Le complot déjoué à Londres : une plongée dans l’“inimaginable”

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Le complot déjoué à Londres : une plongée dans l’“inimaginable”

10 août 2006 — Pendant une bonne partie, le Londres officiel (gouvernement, élus, presse SMS), avec les effets sur la vie courante, a vécu à l’heure de l’hystérie du plus terrible attentat (une vague d’attentats coordonnés), si terrible qu’on ne peut l’imaginer. Mais la chose a pu être évitée. Cela aurait pu être la plus terrible des choses… au-delà de toute description, d’ailleurs : « Put simply this was intended to be mass murder on an unimaginable scale. » On a l’air, aujourd’hui où l’on nous assure que l’attentat a été déjoué, d’en savoir plus sur cet attentat qui n’a pas eu lieu que s’il avait eu lieu.

Le communiqué du Deputy Commissioner Paul Stephenson de Scotland Yard, dont les mots ci-dessus sont extraits, est écrit en des termes haletants et hyperboliques. Il relève d’une déclaration solennelle, d’une sorte de serment d’allégeance à une soi-disant réalité, plus que du travail normal de police, avec des expressions d’affirmation de franchise déroutantes : « We are confident that we have disrupted a plan by terrorists to cause untold death and destruction and to commit, quite frankly, mass murder. »

Ce texte, ainsi que toutes les déclarations et commentaires officiels, dénote une atmosphère d’hystérie dans les sphères officielles qui est un phénomène notable. Nous faisons ces remarques hors de toute considération sur la véracité de la menace, sur les attentats évités ou pas, etc. Cette question-là est un problème de police, pas d’émotion ni d’hystérie comme elle semble être devenue. Nous observons simplement la façon dont des autorités officielles ont dévoilé l’affaire, causant un désordre considérable et installant, ou risquant d’installer cela dépend, une psychose également considérable. Le commentaire de John Williams, ancien adjoint de Jack Straw, dans le Guardian d’aujourd’hui,— d’ailleurs rédigé plus vite qu’en un éclair, — résonne étrangement, comme une appréciation involontairement ironique du spectacle offert par Londres aujourd’hui :

« It is vital that ministers and their media advisors know in these circumstances precisely what is happening, or thought to be happening, because at times like this the media becomes the major instrument of public reassurance.

» This first struck me forcefully on September 11, 2001. I was Jack Straw's press secretary at the Foreign Office. We watched the twin towers burning on television in his office, then went to the television studios. As he prepared, the foreign secretary said something which became the basis of much of his work in the coming years, and now for John Reid as the lead minister for domestic crises. Jack Straw said: “At a moment like this, the job of ministers is to reassure the public that the state remains in control.” »

Bref, — qui veut rassurer qui, exactement? Et à propos de quoi? Qui veut se convaincre que l’Etat contrôle les choses? Et quelles choses? Quite frankly, si les enquêtes et recherches se font dans cette atmosphère, il faut que le citoyen trouve un moyen de rassurer ses dirigeants sur le fait qu’il garde lui-même son propre contrôle de lui-même.

Dans la journée, l’hystérie s’est étendue aux USA, avec le temps du décalage horaire nécessaire bien sûr, tandis que s’installait le chaos aérien. Les détails sur le complot sont devenus de plus en plus précis, venus des services occidentaux de renseignement dont on connaît la redoutable efficacité (ADM de Saddam, accueil des populations en Irak, capacité des talibans, évolution de la situation en Somalie, niveau de capacités du Hezbollah, etc., tout cela largement connu pour notre plus grande sérénité). Hier en fin d’après-midi, Paris s’était aperçu de quelque chose et Chirac-Sarkozy assuraient Bush-Blair de leur solidarité. L’atmosphère d’hystérie s’était donc habillée du conformisme habituel.

Mais le grand axe de la journée reste bien l’hystérie londonienne du matin, qui recréa le temps de l’alerte les fameuses special relationships.

Par ailleurs, comment tout cela pourrait-il se passer dans une autre atmosphère qu’hystérique, alors que les dirigeants anglo-saxons, — c’est un phénomène directement enfanté par l’axe Bush-Blair, — vivent effectivement dans cette atmosphère? Peu importe qu’elle soit fabriquée ou pas, que les menaces soient réelles ou fictives, appréciées objectivement ou artificiellement gonflées. Les dirigeants anglo-saxons ont créé une situation, un monde même, qui les conduisent nécessairement à cette sorte de réactions, qui interdisent autre chose que la mobilisation qu’on a vue aujourd’hui à Londres, et le chaos qui s’en est suivi. Ils sont dans ce monde fermé et disposent épisodiquement de l’usage de moyens de communication considérables pour en rappeler l’existence.

Quel en est l’effet?

Le scepticisme du public

… Quel en est l’effet sur le public? Le plus intéressant dans le texte de John Williams cité plus haut, c’est certainement la partie des commentaires des lecteurs qui suit désormais les textes mis en ligne. Nous n’avons pas parcouru toute la litanie de ces réactions. Nous nous en sommes tenus aux premières, arrivées en fin de matinée, celles qui donnent une idée de la réaction spontanée. Sur la petite douzaine des premières, on en trouve une seule qui prenne au sérieux la version officielle de cette affaire et voue les autres aux gémonies ; les autres sont sarcastiques, ironiques, moqueuses, furieuses, revendicatives.

Cela ne nous dit pas si l’alerte était totalement fondée, — et il y a de fortes chances qu’elle l’ait été, dans tous les cas dans le chef des autorités. Cela nous dit le degré “inimaginable” de défiance et de mépris où les citoyens tiennent aujourd’hui leurs dirigeants.

Comme illustration, les premiers commentaires après le texte de John Williams :

Boldscot : If he knew yesterday, why not tell us yesterday?

WoollyMindedLiberal : On the plus side rather fewer flights to and from the UK today will probably be good for the environment and meeting our carbon emission targets.

Rather strangely there were 2 WPCs on the platform at my station this morning and 2 PCs on the other platform. It was hard to guess what useful purpose they were supposed to be serving standing around there.

Lacanian : Bomb threat? your joking aren't you?

Eivissa : Fantastic timing from Mr Blair there, safely slipping away on his holiday just in the nick of time...

Look at the bright side though, by not letting anyone in, home office is finally stemming the flow of illegal immigrants into this country, hooray for John Reid!

Lacanian : By the way, has anyone noticed the full ground invasion of Lebanon?

I thought not. It's funny how these terrorist 'threats' seem to knock other more important stories off the news agenda.

ProfessorKSIA : Sir.....there is and was no plot. If they knew who and where all the terrosits were then why the hysterics today when they are supposedly all behind bars. I would have though that the threat has gone to zero if it ever existed in the first place. If this was such a murderous plot what has prompted them to take action now, why was Blair allowed to go on holiday if it was known for some time, why is it such a coincidence that this happens just when Zionists, UK and US are aiding and abetting mass murder in Lebanon, where are the explosives etc etc. This stinks of the chemical bomb plot fiasco but this is worse cos its a stunt by blair. I just cannot believe all this hysterical language by the police, it has only been a few hours since so called suspects were arrested yet the police are making concrete statements about the guilt of the suspects. It smells very fishy and looks as if they had this whole episode pre-planned for some time......chuckle.

HeiGou : SimonRalli: “I for one do not believe this threat. It is far more likely we are being primed for a bigger dirty bomb attack, and we have to be primed ready to immediately think Al Qaeda and not our own intelligence services.”

I for one would like to see you stripped of your citizenship and deported to some far off hellhole. No one in their right mind believes ‘our’ own intelligences services would do such a thing and I think you ought to be jailed for saying so.

SimonRalli: “Sorry to offend anyone, but many of the original 911 hijackers have turned up alive and well, as reported by the Guardian among others.”

You're not smart enough to offend anyone — we can recognise mental illness when we see it. None of the 9-11 hijackers have turned up alive and well. The FBI, not having a lot of Arabic speakers in 2001, got some of the names mixed up. We know who the 9-11 hijackers were. They are dead. They died on 9-11. Now go away.

Nairobiny : “Fantastic timing from Mr Blair there, safely slipping away on his holiday just in the nick of time....”

And best of all, he won't be allowed back in as all the airports are closed. Prescott's in charge!

Bennywhale : What he must not do however, in winning our hearts and minds is simply do the Dalex impression of his predecessors and “LEGISLATE, LEGISLATE, LEGISLATE”

What we want is competence, integrity and professional honesty. Something that has been seriously lacking in Iraq war, 7/7, Stockwell and Forest Gate.

If John Reid lurches towards more powers and less freedoms as he has indicated he will, THIS exposes our weakness to the terrorists. THIS shows we are scared and THIS proves to them that democracy is a piss poor little system that they can coerce us into dismantling.

We are protecting democracy, freedom and liberty. BOMBS cannot detroy those things as Reid seems to suggest BOMBS can destroy buildings, planes and people. We are the only ones who can destroy our own freedom and liberty in the face of this type of threat and fear that we will accept a unrealisable promise of security for the gradual death of a real liberal democracy.

Mazoldboy : We are on critical terror alert now, but having pressed the panic button, Tony Blair and John Reid will have to produce concrete proof that the terrorists were — or are — about to attack.

This seems like over reaction — at least at this stage. Reid and Blair must explain their actions.

This article echoes some of my feelings : http://www.thefirstpost.co.uk/index.php?menuID=2&subID=811

I’m not fearful just annoyed but the government seems to be almost manufacturing a situation here.

Isn’t critical the highest possible level of alert? Im reminded of Spinal Tap — what comes above 10? In this case can anything come above Critical? Will we get Critical + 1 alert level next?

MKD : I am a confirmed sceptic. The timing is too good for this to be realistic. Are we to seriously beleive that airport security is so lapse that 21 passengers on 10 different flights can smuggle explosive devises onto these planes and then detonate them? This is fantasy stuff.

What the security forces have probably uncovered is the rambling fantasy of a group of disaffected muslims. This is as usual a colosal over-reaction which plays into the hands of the 'terrorists'. Massive disruption of air traffic, a frightened community - GREAT WORK BOYS.

This is a precurser to another, even more sweeping, legal attack on our liberties. Be prepared for compulsary ID cards, a national register, tagging of anyone suspected of anything. this is the 'big lie'. as usual the media obsession with fantasy over fact will ensure that the terror temperature is ratcheted up to unbearable levels, and NO ONE will have the guts to call this charade what it is.

The overture was obvious: Reid, “They just don't get it,” talking about anyone who disagrees with the manner in which this authoritarian government 'polices' us.

Notre “inimaginable” drôle de guerre

La situation ne peut être illustrée, voire expliquée que par des hypothèses de la même sorte, — “inimaginable”. Sans plus chercher à détailler l’article mais en citant sa conclusion, on observera que la phrase de John Williams en titre de son article (« The battle for hearts and minds ») est “inimaginable” dans sa signification profonde.

John Williams conclut : « Sadly, we now live in a world in which going out every day involves an unconscious calculation of risk, if you are going to pass through the kind of public place that terrorists might target. That calculation remains unconscious only if the state appears competent. This is the battle for the public mind which John Reid must now win. »

Ce qu’il nous dit in fine, si l’on a l’oreille fine, c’est bien qu’il faut “gagner les cœurs et les esprits” du public pour lui faire accepter l’idée qu’il y a une guerre totale en cours, la plus terrible depuis la Deuxième Guerre mondiale (étrange comme ils expédient la Guerre froide et sa possibilité d’annihilation de l’espèce par l’arme nucléaire), et que cette guerre est caractérisée par un danger constant d’on ne sait quoi. Il faut convaincre le public que la vie courante est un risque permanent, ce qui implique assez curieusement par rapport à une appréciation de la réalité qu’avant (avant 9/11) elle n’était pas un risque permanent. On sent bien combien cette démarche menace constamment de verser dans l’absence de sens : la vie est par elle-même risque permanent puisque nous sommes menacés constamment par la mort. Cette bataille pour imposer une perception qui est d’abord une conviction de ces dirigeants forgée par le virtualisme impose une grande tension psychologique alors que le but affirmé est de former des psychologies à un certain apaisement vigilant malgré l’état de danger.

Il s’agit de convaincre la population que la réalité est autre que ce qu’elle perçoit, puisqu’il semble que, pour les dirigeants, la population ne se perçoit pas en guerre malgré 9/11 et le reste. Jamais on n’a exposé si crûment une entreprise visant à forger une autre réalité à la place de la réalité. Il s’agit d’un temps singulier où l’on n’hésite plus à exposer en pleine lumière une telle entreprise, et où, sans aucun doute à notre sens, ceux qui exposent cette entreprise croient effectivement que nous sommes plongés dans une guerre totale. Leur insistance redondante finit immanquablement par provoquer des effets pervers, voire inverses, en suscitant souvent le soupçon, — même si c’est souvent à tort. (Nous n’avons pas affaire, chez nos dirigeants, principalement à des comploteurs mais d’abord à des psychologies rendues hystériques.)

Jamais le virtualisme où baignent nos dirigeants n’a été si crûment détaillé ; jamais il ne s’est révélé être autant une bataille pour “gagner les cœurs et les esprits”, — les nôtres ou les leurs, c’est selon. Plutôt que “cœurs et esprits”, il nous semble qu’il faut dire plus précisément : une bataille pour “changer la psychologie”, — la leur ou la nôtre, c’est selon. Il s’agit d’une bataille entre deux perceptions du monde. L’enjeu est bien la psychologie de l’homme postmoderne, ou dit autrement : comment modifier la psychologie pour faire du citoyen l’homme postmoderne.

L’expression employée par John Williams est édifiante. C’est celle qui fut employée pour la conquête des “cœurs et des esprits” iraniens, en même temps que celle de leur pays. On a vu avec quel succès. Il s’agit du même projet. L’enjeu irakien était, pour les Américains, de changer la psychologie des Irakiens pour qu’ils acceptent le monde que leur proposaient Cheney, Wolfowitz & compagnie. Nous sommes donc tous des Irakiens.

Quant à eux, il suffit d’observer l’absurdité “accessoire” d’une situation en apparence géopolitique, en forme de cercle vicieux psychologique. Tous les actes de l’axe Bush-Blair sont posés pour soi-disant combattre le terrorisme et ont pour effet direct de renforcer l’idée même du terrorisme. L’effet indirect de ces actes est par conséquent d’alimenter l’hystérie des dirigeants. C’est une étrange sarabande où le patient entretient sa propre pathologie en affirmant que c’est là le seul moyen de s’en débarrasser.

La profonde difficulté pour comprendre les réalités de cette étrange bataille, c’est sans doute qu’il n’y a pas de réelle culpabilité consciemment réalisée. La règle est bien de vivre en état d’inculpabilité. Plus que jamais auparavant, la crise se trouve au cœur des psychologies, bien plus que dans les consciences et dans les jugements. Le virtualisme, qui n’était au départ qu’un outil venu de la propagande, est devenu une perception du monde, puis la psychologie tout court pour alimenter cette perception du monde.