilotes de meeting, ou ''stunt man'', de l'époque. En 1927, il signa un contrat avec la Shell pour faire au cours de ses exhibitions la publicité d'une essence à nouvel octane, avant d'entrer pour quelques années dans l'équipe de marketing du groupe pétrolier.
(8) Schlesinger, op. cité.
(9) 25.000 tonnes de papier journal supplémentaires furent utilisés par la presse américaine en 1927, dus aux éditions spéciales, aux tirages spéciaux, etc, saluant le vol de Lindbergh. Voir ''Lindbergh's Journalistic Flight, or Lindbergh : Did He Serve Aviation or Newspapers ?'', ''Air Force Magazine'', mai 1977.
(10) Voir ''Still Missing, Amelia Earhart and the Search for Modern Feminism'', de Susan Ware, Norton, 1993.
(11) Paul Mann, ''Aviation Week & Space Technology'', 12 août 1991, « Fear Makes a Dream Come True ».
(12) Davis, op. cité. Davis cite directement Millikan.
(13) A Los Angeles et dans sa région s'installèrent dans les années trente les principales sociétés de construction aéronautique américaines : Lockheed, North American, Douglas, Northrop, etc.
(14) Millikan est cité par Davis, extrait de ses documents personnels.
(15) Pour les rapports de Arnold et de l'USAAF avec Hollywood pendant la guerre, voir ''Ronald Reagan in Hollywood, Movies and Politics'', de Stephen Vaughn, Cambridge University Press, 1994.
(16) On sait notamment que l'eugénisme fut largement pratiqué aux États-Unis durant le premier tiers de siècle, et que le régime nazi s'inspira de la législation de l'état de Virginie pour ses propres lois eugnéiques.
(17) Article dans ''Air Force Magazine'', septembre 1980.
(18) Article de la revue ''Ramparts'', avril 66
(19) Dépêche d'Associated Press, 16 septembre 1967.
(20) Les précisions données dans ce paragraphe sont extraites de « Pentagon Capitalism » , de Seymour Melman, New York, 1969.
(21) Un rapport du Congressional Budget Office de 1986 établit que la marge bénéficiaire des sociétés d'armement entre 1981 et 1985 était en moyenne de 23%, contre 10% en moyenne pour les sociétés civiles.
(22) Pour une explication originale du rôle du phénomène communiste dans l'imaginaire et la névrose américaines, voir ''Red Hunting in the Promised Land, Anticommunism and the Making of America'', de Joel Kovel, Basic Book, 1994.
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