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348Puisque l’on parle du “complot permanent” de la bureaucratie du Pentagone (ce 3 février 2010), parlons du cœur secret et profond de ce complot – le “black budget”, l’allocation destinée à des projets secrets et sans justification publique nécessaire. Le site Danger Room observe, le 2 février 2010, qu’avec $56 milliards, le “black budget” du Pentagone de l’année fiscale 2011 bat tous les records, suivant d’ailleurs une courbe d’augmentation permanente.
«The Defense Department just released its king-sized, $708 billion budget for the next fiscal year. Much of the proposed spending is fairly detailed — noting exactly how many helicopters the Pentagon plans to buy and how many troops it plans on playing. But about $56 billion goes simply to “classified programs,” or to projects known only by their code names, like “Chalk Eagle” and “Link Plumeria.” That’s the Pentagon’s black budget.
»Cobbling together this round figure for the military’s hush-hush projects is easier than it seems. The Pentagon’s separate ledgers for operations, research and procurement all contain line items for “classified programs.” Add those to the non-sensical, all-caps programs, and you’ve got yourself an estimate for the Pentagon’s secretive efforts.
»Last year, that budget grew to more than $50 billion – “the largest-ever sum,” according to Aviation Week’s Bill Sweetman, a longtime black-budget seer. A few more billion were added for wartime operations, for a total of $54 billion. This year’total would be $2 billion higher, a 3.7 percent increase.»
@PAYANT …En fait, l’augmentation est beaucoup plus considérable, d’une année fiscale (FY2010) l’autre (FY2011), que les 3,7% mentionnés. Initialement, le “black budget” pour l’année FY2010 dépassait de quelques dizaines de $millions le cap des $50 milliards. C’est donc une augmentation de largement plus de 10% entre les deux années fiscales; il est plus que probable qu’avec les ajouts en cours d’exercice, l’année fiscale FY2011 dépassera les $60 milliards. Il s’agit d’une somme supérieure au budget de la défense de pays comme ceux de la France, du Royaume-Uni, du Japon. (Difficile à comparer avec les budgets de la défense de la Chine et de la Russie, dont les estimations varient, mais sans doute fort proche.) Nous ne sommes pas loin du moment où le “black budget” du Pentagone deviendra le deuxième budget de la défense du monde derrière le budget du Pentagone lui-même.
Le “black budget”, c’est le domaine absolument réservé du Pentagone, le cœur du cœur du “complot permanent”, cette fois au niveau de la technologie et des systèmes. Les projets les plus fous et les plus provocateurs, les plus déstabilisants et les plus futuristes, voire les plus ésotériques du point de vue de la technologie, sont développés. Inutile de dire que le gaspillage va de pair, puisqu’il n’y a effectivement aucun contrôle extérieur. Seuls quelques parlementaires (les présidents des chambres et des deux partis, les présidents des commissions sur le renseignement) sont informés par le Pentagone du contenu du “black budget”, et ils le sont en fait en termes effectivement ésotériques puisque les programmes sont désignés par des codes et des acronymes incompréhensibles, qui ne disent rien de leur contenu.
C’est le “black budget” qui est l’héritier le plus assuré des tendances idéologiques profondes du Complexe militaro-industriel, appuyées sur la puissance absolue de la technologie au service d’une politique de puissance (“idéal de puissance”), avec en arrière-plan des conceptions suprématistes anglo-saxonnes. Un auteur du domaine, Nick Cook, a analysé les proximités entre les origines du Complexe et le Pentagone d’une part, et les méthodes de la science nazie développée par la SS d’autre part. (Voir notre texte du 26 janvier 2003.)
Le “black budget” est, par conséquent, le domaine par définition du mythe de la puissance du Pentagone, qui habite tant d’esprits. Il recouvre tous les phantasmes, toutes les suppositions les plus extraordinaires concernant le développement d’armes, de systèmes, de processus de destruction, d’interventions déstabilisantes, liés évidemment à tout ce qu’on perçoit et suppose d’intentions hégémoniques, destructrices et apocalyptiques du Pentagone. C’est le domaine d’élection des hypothèses relevant de la science-fiction, de l’histoire secrète, des complots sans nombre, des références qui vont des “grands initiés” à la simple bande dessinée.
Certes, le champ est ouvert pour ces vaticinations où le jugement de la raison est fortement coloré des emportements de l’imaginaire, sinon de l’obsession. Nous aurions tendance à modérer tout cela d’un bémol considérable, sans en connaître davantage pour autant (mais pas moins que ceux qui font les hypothèses – il s'agit du jugement du bon sens). Le “black budget”, c’est aussi le domaine où aucun frein n’est mis aux tendances autodestructrices de la bureaucratie du Pentagone, à sa pratique du gaspillage, à son enfermement dans des conceptions absolument virtualistes, à son goût pour les projets les plus déraisonnables.
L’un des grands courants technologiques développé sous la houlette du “black budget” fut la technologie furtive (stealth technology), absolument secrète du début des années 1970 à 1980, puis gardé encore dans le domaine du “black budget” après que son existence ait été révélée jusqu’à la fin des années 1980 – cette technologie, ou cet ensemble de technologies constamment présenté comme le caractère même de l’invisibilité assurée pour les véhicules de combat, essentiellement aériens. On ne peut dire que cette expérience soit une réussite, quand on voit combien elle a pesé et pèse plus que jamais sur les tendances opérationnelles de l’USAF notamment, pour des résultats plus que contestables, à des coûts absolument extraordinaires, au point qu'on se demande si ce “progrès” n'est pas en vérité une entrave dramatique. L’ATB (Advanced Technology Bomber), devenu B-2, est un produit du “black budget” et l’on voit à quelle catastrophe la chose a abouti lorsqu’elle fut confrontée à la réalité: un programme réduit à 21 avions pour un coût officiel de $2,5 milliards l’exemplaire (et, selon des évaluations secrètes de l’Armée de l’Air française, allant en réalité jusqu’à $6 milliards l’exemplaire). L’impératif de la technologie furtive est un des facteurs importants du semi-échec ou de l’éventuel échec catastrophique des programmes F-22 et F-35. C’est un facteur important dans l’accélération et la révélation de la crise du technologisme. La technologie furtive est sans aucun doute l'archétype de l'appréciation qu'on doit avoir vis-à-vis de l'étrange méthode du “black budget” développée par le Pentagone.
Mis en ligne le 3 février 2010 à 11H52