Le Conseil (UE) et les sanctions (Iran)

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D’une façon générale, la perception a été d’un durcissement net de l’UE dans l’affaire iranienne avec l’adoption (Conseil européen du 17 juin) de sanctions unilatérales après le vote des sanctions de l’ONU. Pour rendre compte de cette perceptions, on peut consulter la synthèse de Antiwar.com, du 18 juin 2010.

Mais la réalité de cette “déclaration sur l’Iran” du Conseil, le 17 juin 2010, est différente. La déclaration est assez courte (6 points) et généralement rédigée en termes modérés qui insistent sur la nécessité d’un règlement diplomatique de l’affaire et de la reprise des négociations. Le plus remarquable et le plus inattendu de ces 6 points indique le contraire d’un durcissement. Il s’agit du point 2 (avec la faute, – l'omission de “par” dans la première phrase, – dans le texte officiel):

«Le Conseil européen salue les efforts déployés récemment le Brésil et la Turquie pour faire avancer l'accord sur le réacteur de recherche de Téhéran (RRT), que l'AIEA a proposé à l'Iran en octobre 2009. Un accord satisfaisant avec l'Iran sur le RRT pourrait contribuer à établir la confiance. Toutefois, le Conseil européen souligne qu'un tel accord n'apporterait pas une réponse à la question de fond que soulève le nucléaire iranien. Le Conseil européen demande instamment à l'Iran d'entamer des négociations sur son programme nucléaire.»

@PAYANT Quand nous disons que ce salut à l’initiative turco-brésilienne et l’accord du 17 mai qui s’en est suivi est “inattendu”, c’est simplement selon l’évidence que les indications disponibles dans les milieux des institutions européennes avant la réunion du 17 juin semblaient effectivement annoncer une déclaration dure d’où serait évidemment exclue cette référence très positive et très appuyée à l’accord du 17 mai. On se référait notamment, pour ces estimations, sur la réaction de Lady Ashton le 18 mai, après l’accord du 17 mai. Cette réaction avait été extrêmement dure et brutale, à la limite de la grossièreté, autant pour l’Iran que pour les deux autres pays concernés, commençant par l’affirmation de cet accord “ne change[ait] rien” à la situation. On se rappelle les observations que nous avions rapportées (le 21 mai 2010) sur la façon dont cette “réaction” avait été réalisée et rédigée, – essentiellement, par l’action bureaucratique et unilatérale de Robert Cooper.

Ce qui est remarquable, c’est la différence radicale entre cette “réaction” absolument négative du 18 mai (pratiquement un “copié-collé” des déclarations d’Hillary Clinton le même jour) et la “déclaration sur l’Iran” du 17 juin, concernant l’accord Turquie-Brésil-Iran, qui est très approbatrice. (On retrouve pratiquement les mêmes termes que ceux du Russe Lavrov pour saluer l’accord.) Ce qui est encore plus remarquable, c’est qu’il était devenu hier impossible de retrouver trace, parmi les documents officiels en ligne sur les sites de l’UE, du texte de cette “réaction” de Lady Ashton du 18 mai concernant l’accord de Téhéran. (Cette remarque, valant bien pour la journée d’hier, 18 juin.) Le texte avait été retiré des documents disponibles en ligne, alors que les services européens sont en général extrêmement rigoureux à cet égard et tiennent à jour pour le public la disposition et l’accès immédiat de tous les textes officiels. Une explication spéculative qui nous paraît bien logique : le texte du 18 mai avait été retiré parce qu’il était trop radicalement démenti par la déclaration du 17 juin. On peut avancer l’hypothèse, par exemple mais exemple séduisant, que Robert Cooper a préféré ne pas laisser en évidence cette marque non moins évidente de désaveu par le Conseil d’une réaction dont il avait machiné la teneur. (L'hypothèse étant d'autant plus acceptable que des rumeurs dans les milieux européens font penser que Cooper pourrait finalement perdre sa position, après ces récentes manifestations de son activisme.)

D’une façon générale, des sources européennes nous indiquent qu’il y a eu certainement, dans le chef de certains Etats membres, et peut-être éventuellement au sein de la bureaucratie européenne, la réalisation qu’on ne pouvait traiter aussi lestement deux pays aussi importants que le Brésil et la Turquie, pour une initiative dont l’aspect constructif apparaît évident (le point [2] ci-dessus de la déclaration le met en évidence, appuyant sur la conformité de l’initiative turco-brésilienne avec les démarches de l’IAEA).

Il y a aussi la probabilité de l’intervention de ces deux pays, furieux du traitement réservé à leurs efforts, auprès de l’UE et de pays membres de l’UE. Il est évidemment probable que nombre de pays membres réalisent combien leurs relations avec ces pays peuvent être compromises par cette sorte d’attitude, avec les conséquences qu’on devine (que peuvent penser les Brésiliens du “partenariat stratégique” avec la France, qui se compte en vente de sous-marins et dans une éventuelle vente de Rafale, si la France cautionne une telle politique ?). On peut même se demander si les deux attitudes (dureté dogmatique et bureaucratique d’un côté, attention à conserver des bonnes relations avec la Turquie et le Brésil, et à ne rien compromettre avec l’Iran d'un autre côté) n’ont pas “cohabité” en s’ignorant dans nombre de bureaucraties et d'appareils politiques concernés, aboutissant à des attitudes parfois déconcertantes dans leurs contradictions. (La réaction bureaucratique négative de la France à l’accord du 17 mai contrastant avec les déclarations du président français, qui rencontrait le Brésilien Lula à Madrid, après l’accord d’Ankara.)

L’attitude bureaucratique et idéologique signalée également par nous le 9 juin 2010 semble avoir été réalisée et incurvée comme intenable et complètement absurde. Les Iraniens cherchaient sans succès à prendre contact avec l’équipe Ashton, simplement pour signaler leur intention de poursuivre les négociations. (Le point 6 de la déclaration du 17 juin se termine par cette phrase : «Le Conseil européen souligne que le Haut Représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité [Ashton] est prêt à reprendre les discussions sur ce sujet.») Là encore, c’est la réalisation que le désordre bureaucratique permet effectivement à certains (Cooper), qui tiennent une position de force au sein de cette bureaucratie, d’imposer une orientation idéologique inacceptable.

D’une façon générale, des sources européennes estiment qu’il n’y a pas “durcissement” dans la déclaration du 17 juin mais simplement un aménagement et une organisation des sanctions pour les pays de l’UE. Ces mêmes sources estiment que ces sanctions seront complètement improductives dans leurs effets concrets, rejoignant ainsi un jugement déjà largement répandu. Par contre, disent ces sources, «les autorités politiques ou bureaucratiques qui les ont décidées au nom d’une politique dont personne ne sait vraiment le fondement et les buts concrets, ne se rendent pas compte des complications extraordinaires que ces mesures impliquent pour eux-mêmes…» L’application des sanctions impliquent en effet, pour les 27 pays de l’UE, une vague impressionnante de régulations, de réglementations, etc., dans leur propre fonctionnement, qui constitue un considérable alourdissement bureaucratique pour eux-mêmes.


Mis en ligne le 19 juin 2010 à 09H16