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1287Le député républicain du Wisconsin Jim Sensenbrenner est venu hier à Bruxelles pour une audition devant la commission des libertés civiques du Parlement Européen (PE) à propos de la crise Snowden/NSA. Sensenbrenner a participé à la rédaction du PATRIOT Act qui établit à l’automne 2001 les conditions de base d’un régime de lutte contre le terrorisme impliquant des mesures de structuration, policière, de surveillance, de contrainte, etc., dont on constate les effets aujourd’hui. C’est ce même Sensenbrenner qui mène, avec le député républicain Amash (voir le 5 novembre 2013), la révolte au Congrès contre la NSA et, par extension, les conditions générales de fonctionnement telles qu’elles ont évolué depuis 9/11 de ce qu’on nomme aux USA le National Security State (expression adoptée en 1947 avec les grandes réformes du National Security Act de Truman).
Il s’agit sans doute d’une “première” d'une très grande signification politique, et certainement pour une affaire de cette importance (la NSA), dans le chef du déplacement d’un parlementaire US devant le PE. C’est certainement là le fait le plus marquant de cette visite, qu’elle ait eu lieu, justement. Le Guardian fait un rapport sur l'audition de Sensenbrenner, le 11 novembre 2013.
»Representative Jim Sensenbrenner told a meeting of the civil liberties and justice committee of the European parliament to focus hopes on diplomatic negotiations instead – pointing to a key Washington meeting next week, between EU commissioner Viviane Reding and US attorney general Eric Holder. Sensenbrenner's testimony, thought to be the first by a US congressman before a committee of the European parliament, points to the difficulties that reformers in Washington face in assembling a coalition to push reform legislation though Congress.
»Although recent revelations that the National Security Agency eavesdropped on foreign leaders have reignited the political debate over surveillance practices, it is not a feature of the key reform bill sponsored by Sensenbrenner and the Democratic Senator Patrick Leahy, which largely focuses on limiting the NSA's domestic powers to collect bulk data in the US. Sensenbrenner, a Republican, has said that the bill, known as the USA Freedom Act, may also have to be attached to broader legislation, such as measures to approve annual funding for the intelligence community, in order to reach a floor vote and overcome procedural opposition.
»“There is no question that for Senator Leahy and me to win, we have to fight the administration, the leadership of our respective parties and our respective houses of Congress as well as the intelligence committee members,” Sensenbrenner told the committee in Brussels. [...] Sesenbrenner also attacked rival reforms proposed by the chair of the Senate intelligence committee, Dianne Feinstein, which he described as a “scary” attempt to expand the powers of the NSA. “It codifies what the NSA has been doing under bulk collection – until now what they have been doing is because a court says yes, but the Feinstein bill puts what the NSA has been doing into law and says everything is OK.” [...]
»Sensenbrenner said he remained optimistic of passing real reform, pointing to the narrow defeat of earlier efforts to rein in the NSA. “I think a very helpful sign was that the Amash amendment only failed by 12 votes and this was a wake-up call to folks in oversight that something is seriously wrong,” he said. “That was three-and-half months ago, and since then there has now been more of a debate and a report by the inspector general that the NSA violated their own rules thousands of times.” “The real question is whether we can get a vote on our proposals in the House and Senate. I am very happy to have support from Senator Leahy, who is the Senate president pro-tempore and the fourth in line to the presidency.” [...]
»Sensenbrenner's testimony was well received by European politicians who have been pressing for action on a host of privacy concerns, but it showed how little influence such figures have on US surveillance activity. “It is evident that both the legal framework and the US constitutional systems make it extremely difficult to extend legal protection on privacy to EU citizens,” said Claude Moraes, a London MEP and rapporteur for the committee on surveillance issues. “Whilst there is cross-political support for the US Freedom Act 2013, could I ask on whether there is support to strengthen safeguards for EU citizens, given the extent of the press reports into how the Snowden documents have undermined trust in the transatlantic relations?” Sensenbrenner was sympathetic but stressed that his focus would continue to be on US domestic reform. “I am not here to say that what I have proposed is a uniform law that can apply all around the world because it simply will not work because of various constitutional limits,” the congressman said.»
Il faut connaître les habitudes établies depuis deux tiers de siècle par la puissance washingtonienne, et particulièrement dans le chef des parlementaires du puissant Congrès puisqu’il s’agit de cela. L’Europe en tant que telle n’existe guère pour eux (ce qui n’est d’ailleurs pas si mal vu, objectivement parlant) ; ils ne comprennent rien aux institutions européennes et traitent les alliés européens (sauf la France in illo tempore) comme des vassaux dont la servilité va de soi et qu’il est inutile d’aller entretenir par une quelconque attention. En plus de cela, triomphent à Washington l’“esprit provincial” et la tendance isolationniste de la psychologie, qui conduisent à penser qu’hors de Washington et, pour les parlementaires, des États qu’ils représentent, rien n’a vraiment d’intérêt. C’est pour cette raison d’abord que la visite et l’audition du député Sensenbrenner sont un événement exceptionnel.
Ensuite, l’exposition franche et détaillée que fait Sensenbrenner, devant des parlementaires européens, d’une crise interne (la crise Snowden/NSA est d’abord “interne” pour Washington) se traduisant par une rupture antagoniste et complètement hors des normes au sein du Congrès, constitue un second événement considérable. En général, le système washingtonien n’a pas l’habitude d’exposer à l’extérieur ses crises intérieures. Le linge sale, ça se lave en famille. Qu’on soit aujourd’hui si complètement à l’opposé de ces pratiques, de la part d’un parlementaire qui joue un rôle central dans la révolte antiSystème en cours au Congrès, voilà qui est également complètement nouveau. On doit tirer de ces faits considérables des observations importantes, qui permettent de prendre, ou de voir confirmée, la mesure de certaines choses également fort importantes.
• Une première observation est que la crise interne à Washington causée par la crise Snowden/USA est à la fois d’une considérable gravité et d’une forme complètement nouvelle. Le déplacement de Sensenbrenner constitue le symbole de cette situation grave et nouvelle, et le signe que la qualification d’antiSystème que nous donnons au mouvement apparu dès le vote de la fin juillet à la Chambre (voir le 26 juillet 2013) n’est nullement usurpée ni accessoire, mais bien fondamentale. Le déplacement de Sensenbrenner venant en fait informer (avertir) ses “collègues” du PE de la gravité de la crise à Washington et leur suggérer une solidarité d’action dont les effets seraient bénéfiques à chacune des parties selon ses spécificités, indique que le mouvement qu’il représente a besoin de toute l’aide possible, y compris hors du système washingtonien. C’est bien qu’il y a une prise de conscience que la résistance du Système est telle que la crise ne pourra pas être résolue à l’intérieur du Système, selon l’un de ces compromis habituels où chacun trouvait son compte sans que l’architecture générale du Système soit modifiée. D’un autre côté sinon d’un point de vue inverse, nous avons la confirmation que la forme antiSystème de cette révolte est extrêmement sérieuse, qu’elle implique un mouvement de fond, qu’elle pourrait aller loin dans des actes qui deviendraient de la résistance au Système, dans le sens où nous l’entendons (voir le 2 juillet 2013) aussi bien que les savants géophysiciens l’entendent (voir le 31 octobre 2013).
• Il s'en déduit, seconde observation, que jamais autant n’est apparue la puissance, à la fois du Système, de la crise du Système (équation classique surpuissance-autodestruction), et de l’émergence des mouvements de résistance antiSystème. Cela implique, à mesure de ces évolutions, la dissolution des différenciations nationales, et notamment, de ce point de vue, le constat que la spécificité de la puissance US s’affaiblit rapidement et n’exerce plus aucune attraction centralisatrice sur ses composants. En un sens, on pourrait concevoir que Sensenbrenner est venu au PE comme on circule à l’intérieur du bloc BAO, entre les différents pays du bloc débarrassés du poids des hiérarchies dépassées, pour avertir d’un danger transnational, ou, si l’on veut, l’ensemble NSA-GCHQ globalisé et conçu comme une puissance-Système sans plus aucune référence nationale. Son déplacement constitue un symbole important de la puissance considérable de la crise Snowden/NSA, et de sa potentialité de transformation en une crise de l’establishment et des structures de sécurité nationale en général, le fameux National Security State, qui serait alors conçu comme largement globalisé lui aussi, ayant dépassé les références nationales (Globalized Security State). De ce point de vue encore, il est permis de penser que cette crise ne pourra se résoudre au niveau de la NSA, aussi bien à cause du durcissement de la NSA et de ses défenseurs (voir la loi jugée “effrayante” par Sensenbrenner, présentée par Feinstein qui a annihilé au niveau national les concessions radicales qu’elle avait faites au niveau international), que de la résilience désormais évidente de la résistance antiSystème ; par conséquent, il est permis d’envisager que cette crise affectera peu à peu l’ensemble du système de sécurité nationale, avec des risques majeurs de déstabilisation.
Mis en ligne le 12 novembre 2013 à 11H26