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4 octobre 2006 — Le Congrès est parti en récréation. Ce sont ses “vacances” pré-électorales (élections mid-term le 7 novembre). Ensuite, nous aurons un Congrès pour quelques semaines supplémentaires, dans une situation intermédiaire avant l’installation du nouveau Congrès issu des élections du 7 novembre, au début de 2007. La Constitution des Etats-Unis est pleine de ces situations intermédiaires (le président élu début novembre n’entre en fonction que le 20 janvier, et jusqu’en 1933 il fallait attendre début mars, le président battu assurant le pouvoir pour l’intervalle).
Ces situations correspondent à une République idéale. (Elles correspondaient surtout, à l’époque de la rédaction de la Constitution, à un très grand pays où les communications étaient lentes. Il était alors nécessaire de beaucoup de temps pour réunir les élus à Washington). En théorie, les nouveaux élus ont le temps de préparer studieusement leur mandat tandis que les anciens achèvent le leur dans la sérénité. En période d’affrontement, c’est au contraire la porte ouverte à tous les abus. Ce sera évidemment le cas si la majorité change au Congrès, dans ces mid-term dont l’enjeu est considérable à cause d’un climat d’affrontement sans précédent. L’affrontement est d’autant plus féroce qu’il porte plus sur des questions de personnes et de privilèges d’une part, de principes fondamentaux de l’autre, et non pas sur des politiques précises malgré les arrière-pensées.
Cela signifie qu’on a assisté et qu’on va assister peut-être encore (si les démocrates l’emportent) à une course effrénée pour des votes divers, à des procédures pirates, des coups fourrés, etc. La majorité sortante, qui se sait en perte de vitesse, veut faire passer de force le maximum de mesures qui lui sont chères. De même, les lobbies sont sur les dents pour obtenir, dans le même esprit, des avantages in extremis. Dans le contexte actuel, où l’hystérie le dispute à l’inconscience, le spectacle vaut le déplacement.
C’est dans ce contexte qu’il faut placer le vote-surprise, également in extremis, d’un renforcement des sanctions contre l’Iran, sur intervention de la Chambre des Représentants. Personne n’y prêtait attention, les durs anti-iraniens, avec le soutien du lobby sioniste, ont réussi leur coup.
Le 2 octobre, Gordon Prather détaillait, sur Antiwar.com, les tenants et aboutissants de la manœuvre.
«While the European Union's Javier Solana and Iran's Ali Larijani were making “good progress” toward an agreement that “will provide objective guarantees [to the EU] that Iran's nuclear program is exclusively for peaceful purposes” that “will equally provide firm guarantees [to Iran] on nuclear, technological, and economic cooperation and firm commitments [by the EU to Iran] on security issues” – the U.S. House of Representatives perversely called up and passed by voice vote HR 6198, an onerous expansion of the Iran-Libya Sanctions Act (ILSA) of 1996.
»ILSA was a primary cause of Iran's entering into talks with the EU in the first place.
»In 1995, the Islamic Republic of Iran launched a major effort to open up its energy sector – including oil and natural gas exploration, development, and production – to foreign, Islamic-law-compatible investment.
»Well, that would never do. So the Likudniks in Congress enacted ILSA, which required the president to impose sanctions on foreign companies – including EU, Russian, and Chinese – that make such investments.
»The threat of such ILSA sanctions was enough to get Russia to cancel a contract [.pdf] to supply Iran a turnkey gas-centrifuge uranium-enrichment facility (but not enough to cancel the construction of a nuclear power plant at Bushehr).»
Comme d’habitude, ces gens agissent comme des pirates sans foi ni loi. Leur passion, et les incitatifs habituels de leur passion (vanité + hystérie + fric), les poussent à agir comme des voleurs. Résultat, selon Prather ?
«What does that mean?
»Well, for one thing, if Russia doesn't immediately cease its construction of the nuclear power plant at Bushehr, the U.S.-Russia Nuclear Cooperation Agreement is dead on arrival.
»But beyond that, the Likudniks – who also unreservedly support the U.S.-India Nuclear Cooperation Agreement – have just dealt another potentially fatal blow to the NPT, the IAEA, and perhaps even the UN Security Council itself.»
Nous nous permettrons de prendre une autre orientation, d’observer les effets de cet acte médiocre dans un autre domaine, au moins dans une autre direction.`
Nous avons déjà fait observer l’évolution de facto des négociations entre les Occidentaux et l’Iran. Nous avons pu constater que les Européens sont de plus en plus autonomes dans leur travail de négociation, et les Américains de plus en plus marginalisés de facto. (Cela était admis par eux-mêmes de manière spécifique, selon le Spiegel le 24 septembre dernier.)
L’absence de la crise iranienne (avec les projets d’attaque qui semblent fructifier comme une occupation courante du monde politique US pour les deux ans à venir) est un fait stupéfiant du débat (?) pré-électoral aux USA. La politique US suivant cette orientation du monde politique US et se trouvant par ailleurs dépourvue d’arguments vraiment intéressants pour la négociation avec l’Iran, se désintéresse de plus en plus de cette négociation. Il y a une véritable marginalisation washingtonienne à cet égard, le débat étant quasiment concentré sur les péripéties des responsabilités de la guerre en Irak et quelques questions internes de très vive polémique.
Ce que nous décrit Prather est un acte de piraterie comme il en existe tant au Congrès, particulièrement par les temps qui courent. Il s’agit d’un acte brutal, d’une tentative délibérée de sabotage des négociations en cours. Prather craint des conséquences formelles importantes, selon l’argument que les Iraniens jugeront inacceptables les termes du texte voté par la Chambre et que ce texte contredit nombre de traités et d’accords internationaux.
Mais l’essentiel ne nous paraît pas tant dans les textes, les accords, etc., qui sont d’ailleurs soumis aux caprices d’une politique extérieure totalement incertaine. L’essentiel est surtout politique. Le texte de la Chambre, même s’il est un acte de piraterie, confirme par ailleurs le courant général politique à Washington. Les USA sont paralysés, et d’ailleurs indifférents, vis-à-vis de la crise iranienne jusqu’aux élections de novembre, et, sans doute, jusqu’à la rentrée de 2007 et l’installation du nouveau Congrès si celui-ci offrait une nouvelle majorité démocrate ; pire encore, dans ce dernier cas, qui est le plus souvent envisagé, c’est toute la vie politique washingtonienne qui va être concentrée sur l’affrontement permanent administration-Congrès. La paralysie washingtonienne va être alimentée par une sorte de guerre civile institutionnelle interne.
L’effet principal de l’action de la Chambre, qui constitue un durcissement volontaire de la politique US de sanctions, donc un acte échappant aux seuls affrontements rhétoriques, va être de renforcer de facto l’isolement de Washington vis-à-vis des Européens. Les Iraniens comprennent très bien les actuelles divergences qui se font jour entre Européens et Américains (et qui existent potentiellement depuis toujours pour cette crise) et il est probable qu’ils voudront les accentuer selon une tactique de division qui va de soi. Loin de se raidir dans une attitude anti-occidentale, ils devraient contribuer à la marginalisation US en poursuivant les négociations avec les Européens.
L’acte des “likudniks” (partisans US du Likoud israélien), comme les appelle Prather, apparaît objectivement comme une de ces manœuvres brutales habituelles à ces groupes extrémistes US, dont l’effet général est contraire à celui qu’ils cherchent. Le débat que cet acte alimente est beaucoup plus celui des relations USA-Europe dans la crise iranienne que celui de la bataille qu’ils mènent contre l’Iran. L’effet de cet acte est de mettre un peu plus en évidence le désordre qui règne aujourd’hui à Washington.
Il n’y a pourtant rien de plus logique, d’autre part, dans cet acte. Les extrémistes à Washington continuent à observer le monde en termes unilatéralistes, sans souci des alliances traditionnelles US (l’Europe dans ce cas). Ils cherchent par tous les moyens à aggraver les crises en cours, et particulièrement la crise iranienne, estimant que Washington reprendra la main par la force des armes, cette fois d’une façon définitive. On sait ce qu’il faut penser de ces illusions. Pour le reste, la crise iranienne devrait poursuivre son travail de sape de l’alliance entre les USA et l’Europe et l’acte de la Chambre en est une contribution non négligeable.