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44120 octobre 2005 — Doug Soderstrom, psychologue américain, présente une intéressante analyse sur la psychologie des Américains telle qu’elle est influencée et manipulée par le système de l’américanisme dans ces temps de crise paroxystique du système. (Voir sur Information Clearing House, en date du 18 octobre 2005 : « The Mindless American: A Tragedy In The Making ».)
L’intérêt du texte est qu’il présente une analyse politique du point de vue du psychologue, du “scientifique du comportement”. Ainsi nous donne-t-il des éléments pour des domaines qui nous sont chers, notamment le virtualisme. L’analyse de Soderstrom nous montre bien comment le conformisme massif dispensé par le système de l’américanisme forme le phénomène de virtualisme, comment il conduit les citoyens à participer eux-mêmes à la fabrication d’une image virtualiste de la société dans laquelle ils vivent. Les citoyens sont « …so fantastically preoccupied with, essentially enamored by, the norm of what others think »; ils en abandonnent toute possibilité de penser par eux-mêmes pour épouser une construction commune d’une société virtualiste, en conformant leur pensée sur celle des autres (les autres faisant la même chose vers “les autres”, alimentant un circuit fermé des mêmes appréciations qui, pour chacun, cherchent leur confirmation d’existence dans la conformité à l’appréciation de l’autre).
« As a behavioral scientist, it appears that a vast share of folks in our nation have chosen to relinquish a quality no doubt essential to authentic human life….. an existential responsibility to think for themselves, an ontological need to discount the petty concerns that drive the minds of those directed by triviality. It seems that such individuals have become so fantastically preoccupied with, essentially enamored by, the norm of what others think, they have effectively relinquished, through a process of cognitive foreclosure, the capacity to think for themselves. Having become so extremely alienated from the core of their own being, they have little choice but to follow the crowd’s madding need to forge a symbiotic attachment to, in essence relationship with, a society, that for all practical purposes has become the basis of their own identity, the bedrock of their very being. Having done so, the image they have forged for themselves (who they believe themselves to be) has become every bit as fabricated, every bit as disconnected from reality, as their image of society. So in wanting to have at their disposal a more a positive image of themselves, they have been left with little choice but to construct a glorified image of society; an image of what they wish society would have been rather than what it has, in fact, turned out to be. Something like having chosen to have built an ego-incased frame constructed upon the shifting sands of inane social rumor and outright public lies…… truly a flight of fancy bordering on the absurd! »
Les remarques de Soderstrom nous permettent d’alimenter ou de confirmer plusieurs observations :
• Il y a un choix commun et conformiste, — cette notion de choix impliquant une volonté propre et nullement une coercition extérieure, — d’écarter la réalité de l’actuelle politique américaniste (hégémonie, torture, restriction des droits dans certains cas spécifiques, etc.), de mépriser les faits au profit d’une construction virtualiste, qui touche à une situation de pandémie selon le psychologue. C’est l’analyse d’une véritable pathologie : « But even more shameful is the fact that there are people who seem not to care that such things are taking place in our country; a rather ignorant crowd of jingoes more comfortable choosing to sit back pretending that everything will be just fine, a people with apparently little regard for the facts. As a behavioral scientist, I am grieved at what appears to be a near pandemic of disinterest in what is happening to our country. »
• Soderstrom compare la méthode de l’évolution actuelle de l’Amérique à celle de l’Allemagne nazie, notamment par la création d’un univers à part, refusant tout lien avec la réalité, et construit sur des principes auxquels toute la population était pressée, voire forcée d’adhérer, ou encore soumise à une pression psychologique ressemblant à la séduction et à la fascination: « Very few would disagree with the proposition that in Hitler’s Germany there was a determined effort to brainwash the people so they might support Mein Fuhrer’s efforts to conquer the world. However, what if one were to suggest that much the same is occurring in the United States of America, that there has been a determined effort through the socializing influence of our schools, the government, the mass media, the churches we attend, even that of our own parents, to pressure us into believing (just as Hitler) that our country has received the blessing of God, and because of this, we therefore have not only the right, but more importantly, through the use of military weapons, a divine responsibility to see that the world acquiesces to our needs and expectations. »
• Le jugement précédent peut et même doit être amendé par le constat que, dans le système virtualiste de l’américanisme, la liberté formelle reste un facteur fondamental et respecté. C’est là le paradoxe le plus inquiétant par rapport à nos conceptions: que l’une des valeurs fondamentales de notre civilisation puisse devenir un moyen d’enchaîner l’esprit à une croyance, voire une perception si complètement fausses. La même chose est perçue par rapport au concept de démocratie et suscite la même inquiétude pour une autre de nos valeurs essentielles: l’Amérique est perçue par les citoyens américains qui y adhèrent (et par nombre de pro-américanistes non-américains) comme une démocratie achevée, voire la démocratie parfaite, — et peut-être l’extrême du raisonnement pourrait conclure que ce n’est pas faux (ce qui rejoint dans l’esprit les prévisions de Tocqueville sur « la dictature de la majorité » comme destin de la démocratie américaine). C’est en cela que le virtualisme n’est pas simple propagande ni simple manipulation. Il y a une adhésion normative chez les citoyens, de type politique, essentiellement par la psychologie. Les individus, citoyens virtualistes (qui ne sont citoyens que s’ils sont virtualistes), adhèrent librement à un système qui diffuse une tromperie générale; mais il n’y a pas vraiment tromperie puisqu’il y a consensus d’une certaine façon (mis à part les dissidents), et consensus conscient, — et, par ailleurs, refus naturellement de considérer qu’il y a tromperie.
• Le paradoxe de l’individualisme américaniste est qu’il conduit à une totale aliénation de l’individu à une conception communautaire virtualiste unifiée. Sans cette conception communautaire, l’individu (le citoyen virtualiste) est littéralement perdu. L’explication est que cette sorte d’individualisme américaniste est un individualisme économique qui ôte toute responsabilité politique, avec l’“avantage” (pour le système américaniste) d’interdire, par le fractionnement des individus, toute construction politique d’opposition. L’individualisme américaniste est l’achèvement du paradoxe totalitaire de la démocratie américaniste: il transforme l’autonomie de l’individu en isolement et ne laisse d’autre possibilité, sous peine d’un désarroi confinant au déséquilibre mental, que l’adhésion consciente totale à un tissu collectif qui a la séduction du virtualisme. (Répétons: « It seems that such individuals have become so fantastically preoccupied with, essentially enamored by, the norm of what others think, they have effectively relinquished, through a process of cognitive foreclosure, the capacity to think for themselves. Having become so extremely alienated from the core of their own being, they have little choice but to follow the crowd’s madding need to forge a symbiotic attachment to, in essence relationship with, a society, that for all practical purposes has become the basis of their own identity, the bedrock of their very being. »)
• Les caractères très spécifiques du système (psychologie transformée, liberté, démocratie au service du virtualisme) conduisent à admettre que le moyen essentiel de maintenir le système en l’état n’est pas policier, bien que les polices et les lois assurent un contrôle serré, mais l’information qui sert à alimenter et à renforcer constamment le virtualisme. Soderstrom nous décrit cet aspect du système du point de vue du mécanisme: « …the secret is control, controlling the out flow of information, making sure that citizens know no more than they “are supposed to know,” making sure that they remain relatively uninformed, making sure that they are given “just enough” that they will go along with, peacefully accept, the premise that they are well informed, that they have a good idea of what is going on. It is necessary then that the government keep the people from learning the truth. Keep them from even wanting to know the truth. Put the fear of God into them to the extent that they will never question what they have been told to believe » (Dans cette description, nous sommes moins sûrs quant à la nécessité de dissimuler la vérité : le fait est que la vérité, si elle reflète la réalité contraire au virtualisme, est tout simplement rejetée en toute liberté par les citoyens comme mensongère et subversive. De même, le contrôle n’est pas coercitif. Il n’y a pas de censure, ni de pressions en général sur les journalistes. Les journalistes, comme les citoyens et les dirigeants, adhèrent au système et, par conformisme, restituent de lui une image conformiste et conforme au modèle virtualiste. Cela explique que le système est également obligé, sous peine de perdre son efficacité, de tolérer les dissidents et les discours radicalement critiques; il essaye de les coincer sur la procédure et par la rumeur diffamatoire mais il ne peut les interdire. C’est son originalité et, peut-être, sa faiblesse décisive. C’est aussi l’assurance que l’Amérique bushiste et virtualiste ne deviendra pas une dictature; s’il faut prévoir un destin contraire, ce sera le désordre et le chaos.)
• Le principal bien qu’implicite message de Soderstrom est ceci : l’essentiel se joue aujourd’hui au niveau de la psychologie, — nullement pour l’enchaînement de la psychologie par des moyens coercitifs extérieurs, par des pressions, mais pour la représentation du “réel” que se fait cette psychologie, d’une certaine façon en toute liberté.