Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.
481Il avait ouvert des interstices dans l’épaisseur du matériel hétéroclite encombrant qui constituait au milieu du siècle dernier l’enseignement des mathématiques.
Il y a glissé des notions et des énoncés, des « yeux » dont les points de vue combinés donnent une vision d’un monde unifié par la pensée de l’explorateur du legs de ses prédécesseurs et bâtisseur de nouvelles architectures.
Grothendick, mathématicien français d’origine ukrainienne, l’un des esprits les plus libres s’est éteint il y a peu.
Il a réussi à combiner de manière féconde arithmétique, analyse et géométrie, le discret, le continu et la forme.
Ici, dans la forêt touffue des récits divers et divertissants, le commentateur avance, une lanterne à un bras et un compas à l’autre, métreur des effets des discours sur la réalité des sous-bois.
Il soupèse les variantes, les confronte.
Elles dessinent des formes.
Afghanistan I et Afghanistan II.
Irak I Irak II Irak III Syrie et maintenant Irak IV.
Ukraine I et Ukraine II.
Une approche à pas d’abord mesurés, puis de moins en moins furtifs de la Russie, celle qui a vaincu l’armée nationale-socialiste allemande en perdant plus de 22 millions d’âmes.
L’extension de l’Union européenne dilate l’Allemagne qui étend son espace vital et phagocyte les anciens satellites de l’URSS. Elle y puise une main d’œuvre qui offre un meilleur service que le STO et vainc sans dégainer une arme ses anciens rivaux de l’Ouest, réduits à de simples provinces, agenouillés pour présenter à approbation leur budget national.
Un motif (notion grothendiekienne très féconde) réapparaît.
Une Allemagne industrieuse, austère et impériale et gardienne du nouveau Temple, l’euro fort. Une France, fille cadette de l’Église libérale, assoupie dans ses souvenirs, achève son destin sans direction propre.
L’arpenteur se souciera du mouvement.
Grande et petite circulation.
Elles sont liées par un nœud, celui qui a tressé l’équivalence entre une monnaie, étalon de l’échange, de la réserve et mesure de toute chose, et des liaisons carbone consommatrices d’oxygène pour libérer l’énergie du mouvement.
Toute la planète et ses espèces vivantes y sont assujetties.
Toute production humaine a versé son obole au dollar et a brûlé du pétrole ou du gaz.
Les canaux d’irrigation en Mésopotamie ont été élaborés sur un millénaire permettant l’agriculture, la sédentarisation et l’urbanisation. La vascularisation en pipe line et son corollaire, banques de dépôts, d’affaires puis uniquement spéculative communiquant entre elles en fractions de secondes, ont créé un nouvel organisme en moins de soixante dix ans.
Par endroits, le découplage est tenté.
Des parties de cet ensemble appuyées sur des traces mnésiques de ce qu’elles furent essaient de réactiver leur autonomie antérieure et de dégager une vie en dehors du dollar.
Cette subversion dynamise une trame qui trouble, et semble peiner à le faire, les flux intimement mêlés, énergie et monnaie américaine.
Le géomètre est tenu dans l’ignorance de la quantité des liaisons carbone fracturables disponible et exploitable.
Lui qui a eu du mal à s’extirper de l’arithmétique et des unités discrètes se fonde sur le postulat à peu près vrai de sa finitude.
Il s’interroge alors sur la baisse de prix du baril de pétrole, denrée en principe raréfiée par l’extension des conflits armés dans les zones où il est extractible.
La contraction de l’économie mondiale induit et se traduit par la baisse du débit circulatoire. Le besoin en énergie est moins pressant puisque la production est ralentie. Le prix baisse.
L’effet correcteur de la réduction de l’offre n’intervient pas.
Les Séoud assurent qu’ils maintiendront tel quel le niveau actuel de leur production. Sont-ils en train d’affirmer une continuité historique à cette invariabilité dressée comme principielle ?
En janvier 2008, G W Bush avait accompli un périple dans les pays arabes pétroliers en position d’orant. Les effets des crédits accordés par des banques étasuniennes à des emprunteurs citoyens étasuniens dont la condition économique permettait de prévoir à coup sûr qu’ils ne les rembourseraient pas se faisaient ressentir sur la planète entière.
Le prix du baril avoisinait les 100 dollars.
Ryad avait refusé d’accéder au souhait de Bush le deuxième de relever d’un million et demi de barils par jour son plafond de production ce qui aurait desserré l’étau sur l’économie étasunienne en proie à sa « crise » financière instantanément mondialisée.
Était-ce par incapacité structurelle ou constitutive (peak oil) ou bien était-ce l’expression d’une désobéissance qui pointait déjà l’amorce d’une réorientation stratégique. L’échec de l’intervention en Irak devenait patente pour des Séoud qui voyaient le centre névralgique du monde arabo-pétrolier glisser sous l’influence iranienne.
Le refus gêné ou frondeur d’obtempérer à la demande d’un Président élu par la Cour Suprême s’est accompagné d’accommodements. Les liquidités engrangées par les fonds souverains des pétro-monarchies ont été très courtisées pour venir à la rescousse des institutions financières étasuniennes substrat de son hégémonie.
Depuis, six ans après, les Us(a) ont répondu et prétendent à une indépendance énergétique. Les torrents de dollars déversés à des taux dérisoires voire négatifs ont été injectés par des sociétés qui se sont adonnées à la perpétuation du modèle de l’énergie fossile. Gaz de schistes et pétrole sont extraits de schistes et de sables bitumineux à un prix d’exploitation très élevé mais cohérent tant que le baril s’échange à une valeur seuil aujourd’hui semble-t-il largement atteinte.
Le Pentagone, cette machinerie au budget colossal et pour une part inconnu d’elle-même a certes pour fonction première de persister dans son être. Presque fortuitement, il continue de produire des études prospectives menées par des experts enlisés dans leur myopie idéologique. Quelques-unes finissent par étayer des positions stratégiques congruentes avec les poussées d’intérêts de firmes qui ont placé au cœur décisionnel de la machinerie leurs représentants. Les rapports JOE2008 et JOE2010 pour Joint Operating Environment prédisaient un déficit de production de 10 millions de barils par jour dès 2015 pour les deux raisons croisées d’une chute des extractions mondiales et d’une demande accrue.
Fin 2014, l’extraction ne s’est pas ralentie et la demande s’est plutôt ralentie.
Six ans après la débâcle évidente du casino des institutions financières privées transformée en dette publique par les États, les Séoud ont orienté leur production pétrolière vers son premier client devenu le plus gros consommateur de la planète, la Chine. En témoigne le contrat signé en 2012 entre Aramco et Sinopec pour le développement d’une raffinerie d’une capacité de 400 000 barils par jour.
L’Arabie des Séoud est une entité fondée sur la prise en main d’un État par une famille sur la base d’une interprétation littéraliste inédite de l’Islam avec la bénédiction des Anglo-Saxons, d’abord le Royaume Uni pressé de dépecer l’Empire ottoman puis les Us(a) soucieux d’un approvisionnement stable en énergie pour leur économie en expansion. Elle connaît désormais des mutations.
Le royaume, gérontocratie adelphique, voit se succéder au pouvoir des frères arrivés au terme de leur vie avec les conflits plus ou moins feutrés entre les différents clans et des orientations en politique étrangère parfois antagonistes.
Le 11 septembre 2001 a eu pour effet dès 2003 le départ des troupes stationnant en Arabie et leur repositionnement au Qatar accompagné de la ferblanterie du système de surveillance radar. La presqu’île, de l’excroissance neutre et inerte qu’elle devait rester, a développé ses propres systèmes de communication et s’est sentie pousser des velléités d’influence sur les voisins immédiats ou non par le truchement des Frères Musulmans et sa chaîne satellitaire.
Les Séoud ont pesé de tout leur poids pour reprendre l’Égypte en mettant un point final au processus né de la révolution du 25 janvier 2011 et en réinstallant un militaire sans assentiment préalable du Protecteur étasunien.
L’Arabie s’adosse sur des partenariats avec des pays asiatiques. Le Pakistan n’est plus seulement le lieu privilégié du prosélytisme wahhabite (plus de 24 000 médersas et mosquées depuis l’appui à Zia OulHaq). En dépit du plus important marché d’armement jamais contracté par les Us(a) quelques 60 milliards de dollars signé en 2010 pour fournir 84 F15 et la révision de 70 unités déjà fournies, le régime des Séoud envisage l’acquisition d’un avion de chasse pakistanais le JF -17 Thunder. Islamabad a livré en 2013 des missiles balistiques mobiles capables de porter des ogives nucléaires.
Les 200 000 soldats de l’armée des Séoud sont entraînés par des instructeurs pakistanais, fonction remplie jusqu’en 2002 par the United States Military Training Mission relocalisée au Qatar.
À l’occasion d’un défilé militaire en avril 2014, l’Arabie Séoudite a exhibé des missiles appartenant à la force dissuasive chinoise, susceptibles d’accueillir des ogives nucléaires pakistanaises. Le sourcil est bien fortement froncé en direction des Us(a) et de l’Iran.
Plus que les échecs des Us(a) en Irak puis en Afghanistan, les évènements survenus dans le monde arabe dans le sillage de l’insurrection du peuple tunisien ont démontré aux Séoud l’impuissance des Us(a) à protéger les régimes arabes corrompus et vermoulus dont le leur.
Ils ont écrasé par une intervention militaire les manifestations pacifiques au Bahrein auxquelles participaient mêlées la composante chiite majoritaire et la fraction sunnite pauvre.
Les tentatives de stabilisation au Yémen passent maintenant plus par des aides financières au successeur de Saleh qu’ils distribuent à la fois aux tenants d’ « Al Qaïda » au sud opposés aux Houtis du nord.
Ils ont éteint le feu chez eux en injectant 400 milliards de dollars dans des programmes sociaux.
Ryad a initié une politique de gros travaux d’infrastructure afin de résorber le chômage qui affectent le tiers de sa jeunesse et la moitié de ses jeunes diplômés. Le régime a commencé à diversifier ses exportations dans sa préparation tardive d’une ère après-pétrole.
Le fait saillant de cette année écoulée dans ce royaume aux trois mille et trois princes a été le nettoyage du clan des Sudaïris et leur limogeage de leur poste de commandement.
Le très fameux Bandar Ben Sultan, ancien ambassadeur à Washington et maître d’œuvre de la ‘révolution syrienne armée’ en Syrie, a été démis de ses fonctions de chef des services de renseignements pour son incompétence avérée dans cette tâche et dans son sillage ont suivi ses deux frères.
Le roi Abdallah va déroger à la règle de la transmission du pouvoir suprême à son frère cadet et cèdera la succession à son fils aîné.
À l’intérieur, nettoyage du palais et à l’extérieur, remisage du Prince du Qatar remplacé par son fils d’à peine une trentaine d’années. Doha risque même de faire la chasse aux prédicateurs affiliés aux Frères Musulmans.
Abdallah est connu pour être le moins américanophile de sa fratrie, autant qu’il est permis de l’être dans la situation de vassalité où est tenue de rester cette entité d’allure théocratique. Si l’on se réfère à l’évolution du Baltic Dry Index, reflet indirect du commerce international, au cours des six premiers mois de l’année 2014, on en déduit une forte réduction du fret maritime du vrac, donc une surproduction des hydrocarbures. La stratégie du plus gros exportateur historique serait bien d’éliminer les derniers arrivés sur le marché alors qu’ils se sont lourdement endettés même si ce fut à un taux dérisoire. Les membres de l’OPEP ne protestent pas avec vociférations excessives.
Le vassal – tout musulman est en principe réfractaire aux jeux de hasard que constitue le jeu boursier – a de plus comme arme dans sa manche (ce couteau-là ne s’exhibe pas entre les dents) les fameux fonds souverains dont quelques mouvements intempestifs peuvent donner le vertige aux banques privées américaines.
De plus, les avoirs privés de tous ces princes sans espoir de couronnement en actifs mobiliers et immobiliers américains se comptent en milliers de milliards de dollars….. Lorsque l’État fait ses emplettes chez Lockheed, quelle part revient dans l’escarcelle du donneur d’ordres ?
Si le géomètre arpenteur ne se laissait pas distraire par le bruit de fond produit à très grand volume, il s’apercevrait d’une autre fonction continue dérivée de la génération du chaos danschacune de ses entreprises par le pouvoir hégémonique.
En Irak, ce sont les compagnies chinoises pétrolières qui ont bénéficié des plus gros contrats d’exploration et d’exploitation.
La partition du Soudan, préparée de longue date par les néocons-sionistes, n’a nullement entravé la présence chinoise au Sud Soudan. Pékin va y envoyer 700 casques bleus d’interposition dans la guerre civile qui ravage le pays depuis un an à peine deux ans après l’individualisation du pays.
C’est la Chine qui y est le premier prêteur et le premier investisseur.
L’arpenteur s’il dispose encore de la bonne lanterne et du compas adéquat ira mesurer comment l’intention de contrer les puissances dites émergentes une fois projetée dans le réel des guerres et du chaos circule sur une sorte de bande de Moebius. L’argument se transforme continûment et aboutit graduellement à l’effet contraire de celui escompté.
Grothendick avait touché à un essentiel si dense qu’il ne lui restait plus qu’à taire ses fulgurances dans une solitude où le monde ne se dispersait pas dans ses apparences infinies.
Que l’Absolu où il s’est dissout l’accueille dans son Un.
Badia Benjelloun
Forum — Charger les commentaires